Auto
Skoda, l’auto qui venait du froid
20 JANVIER . 2015
Par chance, il y avait un taxi à la station ; par chance la voiture était de grande marque : une Skoda.Voilà une bonne réplique pour commencer une conversation dans un dîner en ville sur le ton du paradoxe. Pourtant, un simple coup d’œil dans le rétroviseur de l’histoire est suffisant pour changer son regard sur cette marque, trop souvent vue comme une alternative bon marché des productions standard de Volkswagen, son actionnaire principal depuis 1991.
Car Skoda a déjà eu une longue vie, bien avant son mariage avec le groupe allemand. Une histoire plus que centenaire, puisque ses origines remontent à 1895 et la première voiture de route à 1905.
Du vélo aux autos
Il n’est pas encore question d’Emil Skoda, ambitieux ingénieur natif de Plzen, en Bohème, et fondateur du groupe industriel éponyme. Au commencement étaient le mécanicien Václav Laurin et le libraire Václav Klement, deux jeunes cyclistes passionnés de « locomotion sans chevaux », c’est-à-dire la grande aventure moderne de la fin du XIXème siècle. En décembre 1895, ils dessinent et produisent, sous le nom « Slavia », le vélo de leurs rêves. Fort de leur petit succès, ils fondent en 1899 la société Laurin & Klement Co. et conçoivent des mobylettes robustes et inventives. Leurs victoires dans des courses d’amateurs puis dans le premier championnat local confortent leurs réputations et les ventes décollent. Suffisamment pour envisager la production d’automobiles à partir de 1905.
Tout cela n’est pas sans ressemblances avec l’aventure de Lionel Martin et David Bamford, les fondateurs d’Aston Martin, en Angleterre. Mais à la différence de leurs homologues britanniques, les ingénieux artisans slovaques associés préfèrent imaginer une voiture de grande série, fiable et bien construite. Leur « Voiturette A » ne glane aucun laurier sportif, mais en 1907, la société est cotée en bourse et les autos sont vendues sur le marché international avec de bons résultats. La santé financière de l’entreprise est maintenue pendant la Première Guerre Mondiale grâce à la production de matériel militaire.
Emil Skoda lance la machine
C’est au début des années 20 que le ciel s’obscurcit. Soucieux de se diversifier, les associés se mettent à produire plusieurs types de voitures mais aussi des camions, des bus, des moteurs d’avion et même des machines agricoles. L’usine de Mlada Boleslav, à une soixantaine de kilomètres de Prague et où s’élève aujourd’hui un fabuleux musée automobile, assure les volumes de l’un des trois plus grands constructeurs du pays. Pourtant, les deux hommes s’essoufflent. C’est alors qu’entre en scène Emil Skoda. L’industriel a créé en 1919 une division automobile au sein de son puissant groupe et il achète en 1924 la licence du torpedo H6B au constructeur français Hispano-Suiza. Souhaitant accélérer le développement de ses productions, Emil Skoda intègre Laurin & Klement en 1925. Skoda Auto est constitué. MM. Laurin et Klement sont aux commandes et leur expertise permet à Skoda de développer une gamme complète, allant du luxe avec la limousine Superb, dotée d’un six-cylindres, aux berlines, telles les Rapid et Favorit, en passant par des modèles sport, comme la Popular.
Une auto rare et recherchée ; déjà à son époque. Le roi Pierre II de Yougoslavie se fait réaliser un roadster sport spécial pour ses sorties privées et le modèle devient légendaire lorsque deux ingénieurs de l’usine Skoda, Zdenek Pohl et Jaroslav Hauman, font le pari fou de rejoindre d’Athènes le départ du rallye Monte-Carlo, à bord de leur décapotable 1.4 litres, en janvier 1936. Ils termineront la prestigieuse épreuve à la deuxième place, inscrivant ainsi pour la première fois le nom de la marque dans le livre d’or de cette épreuve et du sport automobile.
Le choc de la Seconde Guerre Mondiale
La Seconde Guerre Mondiale met une parenthèse à ces activités, en deux temps. Le premier, c’est la production de matériel militaire sous occupation allemande. Le deuxième, c’est la destruction de l’usine par la Luftwaffe aux abois, le 9 mai 1945, dans un ultime bombardement. L’outil de production est en miettes mais Emil Skoda n’est pas du genre à baisser les bras. Quelques jours plus tard, dans un atelier de fortune, il recommence à assembler des châssis. Aventure entrepreneuriale de courte durée puisque les soviétiques forcent le nouveau gouvernement tchèque à procéder à la nationalisation de toute entreprise de plus de cinq cents employés. Skoda, Tatra et Aero deviennent donc des sociétés d’Etat. Le groupe Skoda est rebaptisée AZNP. Il ne reste que la marque automobile. La production ne reprend vraiment qu’en 1946, avec un modèle nouveau, la 1101. En fait, il s’agit d’une version modernisée et redessinée de la Popular OHV de 1944, avec quelques inspirations stylistiques américaines et un moteur plus puissant. Les Tchécoslovaques ont besoin de voitures et Skoda est le premier constructeur national, avec ses berlines populaires sages et de belle facture.
