Culture
Ai Weiwei, majestueux à la Royal Academy de Londres
06 NOVEMBRE . 2015
On connaît son irrévérence, ses actes politiques de dénonciation du régime chinois, son insoumission, alors même qu’il a été exilé avec sa famille dès son enfance, plusieurs fois mis sous surveillance, battu, torturé, humilié et emprisonné… Ai Weiwei, immense artiste engagé et enragé, ne mâche pas ses mots ni ses actes.
Une rétrospective choc lui est consacrée en ce moment même à la Royal Academy of Arts de Londres. A travers 11 salles, on retrouve celui qui recycle les matériaux anciens les plus nobles (bois, jade, céramique, marbre) en leur donnant une nouvelle vie. Ils auraient de toute façon été détruits par la modernité galopante de son pays, alors autant les transformer, avec humour, en un collier de bancs, en une table Qing à trois pieds, en un temple ou en des pots multicolores. Certains objets « pop » sont plus convenus, mais on lui pardonne aisément ce lieu commun, tant la plupart des œuvres présentées ici émeut.
Notamment les plus grandes car Ai Weiwei excelle dans le gigantisme. Ainsi Straight, installation de 90 tonnes de câbles qu’il a récupérés dans les décombres des écoles détruites en 2008 lors du tremblement de terre du Sichuan, impose le silence.
Tout comme la destruction de Crab House, atelier construit à Shanghai pendant deux ans pour abriter le studio d’Ai Weiwei. Un lieu de travail qui s’est vu apposer, comme par hasard, l’étiquette de « construction illégale » et qui a dû brutalement être détruit par les ouvriers-mêmes qui l’avaient construit… Une pile de briques et de fragments en bois, le film de la destruction et une installation de crabes, dont un qui s’échappe du lot (Ai est modestement immodeste !) – clin d’œil au dîner qui a réuni 800 convives devant l’atelier shanghaïen peu avant sa destruction et auquel l’artiste n’a pu assister, étant assigné à résidence une fois de plus.
L’œuvre la plus poignante, S.A.C.R.E.D., est posée dans une salle tapissée de papier peint jaune représentant l’oiseau de Twitter pris en otage par des pistolets : en 2011, Ai Weiwei a été emprisonné pendant 81 jours dans une cellule exigüe, éclairée de néons 24h/24. Deux policiers se tenaient en permanence à quelques centimètres de lui, y compris pendant qu’il dormait, se lavait ou déféquait. Atteinte à la dignité, violence, nudité : les images crues des conditions dégradantes de son emprisonnement sont enfermées dans six boîtes comme autant de cauchemars. On pense à Primo Levi.
Ses sculptures, installations et films sont des coups de poignard ou plutôt, des bras d’honneur, à l’instar du papier peint humoristique qui tapisse l’une des salles de l’exposition. On sourit ! La brutalité du gouvernement chinois veut faire taire l’esprit libre d’Ai Weiwei. Mais l’art est une arme politique absolue. Et comme il le dit si bien : « The art always wins. Anything can happen to me, but the art will stay« .
On lui souhaite de longues années de création.
Juliana Angotti, en direct de Londres