Culture
Bourgogne Tribal Show : quand l’art venu d’ailleurs s’invite dans les pâturages français
01 JUIN . 2018
Vous pensez pénétrer dans un espace clair-obscur, aux quelques pièces d’art exotique inaccessibles, éclairées seulement d’un faible faisceau de lumière jaune ? Raté. Le Bourgogne Tribal Show abat tous vos préjugés et les codes du marché de l’art avec. Afrique, Océanie, Amériques, Asie, Egypte, Grèce et Rome Antique se réunissent près de Cluny pour repenser leur discipline, un verre de Bourgogne à la main… Retour sur cette troisième édition champêtre.
Comment les nommer, ces spécialités ? Art primitif ? Terminé. Art premier ? Réducteur. Art traditionnel ? Trop vague. “Si on ne dit plus art nègre, on ne sait toujours pas comment nommer ces arts venus d’ailleurs” souligne, en préambule du catalogue, l’équipe organisatrice, Gus Adler & Filles. Et pourquoi pas faire un état des lieux ? C’est l’objectif long terme que s’est fixé le Bourgogne Tribal Show.
En cette troisième édition, parmi ses vingt-deux participants, on comptait ainsi une nouvelle recrue : Laura Bosc de Ganay, spécialiste des objets archéologiques du bassin méditerranéen. Les divers objets de culte, statuettes et autres objets antiques (parmi lesquels un clou de fondation en argile inscrit de cunéiformes, la première écriture connue, datant du XXe siècle avant notre ère) côtoyaient donc les masques Africains de diverses ethnies (notamment une paire de masques Yaka à la galerie Didier Claes, dans un parfait état de conservation), les coiffes (comme ce superbe oko oré, la coiffe traditionnelle portée par les dignitaires Kayapo, en Amazonie, présentée par la Galerie Flak) et outils d’Amériques centrale et du sud, les sculptures asiatiques et quelques pièces d’art contemporain.
Une joyeuse assemblée réunie à Besanceuil, à quelques jets de pierre de Cluny, chez le galeriste Bruno Mory. Installés dans les dépendances de la propriété, les marchands se mettent en scène dans les vieilles pierres : et ça fonctionne. On y trouve aussi, entre autres, artisans et restaurateurs d’oeuvres d’art, librairie, buffet champêtre -côte de boeuf et vin de Bourgogne pour tous- et orchestre de jazz. Et, comme nos Grands Ducs sont toujours présents au bon endroit, on en rencontre deux sur place, Edouard Bernard et Hadrien Brissaud, courtiers en assurances d’oeuvres d’art et partenaires du BTS : “La foire est jeune, atypique et innovante. Ce dynamisme et cette originalité assumée correspondent à la vision que nous nous faisons, en tant que jeunes partenaires, du marché de l’art actuel, de la direction qu’il tend à prendre.”
Mais repenser les frontières des “arts du monde” ne constituait pas le seul objectif de la foire bourguignonne : il s’agissait également de se rendre accessible, notamment aux jeunes collectionneurs. Plusieurs marchands proposaient ainsi des pièces à moins de mille euros, à l’image du marchand Laurent Dodier, qu’on retrouvera, dans un tout autre registre en septembre… A la Biennale de Paris.
Cette remise à plat des multiples spécialités des arts extra-européens était également l’heureuse occasion de donner la parole au galeriste Jean Roudillon, truculent Président d’Honneur de cette troisième édition du BTS. “Je suis le dernier des mohicans. J’ai quatre-vingt-quinze ans, et j’ai vécu l’évolution du marché de l’art pendant sept décennies. En 1931, pendant l’Exposition Coloniale j’avais huit ans.” Le dernier des mohicans aura vendu à André Breton, Tristan Tzara et Jacques Lacan, fréquenté Salvador Dali à New York, ouvert sa première galerie à Saint-Germain-des-Prés en 1946. Une vie mouvementée d’esthète, en somme. “Un objet, c’est un compagnon, un ami (…) On paye un droit de location pour avoir l‘objet chez soi, pour vivre avec, pour en profiter et en jouir. Cela n’a pas de prix.”
De ce siècle d’évolution de l’art tribal, des premiers amateurs, avant-gardes de la scène artistique, au marché actuel, où en est-on ? Des grands musées aujourd’hui disparus, comme le musée d’ethnographie du Trocadéro -celui-là même où Picasso découvre l’art extra-européen au début du XXe siècle, ancêtre du Musée de l’Homme, au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, l’état des lieux est passionnant. Avec, toujours, un seul objectif : présenter des “oeuvres d’art qui nous font voyager loin d’ici, loin de nous.”
E.C. (texte et photographies)