Art
Singapour Arty
29 AVRIL . 2016
Alors que la cité-Etat vient de fêter son demi-siècle d’indépendance, l’ambition culturelle de Singapour éclate au grand jour avec, notamment, la nouvelle National Gallery ou la création d’Art Singapore, par le fondateur d’Art Basel. Le nombre de galeries s’accroît de façon exponentielle, de même que les grands projets culturels et le nombre de collectionneurs.
Objectif : faire de Singapour l’un des principaux hubs de l’art contemporain mondial.
La chaleur et l’humidité brouillent les lignes des tours en front de mer. 35°C, 95% d’humidité, en short et en tee shirt on a déjà trop chaud. L’atmosphère tropicale est écrasante. A première vue, rien ne distingue Singapour des grandes mégalopoles asiatiques mondialisées : flotte d’A380 griffés sur le tarmac, terminal de verre et d’acier high tech, skyline interminable et panneaux à l’écriture spaghetti indéchiffrables pour le commun des occidentaux. Sauf qu’en moins de dix ans, cette petite suisse d’extrême-orient est devenue l’un des principaux lieux du marché de l’art. Elle investit des dizaines de millions de dollars par an dans la culture. 650 millions en l’espèce pour la National Gallery récemment entièrement rénovée par Milou, cabinet d’architecture français de classe internationale.
Le port est devenu l’Eldorado régional pour les galeries et les artistes. La valse du marché captive un grand nombre d’acteurs hypnotisés par la flambée des cours. Singapour cherche les grands noms, les marques, veut que tout arrive tout de suite. Le succès et l’argent. Mais le marché tue l’art. Dès la sortie des écoles d’art, comme Lasalle, les locaux exigent d’être vendus aux enchères. Car la profession d’artiste n’est pas encore considérée comme sérieuse à Singapour. Et les tagueurs ou grapheurs encourent 6 mois de prison… et des coups de canne !
Signe des temps, en mai dernier, la Pinacothèque de Paris, qui connaît pourtant des difficultés financières, a ouvert une antenne remarquée et remarquable à Singapour. Y sont exposés quelques dizaines de chefs-d’oeuvre de l’art contemporain, moderne ou premier, issus d’importantes collections privées et qui dialoguent dans des expositions fort bien mises en scène. Dans un environnement de rêve, sur les hauteurs, au milieu d’un immense jardin tropical, les enfants s’éveillent à l’art plastique, au milieu des jeunes mariés qui viennent s’y faire photographier. Des scènes bien éloignées de la frénésie de shopping des galeries d’Orchard Road, où il est plus facile de trouver un sac Chanel, ou une montre Richard Mille, que des tableaux ou des sculptures. Quoique …
L’Opéra Gallery dispose d’un très bel espace dans le mall le plus luxueux de la ville, où elle expose aussi bien Banksy, Koons, qu’André Brasilier. Non loin de là, Jasmine expose sur près de 9000 mètres carrés, où l’artiste français Cyril Kongo a sa propre salle d’exposition. Ses vernissages sont courus et son restaurant, ainsi que son bar à whiskies et à cigares également. Ce n’est pas tout. Les cafés galleries et concept stores se multiplient et offrent un véritable supplément d’âme à l’expérience shopping. Aujourd’hui le gouvernement consacre 0,3% du PIB à la culture et vient d’inaugurer en novembre 2015 la nouvelle National Gallery. Sa réouverture, après 4 ans de travaux, l’impose d’emblée comme le plus grand musée d’art moderne d’Asie du Sud Est. Deux bâtiments coloniaux reliés par une toiture en fine draperie de verre et d’acier conçue par l’architecte Jean-François Milou. L’ensemble donne une impression de légèreté. « La toiture est un ouvrage très complexe, une draperie de verre et d’acier qui permet de filtrer la lumière intense, mais plate, de Singapour », explique l’architecte. 8000 oeuvres, un musée, des restaurants, des boutiques, le complexe magnifiquement réalisé est résolument ouvert sur la ville. Et sur le monde, avec des approches thématiques et transnationales dans la présentation des oeuvres du sud-est asiatique ou les collaborations annoncées avec les plus grandes institutions mondiales. De la Tate à Pompidou…
Singapour entend désormais montrer qu’elle est une démocratie métissée, gardienne d’une culture à la fois anglaise, malaise et chinoise. Mais il aura fallu attendre les années 90 et l’ouverture de The Substation, pour voir apparaître un premier centre d’art contemporain à Singapour suivi par The Artist Village. Une effervescence qui a permis la formation d’artistes et de curators comme Khairuddin Hori, aujourd’hui directeur adjoint de la programmation du Palais de Tokyo. Signe de maturité et de l’optimisme de la communauté artistique locale qui tente de sortir de la notion d’Asie du Sud pour « revenir à la notion d’archipel ». En 2012, le quartier de Gillman Barracks est rénové à grand frais et investi par de nombreuses galeries d’art. Ancien directeur d’Art Basel, Lorenzo Rudolf y organise une grande foire d’art contemporain. Les projets se multiplient, comme Art Stage, ou Affordable Art Fair, et les résidences d’artistes se développent. « L’art est devenu une priorité nationale du gouvernement depuis plusieurs années, confie Lorenzo Rudolf. La scène artistique y est foisonnante, les artistes locaux ont pris de l’ampleur, les collectionneurs aussi, c’est un véritable hub régional. L’ouverture de musées d’envergure internationale devrait conforter sa place sur l’échiquier mondial entre l’Europe et les Etats-Unis. C’est sûr, maintenant c’est ici que ça se passe. »
Mais le paysage arty de l’ancienne cité de l’empire britannique n’est pas uniquement gouvernemental ou officiel. On y trouve les éternels landmarks, comme le douaire d’Esplanade, un vaste complexe qui mérite assurément le détour avec théâtre, salle de concert, et multiples espaces d’expositions temporaires et sculptures publiques. Mais il faut surtout compter sur la vibrante activité, comme à Kandahar Street, d’entrepreneurs privés. Comme Marie-Pierre et Louise, qui exposent des artistes locaux. « Il y a ici un nombre grandissant de collectionneurs qui achètent de l’art de la région, explique Louise. Les clients amènent leurs amis, cela se fait petit à petit, mais nous souhaitions apporter autre chose que les grands noms déjà présents à Hong Kong ou ici. Et nous accompagnons le développement des foires comme Art Stage. C’est passionnant ». Autour, plusieurs galeries avec chacune leur niche. La preuve que l’art est devenu une composante majeure de la marque Singapour. Tout semble en tout cas réuni pour faire de l’ancienne colonie britannique un véritable carrefour de la culture contemporaine asiatique.
Thibaut Mortier