Culture
Foujita : virtuose du trait, mondain des Années Folles
05 AVRIL . 2018
Il aurait été dommage de le laisser dans ce relatif oubli. Coupe au bol, lunettes rondes, tenues aussi extravagantes que les soirées auxquelles il assistait, le peintre japonais Foujita n’est pas passé à la postérité comme Picasso, Chagall ou Modigliani, qu’il côtoya pourtant, mais mérite largement la mise en avant que lui offre le musée Maillol. Cap sur trois piliers de cette exposition ambitieuse, inédite et impertinente.
Montparnasse, 1913
Si Foujita est le centre du parcours proposé par le musée Maillol, le Paris des Années folles en est le cadre indissociable. Né au Japon en 1886 dans une famille prestigieuse mais déclassée, Foujita intègre les Beaux-Arts de Tokyo où il étudie d’abord la peinture traditionnelle avant de se diriger vers l’art occidental. Il embarque pour Paris dès 1913 où il est emmené à Montparnasse, le quartier des artistes de l’époque : délaissant Montmartre à cause de la modernisation immobilière en cours, les génies de l’art du XXème siècle s’y sont installés, sous l’impulsion du Douanier Rousseau. Peintres, intellectuels et mondains se rejoignent des cafés en salles de bal et en maisons closes, entre La Coupole, la Rotonde et le Bal nègre…
“À Paris, dans ce curieux quartier de Montparnasse où se coudoient toutes les races, est peut-être en germe cet art nouveau, prodome de l’unification du monde” – Paul Husson
Après la guerre, il devient d’autant plus nécessaire pour cette lost generation de s’étourdir dans le jazz, l’alcool et la création artistique. Foujita embrasse cette époque avec passion ; francophile convaincu, ami des plus grands, aux bras de ses compagnes successives, il s’imprègne de la culture parisienne avec ferveur, même s’il doit quitter Paris en 1929 suite à sa banqueroute personnelle. Après de longs voyages au Japon, aux États-Unis puis en Amérique latine, Foujita revient définitivement à Paris en 1950, converti au catholicisme.
Entre Occident et Orient
À Montparnasse, Foujita se lie d’amitié avec Picasso, Soutine, Zadkine, Derain, Chagall, Modigliani, Delaunay… Ses toiles sont imprégnées de ces références plurielles. Chaque œuvre peut se rattacher à l’un de ces artistes, quand Foujita ne prend pas pour inspiration les grands maîtres de la peinture tels que Michel-Ange. Son originalité réside toutefois dans sa capacité à insuffler à ses toiles son idée du Japon traditionnel ; non celui qui se vit à Tokyo au début du XXème siècle, mais celui qu’il a étudié, imaginé, fantasmé.
“On me prédisait que je serai le premier peintre du Japon, mais c’était le premier peintre de Paris que je rêvais d’être” – Léonard Tsuguharu Foujita
Aussi, s’il peint des nus, genre quasiment inconnu dans son pays à l’époque, c’est avec des pinceaux japonais. Son trait rappelle les estampes de l’Empire du Soleil Levant ; ses grands décors se parent d’un fond d’or et les peintures se confondent avec des dessins tant la matière est appliquée avec parcimonie. Onirique, totale, son œuvre s’imprime sur les toiles mais également jusqu’à son propre style vestimentaire qui fait cohabiter haut-de-forme et kimono. Bien avant Andy Warhol, Foujita se met en scène et compose ainsi une œuvre qui, malgré ses nombreuses variations, demeure cohérente.
Un style et une esthétique uniques
Et ces œuvres en surprendront plus d’un. Des enfants aux yeux écarquillés, des nus à la peau ivoire, des fresques monumentales, des chats, des natures mortes… Le dessin est parfois cabossé, le bon goût (si tant est qu’il existe) parfois douteux, mais il est indéniable que personne ne restera indifférent face à ces travaux si variés.
Artiste surprenant, il défend une figuration expressive, fidèle à la beauté du Japon traditionnel mais enrichie des extravagances parisiennes, loin d’un quelconque académisme. Travailleur acharné, il organise plus de 250 expositions, peint, grave, illustre, le tout entre deux soirées jusqu’au petit matin. Un jour dandy, une nuit drag queen, peintre et performer, travailleur et mondain (mais jamais d’alcool, s’il vous plaît), Foujita saura, si ce n’est vous convaincre, au moins vous interpeller et vous faire (re)tomber amoureux de la plus belle ville du monde.
Louise Bollecker