Camondo : l’hôtel des disparus

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28AVR. 2017

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Camondo : l’hôtel des disparus

28 AVRIL . 2017

Écrit par Elsa Cau

En 1945, tout est fini. A l’ombre du grand hôtel de la plaine Monceau, les mille vies de la famille Camondo se sont envolées. Pourtant, les lieux sont imprégnés de leur présence. Plus qu’un musée, l’hôtel particulier du 63 rue de Monceau est le vibrant témoignage d’un âge d’or.

 

Fides et Caritas
De ces Juifs séfarades originaires d’Espagne, chassés par l’Inquisition, tour à tour Autrichiens, Italiens, Turcs puis Français, que reste-t-il ? Des œuvres d’art, des meubles, des objets, souvenirs subtils de plusieurs siècles mouvementés pendant lesquels les Camondo se sont distingués. On croirait presque à l’ambiance paisible que nous renvoient les salons de l’hôtel particulier parisien. Traversant cet intérieur du meilleur goût, parfait reflet de l’art de vivre français du XVIIIe siècle dans ce qu’il a de plus raffiné, on ne se douterait pas des réalités qu’il dissimule.

D’exil en exil, les Camondo se sont fait un nom dans le milieu de la finance internationale. Leur banque, fondée en 1802 par Isaac de Camondo, compte parmi les fondateurs du système bancaire moderne en Turquie. La famille finance en grande partie la construction du quartier d’affaires Galata, dans l’ancienne Constantinople, mais aussi les écoles ou encore l’immobilier, les rues et les escaliers qui portent leur nom. Partout, dans la ville-mère des Camondo, on trouve des traces de ces débuts glorieux. Plus tard, les Camondo soutiendront financièrement la réunification italienne par le roi Victor Emmanuel II, dont la famille obtient son titre comtal en 1867. Sa devise – Fides et Caritas, « foi et amour », la foi s’appliquant ici à l’être humain, pouvant être traduite par confiance, alliée à l’amour ou la charité- en dit long sur son esprit philanthropique. Une parfaite ironie du sort, quand on connaît le leur.


Un écrin rue Monceau
Au cœur des années fastes du Second Empire, les frères Abraham-Behor et Nissim de Camondo s’installent à Paris. Leur ambition s’affiche sur leurs hôtels particuliers, voisins, de la plaine Monceau. Leurs fils, Isaac et Moïse de Camondo, délaissent les affaires, se contentant de gérer leur fortune.

Isaac se passionne pour les estampes japonaises, les objets d’art d’Extrême-Orient, la peinture impressionniste –qu’il lègue au musée du Louvre en 1911. Moïse ne jure que par le XVIIIe siècle français. Cette année-là, il fait démolir l’hôtel du 63 et charge l’architecte René Sergent de le reconstruire.

Le défi est de taille : s’inspirer de l’architecture et de la disposition des pièces en vogue au XVIIIe siècle, tout en répondant aux exigences modernes de l’habitation privée du XXe siècle, qui dissocie vie publique, vie privée, service domestique et dispose du confort moderne. Derrière les boiseries XVIIIe se cache donc l’attirail nécessaire au bon fonctionnement de la maison : batteries de chauffage, tuyauterie, câbles électriques et colonnes d’aspiration par le vide… Eau, gaz, électricité et téléphone font ainsi bon ménage avec les fragiles porcelaines de Sèvres, les tapisseries des Gobelins ou encore les meubles et bronzes délicats destinés aux souverains du XVIIIe siècle. En 1914, c’est un tour de force que peut admirer le Tout-Paris : l’hôtel, qui se veut une réinterprétation moderne d’une demeure du XVIIIe siècle, n’en fait ni trop, ni trop peu. Elégant, moderne et fonctionnel, tout en subtiles références, il trône aux abords du parc.

 

 

 

Au musée Camondo, on ne sait plus où poser le regard : d’Oeben à Riesener, les plus grands ébénistes de l’âge d’or artistique français se succèdent sous nos yeux. Que dire de ces chiffonnières réalisées pour la reine Marie-Antoinette à Saint-Cloud ? De ce paravent pour le salon des jeux de Louis XVI à Versailles ? Du merveilleux bonheur-du-jour recouvert de plaques de porcelaine de Sèvres, estampillé Martin Carlin ? Du service Buffon de la manufacture de Sèvres au décor d’oiseaux, ou encore des portraits peints par Elisabeth Vigée-Lebrun, François-Hubert Drouais, Jean-Baptiste Oudry…

Divorcé, Moïse vit seul avec ses enfants, Nissim et Béatrice, qu’il chérit tant. A la mort de son fils au combat aérien en 1917, Moïse ferme la banque et se retire du monde. Jusqu’à sa propre mort en 1935, il « reconstitue une demeure artistique du XVIIIe siècle », pour la léguer à l’Etat Français, en mémoire de son fils, qui aurait dû l’habiter au retour de la guerre. Ce qui confère cette atmosphère si étrange, si vivante à la fois quand on pénètre dans l’hôtel particulier des Camondo, vient de cette volonté : tout est disposé tel que l’a imaginé le comte, comme s’il venait à peine de quitter les lieux. Une superbe demeure, habitée par la nostalgie d’un temps révolu. La fille de Moïse, Béatrice, son mari Léon Reinach et leurs enfants Fanny et Bertrand meurent brutalement, spoliés puis déportés dans les camps Nazis pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Des Camondo ne demeurent que les collections : il n’y a que l’art qui survit au temps.

 

Elsa Cau

Musée Nissim de Camondo
63, rue de Monceau, 75008 Paris
Du mercredi au dimanche, de 10h à 17h30
Entrée 9€ / Tarif réduit 6,50 €

 

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