Gastronomie
Château Marjosse, le Bordeaux qui a tout d’un grand
13 NOVEMBRE . 2018
Anticonformiste et franchement génial, Pierre Lurton, descendant d’une des familles bordelaises les plus influentes du vin, est un viticulteur inspiré. Seul à vinifier deux 1ers grands crus classés, il possède son propre domaine, Château Marjosse, un « simple » entre-deux-Mers déjà culte.
Par Aymeric Mantoux
Comme la noblesse française a son annuaire et ses quartiers, les bordelais ont leur classement et leurs tonneaux. Et sur ces deux derniers sujets, entre autres ayant trait au vin, la famille Lurton, originaire de Grézillac, dans l’entre-deux-mers, est reine. Ce n’est donc pas anodin que Pierre Lurton, dixième du nom, y ait posé ses chais.
Il y a une quinzaine d’années, ce petit blond-châtain débonnaire mais follement chic, tombe amoureux d’une antique bastide, sise au milieu de la Dordogne et de la Garonne, dans le fief familial. Historiquement, le vignoble, particulièrement fertile en raison des alluvions, donne des vins blancs secs ou moelleux, dont la réputation est loin d’être extraordinaire.
Pierre Lurton n’en a cure. Il a du bon sens et du flair. C’est quand même le seul, après avoir vinifié Clos-Fourtet à Saint-Emilion, à présider aux destinées de Château Yquem et Château Cheval Blanc, deux des plus grands vins du monde. Quand les orthodoxes du vignoble crient au parjure, l’idée même séduit cet homme plein d’humour.
Exploiter son propre vignoble quand on s’appelle Lurton eut été impensable. Mais quand on se prénomme Pierre, impossible de ne pas surprendre. Saint-Emilion ? Trop peu pour lui. Il a choisi quelques dizaines d’hectares en entre-deux-mers, qu’il plante majoritairement… en rouge ! Et tant pis pour les ignorants.
Pierre Lurton, qui rappelons-le, a créé Cheval des Andes avec Nicolas Audebert (Château Canon, Rauzan-Ségla), rêvait de réimplanter le Malbec à Bordeaux, et a trouvé les vignobles indiens ou chinois de LVMH, aura tôt fait de leur rappeler l’élégance et le soyeux de ces cépages.
Quitte à être original, autant être bon, mais pas prétentieux… La première année, le rouge et le blanc sortent à 5 € la bouteille. Loin, très loin des fantasmes qui agitent les quais des chartrons et les négociants du Médoc. Quinze ans plus tard, les 2015 et 2016 ont pris quelques euros par quille. Cela n’empêche pas Marjosse de remporter haut la main le titre de meilleur rapport qualité-prix.
Et en déguste ? Les anciens millésimes tiennent la route d’une façon étonnante. Les émotions ressenties récemment en buvant des 2005 ou 2006 sont par exemple exceptionnelles. Dans ses bouteilles les plus anciennes, Cabernet et Merlot d’un côté, Sauvignon et Sémillon de l’autre, expriment toute leur fraîcheur et leur élégance. »Vin de soif et de plaisir« , comme l’annonce immodestement Pierre Lurton ? Château Marjosse est cela. Mais bien plus encore. Nous l’avons testé et approuvé depuis des années.
A.M.