Il y a aussi quelques autos d’apparat. Avant l’arrivée de sa « Drapeau Rouge », le Grand Timonier Mao Zedong apprécie particulièrement le confort et la finition de sa limousine Skoda VOS, voiture des dignitaires du régime. Le peuple doit se contenter de modèles plus modestes. Mais, en y regardant de plus près, dès la fin des années 50, la gamme Skoda réserve quelques jolies surprises, comme le cabriolet 1102 et plus tard la Felicia ; des autos réellement plaisantes à conduire, très bien construites et aux finitions supérieures à bien des populaires d’Europe de l’Ouest.
Le retour sur les circuits
Mais il y a surtout l’aventure sportive, inaugurée en fanfare par la victoire groupée des trois 1101 Tudor aux 24 Heures de Francorchamps 1948. Les victoires au Rallye Monte-Carlo et aux Rallye des Tulipes encourage la marque à développer un modèle sport performant. Ce sera la barquette 1102 Sport, aux faux-airs de Tatraplan Sport. Elle est sur la ligne de départ des 24 Heures du Mans en 1950. En 1961 et 1962, aux mains de l’équipage finlandais Keinanen/Eklund, une Skoda Octavia remporte à nouveau le Monte-Carlo. Succès aussi au Rallye Wartburg et au redouté Raid Polski.
Malgré quelques tentatives en endurance, le terrain de jeu favori des Skoda, c’est le rallye. Efficace et performante, la 1000 MB donne du fil à retordre à ses rivales de l’Ouest, Renault 8 Gordini en tête. En France, la marque est alors distribuée par Jacques Poch. Mais, à partir du milieu des années 70, la gamme de production devient vieillissante et assez banale, notamment à partir de la « Normalisation » en 1968, en réaction au Printemps de Prague. L’événement gèle la créativité des ingénieurs tchèques au profit d’une certaine prudence dictée par un contexte politique instable. Ainsi, le séduisant « projet 720 », une berline moderne à moteur dessinée par Giugiaro, est abandonné. Il faut faire du neuf avec du vieux en recyclant à l’infini la basse de la 1000 MB à l’architecture tout-à-l’arrière obsolète. La Skoda 120 ira jusqu’en 1990, faisant pâle figure et devenant, avec quelques Lada ou Yugo, les représentantes des autos prolétaires de l’autre côté du Rideau de fer.
Il faudra attendre 1983 pour voir apparaître une auto moderne et assez révolutionnaire: la Favorit. La « détente » permet des collaborations avec l’Ouest. Skoda fait appel à Bertone pour le design et au bureau d’études Porsche pour cette auto « tout à l’avant ». La voiture est présentée en septembre 1988, à la Foire de Brno et aura un grand succès. Mais aucun dérivé sportif.
Et maintenant…
Pourtant, avec les coupés 180 RS, développant 154 ch, puis et 200 RS, dérivés de la paisible 110 R, tous deux capables de filer à plus de 200 km/h, Skoda s’est imposé en rallye à partir de 1973. Vient ensuite la fabuleuse 130 RS, produite à près de 200 exemplaires entre 1975 et 1980. Elle rafle tous les lauriers. Une tradition toujours vive depuis le retour en compétition de Skoda Motorsport à partir de 1994. Les Favorit brillent au Championnat du Monde des Rallyes. Puis ce sera la lente montée en puissance des Octavia. Les grands succès seront pour la petite Fabia, à partir de 2003. La gloire sportive et un partenariat avec le Tour de France épaulent le redéploiement commercial de la marque, Intégrée au groupe Volkswagen en 1991, au nez et à la barbe, hélas, de Renault. Volkswagen qui ne néglige en rien le riche passé du prestigieux constructeur automobile et a financé le nouveau et spectaculaire musée de la marque.
Et demain? En février 2015, en prélude du Salon de Genève, la marque tchèque devrait dévoiler son nouveau haut de gamme, baptisé veau porte-drapeau, la Superb III. Avec la promesse de prestations raffinées et d’une ligne plus désirable que la gamme actuelle, certes rationnelle mais un rien austère. La base de développement est celle de la dernière génération de la Passat. La marque tchèque, qui emploie vingt-six mille collaborateurs et réalise près de neuf milliards d’euros de chiffre d’affaire, a vendu plus d’un million de voitures en 2014, dont un quart exporté en Chine. Des chiffres qui, mariés avec une qualité de production reconnue et une compétitivité sans cesse améliorée, en font le fleuron du groupe, loin devant Audi. Tout l’art du paradoxe.
Frédéric Brun