Culture
Georges-Henri Pingusson, 50 ans de modernité à la Cité de l’Architecture
18 MAI . 2018
Contemporain de Robert Mallet-Stevens, Jean Prouvé ou encore Le Corbusier, Georges-Henri Pingusson est l’oublié de la période moderniste. Une négligence réparée grâce à la rétrospective qui lui est consacrée à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine jusqu’au 2 juillet. Attention, exposition d’initiés !
Par Pauline Da Costa Sampieri
Pingusson, ça se mérite : l’exposition conçue chronologiquement déborde littéralement d’archives qui mettent en lumière l’oeuvre de l’architecte, designer et urbaniste. Cette richesse de documents supplée le peu d’objets et meubles exposés… Néanmoins, l’exposition très dense revalorise cette personnalité discrète à la production confidentielle. Retour sur deux chef-d’oeuvres révélant la sensibilité de l’architecte.
Le Latitude 43 à Saint-Tropez, chef-d’oeuvre hôtelier
Un vent de liberté souffle dans le Saint-Tropez des années 30. En six mois seulement, un drôle d’édifice est érigé : Le Latitude 43, palace de la côte inauguré en juillet 1932. Première barre de plus de 100 mètres fendant le paysage méridional, ce complexe est la merveille de Pingusson. Si quelques détracteurs trouvent à redire dans la conception du bâtiment, il offre cependant à l’architecte une reconnaissance internationale.
Tout y est pensé dans le moindre détail. L’orientation Nord du golfe de Saint Tropez est compensée par l’élaboration d’une double exposition qui ordonne alors la forme de l’immeuble. Au Sud, une loggia, au Nord un panorama offrant une vue sur la baie.
Conçu dans le style international, moderniste, l’ensemble comprend un piscine aux proportions olympiques, plusieurs terrains de tennis, un casino… Un confort cossu qui détonne avec l’aménagement intérieur des 110 chambres conçues à la manière de cabines de paquebot. L’utilisation de hublots, le profil effilé du bâtiment, la circulation par coursive sont autant d’éléments appartenant à ce vocabulaire stylistique alors en vogue.
Le lieu est d’ailleurs défini par l’architecte lui-même comme une « cellule anonyme, suspendue entre deux horizons sans autre liaison avec la vie commune qu’un fil téléphonique ». Cette rigueur et ce dépouillement monacal offrent toute la quiétude essentielle au temps de repos estival. La faillite du maître d’ouvrage en charge de la construction mène au naufrage du Latitude 43 qui sera vendu, en 1949, en plusieurs lots après des transformations irréversibles. Le bâtiment est, de nos jours, une résidence privée…classée.
Le Mémorial des martyrs de la Déportation à Paris, pour une sensibilité moderniste
Situé à la pointe de l’Île de la Cité, réalisée entre 1953 et 1962, c’est l’oeuvre d’un Pingusson poète qu’on découvre, recherchant avant tout l’harmonie avec le site. L’horizontalité, formée par le niveau du fleuve, devient la règle de construction. L’architecte ira même jusqu’à refuser toute statuaire !
Cette architecture est conçue comme un voyage spirituel fait d’étapes : d’abord la traversée du square, puis la descente d’escalier, vient ensuite le parvis laissant voir une porte étroite que l’on emprunte pour arriver à la crypte. Là, 200000 bâtonnets de verre symbolisent la mémoire de chaque déporté. Cette invitation au recueillement est largement inspirée de la conception de l’espace japonais. Composition symétrique, temps de pause, transitoire, perspective brouillée, le visiteur ne peut pas s’approprier le lieu. Le Mémorial des martyrs de la Déportation est l’aboutissement d’une pensée sans compromis.
Grâce au fonds d’archives très complet laissé par l’architecte et conservé au Centre d’archives de la Cité de l’architecture et du patrimoine, on redécouvre ses nombreux projets de villas sur la Côte d’Azur, tout au long des années 20, qui retracent les étapes de son évolution stylistique. Ainsi se dégage peu à peu cette fameuse esthétique “paquebot”, encore mêlée à la synthèse des lignes modernistes et des styles régionaux, jusqu’à la réalisation de sa première oeuvre parisienne, le Théâtre des Menus-Plaisirs en 1930, qui déjà révèle son style singulier.
P.DCS.