Culture
Nicolas de Staël, dernières années solaires à Aix-en-Provence
04 JUILLET . 2018
Si vous ne deviez voir qu’une seule exposition de l’été, c’est celle là, absolument. Nicolas de Staël à l’Hôtel de Caumont d’Aix-en-Provence. Une expérience aux sources de l’abstraction, solaire, totalement provençale et révolutionnaire. Du jamais vu.
Par Aymeric Mantoux
En cette fin avril, il y a foule des grands jours devant le porche magistral de l’Hôtel de Caumont. Malgré la chaleur caniculaire, le dress code demeure très BCBG. Robes à fleurs pour les dames, costume et cravate de rigueur pour ces messieurs.
C’est qu’on ne « vernit » pas n’importe qui ce soir à Aix en Provence. Le petite prince de la peinture, parti trop tôt, aujourd’hui recordman des ventes aux enchères, Nicolas de Staël. Sa fille est là. Elle devise avec la Maire dans le vestibule qui mène aux étages. Pas de trace de Gustave, le quatrième fils, commissaire de l’exposition, qui ressemble à s’y méprendre à son paternel, comme on le découvre dans les vidéos qui accompagnent les 71 peintures et 26 dessins rassemblés pour la première fois.
Ca n’a l’air de rien, mais rassembler tant d’œuvres majeures de l’artiste français est un haut fait artistique. Faute d’avoir été collectionné par les institutions publiques, Stäel est surtout présent dans les collections internationales, principalement américaines. Les Wertheimer figureraient au premier rang d’entre-eux.
La plupart des pièces présentées ici, comme Ciel en Vaucluse, Paysage ou Arbres rouges, possèdent la particularité d’avoir été toutes réalisées entre juillet 1953 et juin 1954 lors du séjour de l’artiste en Provence. Un tournant dans sa vie et dans ses inspirations. Comme tant d’autres, Nicolas de Staël est subjugué par la lumière du midi, la beauté des paysages, et transfiguré par l’amour. La scénographie de l’exposition restitue bien l’intensité de la démarche, alternant petits et grands formats avec douceur, en tenant la main du visiteur.
On frissonne lorsqu’on lit le peintre, suicidé l’année suivante : « Je me suis mis sur dix tableaux neufs tout d’un coup. C’est si triste sans tableaux la vie que je fonce tant que je peux. Il y a un mistral à tout casser depuis hier. Il fait froid » (Ménerbes, mai 1954). Les grands aplats de couleur caractéristiques du maître, ses larges coups de pinceau, ne sont rien à côté de ses fulgurances. Une grande bleue. Une grande verte. Une grande orange. Chaque œuvre est une claque. Comme une ode à la vie, au printemps, à l’été, à Giono. Le blé en herbe, les ciels parfois roses, on est si loin des poncifs du midi et de la provence. C’est une grande et belle leçon de peinture, loin des querelles de chapelle.
Nicolas de Staël, à la confluence de l’abstraction et de la figuration, véritable pionnier de la seconde, met tout le monde d’accord. C’est un géant de la peinture, au destin de titan, auquel cette exposition rend un hommage magistral. Les toiles sont intenses, émouvantes, pas une seule ne laisse indifférent. Certaines figurent d’ailleurs parmi les plus importantes de sa carrière. Elles ont été présentées à l’époque par Paul Rosenberg, son marchand, lors d’une grande exposition à New York, à propos de laquelle Staël écrivait : « Je vous donne là avec ce que vous avez, de quoi faire la plus belle exposition que je n’ai jamais faite ». Il faut assurément rendre grâce au commissaire et à la famille de nous permettre de l’avoir reconstituée. Cela ne se reproduira sans doute jamais. A ne manquer sous aucun prétexte, donc…
A.M.