Auto
Alfetta GTV6 : le crépuscule des idoles
04 MARS . 2015
Aujourd’hui quasiment oublié et sous respiration artificielle, le blason milanais a été, tout au long de ses nombreuses vies, l’un des inventeurs de la voiture de sport (Enzo Ferrari, formé chez Alfa, disait: « le jour où j’ai couru contre Alfa, ce fut comme si j’avais tué ma mère ») puis l’inventeur de la voiture de sport moderne de série (Alfa créa la Giulia au début des sixties alors que BMW vivotait encore en quasi-faillite).
Las, toutes les idoles ont un crépuscule, Alfa-Romeo n’a pas échappé à cette règle immuable des tragédies latines, au cours des années 70. Mais, autre règle immuable, du coeur de la tragédie émergent toujours des épisodes héroïques de résistance, inutile et pleine de panache, à ce destin cruel. 1980: l’Alfetta GTV6.
Bouquet final de quelques vieux ingénieurs préretraités rescapés de l’âge d’or, au sein d’une maison déliquescente, « le » GTV6 (trait de language de l’époque a posteriori révélateur) était un replâtrage hâtif de la plateforme de l’Alfetta (1972) avec sous le capot le V6 2.5 de la berline Sei (invendue et invendable). Contre toute attente et contre le destin, le GTV6 fut un best-seller de 80 à 87, surpassant les BMW 323i, et imbattable en rallye comme en circuit.
A l’âge de 10 ans, vers 1982, lorsque je croisais une Alfetta GTV dans la rue, je courais voir si le capot arborait le bossage spécifique abritant le 6 cylindres. A l’âge du permis de conduire, vers 1990, alors que cette auto était devenue has been (aujourd’hui on dirait « youngtimer »), c’est devenue une idée fixe. Rapidement les choses se sont enchaînées.
Certes j’ai dépensé tout ce qui était sur mon livret d’épargne étudiant. Certes mon père ne m’a plus adressé la parole durant six mois. Mais j’ai réussi au début des années 90, à poser mon nom sur la carte grise d’un GTV6 rouge, cuir noir, moteur cassé…et refait à coup de jobs d’été, c’est vous dire les sacrifices auxquels j’étais prêt à consentir pour cette auto.
Décrire le feeling simplement fabuleux ressenti au volant sans tomber dans les lieux communs… Ecole de pilotage et d’humilité, équilibre du chassis, moteur inoubliable, sensation d’être branché à la route sans aucun filtre, soundtrack démentiel, la classe, mais brutale, à l’époque on disait « voiture d’homme »: l’erreur et la prétention ne pardonnaient pas, au volant.
Le GTV6, et les Alfa Romeo qui se sont succédées furent le privilège et l’ivresse de boire ma passion de l’automobile au goulot d’une bonne bouteille quand d’autres la téteaient au robinet d’un cubi.
Frank Pistone