Architecture
Les Arcs : un laboratoire architectural en altitude
18 FéVRIER . 2016
Autrefois hébergés dans de simples petites maisons de pierre rassemblées autour d’une église, les vacanciers à la neige ont façonné le paysage des montagnes au XXeme siecle. Au début des années 1930, alors que les skieurs affluent en masse, on se décide enfin à construire. Mais le résultat donne des stations sans unité et sans âme, où l’on lotit aussi vite que l’on vend.
A partir de 1960, les promoteurs renoncent à vendre des hectares aménagés pour s’orienter vers le mètre carré construit, plus rentable. La montagne devient un produit qu’il faut vendre au meilleur ratio et dont l’emballage se doit être soigné. Rentrent alors en scène les architectes, comme à Avoriaz ou à Flaine…
Dans ce contexte que démarre la conception des Arcs. Roger Godino, aménageur, marqué par les premiers projets à Avoriaz, va judicieusement décider de faire appel à l’architecte Charlotte Perriand. Il voit en l’amoureuse de la montagne et de la modernité celle qui pourra promouvoir, non pas une usine à ski mais « une approche humaniste des vacances à la montagne». L’enjeu est de taille, il s’agit d’intégrer à terme 30 000 lits sur les trois sites des Arcs, 1600 – 1800 – 2000.
Nous sommes en 1967 et cette associée de Le Corbusier n’en est pas à sa première sortie en montagne. Elle l’explore pour se ressourcer. De là naissent certaines de ses réflexions autour du cadre de vie minimal pour l’homme, comme son projet de refuge d’altitude démontable. Le projet des Arcs, de la ville à l’appartement, sera donc pour elle l’occasion d’intégrer le fruit de ses recherches et nombreux voyages.
Cette aventure, l’œuvre d’une vie, durera plus de vingt ans. Projetant l’habitat en montagne comme un laboratoire d’idées, Perriand inventera tout. Assistée par l’Atelier d’Architecture en Montagne, elle met en place un cahier des charges décliné sur les trois sites. Les bâtiments épouseront les pentes, leurs toitures seront plates, pour disparaitre une fois enneigées. Les balcons, largement ouverts sur le paysage, ne se superposeront pas de façon à éviter les vis-à-vis. Et pour l’architecte, leurs balustres seront « fardées comme les yeux d’une femme, de couleur bleue ou verte »…
A l’intérieur, Charlotte Perriand prolonge sa vision avant-gardiste. La cuisine-bar s’ouvre sur la pièce à vivre en double hauteur. Le mobilier est intégré. Les rangements sont sous l’escalier, à la japonaise, tout comme les lampadaires en papier Noguchi. Une banquette en estrade se poursuit à l’extérieur, de façon à agrandir visuellement l’espace. La salle de bain-cabine est une coque préfabriquée en polyester dont Perriand fera réaliser les prototypes en Bretagne. Chaque cabine sera installée dans les appartements par grue, au fur à mesure de l’avancement. Le planning tendu des livraisons a parfois donné lieu à des situations cocasses, comme le raconte l’architecte dans son autobiographie Une vie de création : une salle de bain entière « égarée » au beau milieu de la route avant Noël !
Ces aménagements intérieurs et son architecture standardisés ne seront jamais pour autant déshumanisés. Bien au contraire. Une délicatesse rustique d’une sensualité simple, où partout on sent les influences japonaises de l’architecte, elle qui a vécu de nombreuses années sur l’archipel.
Si les hommes ont progressivement colonisé la montagne pour les loisirs, des maisons de pierre jusqu’aux barres monumentales, rarement comme aux Arcs les théories les plus avant-garde ont eu la chance d’être réalisées. Véritable laboratoire d’idées mis en place par une architecte au sommet de son art et soutenue par un promoteur avisé, Les Arcs seront l’apogée d’un système, d’une époque.
Jean-François Maccario