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Les Grands Ducs aux îles anglo-normandes (1/2) : les voix et les visages de Jersey
30 NOVEMBRE . 2018
Première étape de notre double escale au cœur de la Manche, Jersey cultive l’excentricité british et l’art de vivre à la française. Ce caractère bien trempé, ce sont naturellement les Jersiais eux-mêmes qui en parlent le mieux. Ça tombe bien, puisque nous avons rencontré sur place certains des plus truculents personnages de l’île… qui n’ont pas manqué d’ajouter à notre to do list quelques spots et adresses de choix.
Par Damien Guillou
De la chance, du flair, un french accent mal caché, la curiosité toute ilienne des locaux ? Ou peut-être tout cela à la fois… Bref appelez cela comme vous voulez, mais dès la sortie du ferry, un peu moins d’1h30 après le départ de St-Malo (observer la vieille ville quand on quitte le continent est un spectacle époustouflant !), on a eu la sensation de croiser ceux qu’il fallait croiser pour rendre notre escapade toujours plus douce.
Tout commence par la poignée de main déterminée de Mark Jordan, rencontré au beau milieu du Jersey Market, à Saint-Hélier. Là, le chef le plus en vogue de l’île (on y revient plus tard) nous vante la saveur de la fameuse Jersey Royals (“une pomme de terre unique au monde”) et la fraîcheur des fruits de mer du coin, en particulier ceux de la Faulkner Fisheries, où il se sert en homard, crabe et araignée de mer. La maison, une institution locale, siège dans un ancien bunker où l’on peut se fournir ou déguster sur le pouce d’excellents sandwiches avec vue sur la baie de St-Ouen. Plaisir coupable, tout aussi irrefusable que l’invitation de Mark Jordan à venir nous attabler dans le restaurant qui porte son nom…
Dans l’antre de ce natif de Birmingham, pas de mobilier ostentatoire ou d’ambiance faussement tapageuse. La vue sur la mer, les St-Jacques rôties (une bombe !) et le homard du chef suffisent à passer un grand moment. Mark Jordan, lui aussi, est heureux : en 10 minutes autour d’un café avec un ami qui lui voulait visiblement du bien, il a choisi de quitter la cuisine du Ocean Restaurant (on en reparle aussi plus tard) et l’étoile Michelin qui allait avec. Moins de deux ans plus tard, l’ancienne gargote en décrépitude qu’il a rachetée est devenue the place to eat à Jersey.
Ce café qui a changé sa vie, on ne se sait pas si Mark Jordan l’a pris au Watersplash, mais qu’importe, puisque c’est bien dans ce repère de surfeurs que nous retrouvons un autre oiseau rare de l’île : Dave Ferguson. Gentiment goguenard à l’idée de croiser un French guy, ce photographe qui pige de temps en temps pour le Guardian est également le Président du club de surf de l’île (le plus ancien d’Europe).
Lui non plus ne tarit pas d’éloge sur certaines les spécialités du coin : “À Jersey, et particulièrement la baie de St-Ouen, aucun jour ne se ressemble, les conditions changent tout le temps. C’est ce qui en fait un spot unique au monde. Regarde aujourd’hui, ça va être pas mal du tout !” se marre-t-il alors que la pluie redouble d’intensité. “D’ailleurs, tu devrais en profiter pour aller faire des photos sur la côte nord”. Encapuché, on s’exécute et on fonce donc prendre un bol d’air iodée, de la baie de Plemont à la plage de Rozel (nos deux spots préférés).
Sur le sable ou au volant (à gauche, si vous choisissez de louer une belle ancienne pour l’occasion !), à flanc de falaise ou en pleine campagne, on se plaît à ne pas croiser grand monde et, au final, à s’aérer l’esprit autant qu’on se dégourdit les jambes. Car Jersey, c’est aussi cela : lever la tête, ranger sa carte, mettre son smartphone en sourdine, et apprécier de découvrir un bout de terre où même la nature se fait élégante, le tout sans jamais être dérangé.
Revigoré par les embruns et un coup de soleil salvateur, on file alors vers l’extrême sud ouest de l’île. Les jardins (et les chambres) de l’hôtel The Atlantic offrent incontestablement les plus beaux sunsets de l’île. C’est d’ailleurs là que Will Holland vient parfois récupérer quelques herbes aromatiques pour magnifier les assiettes du Ocean Restaurant, dont il est le grand manitou.
Originaire de Bristol, ce jeune chef passé par le Pays de Galles est tombé en amour pour Jersey, qu’il ne quitterait pour rien au monde. Une bonne nouvelle pour les amateurs de haute voltige culinaire : son aloyau de bœuf (de Jersey !) braisé en croûte est une folie, et on vous met au défi de ne pas fondre pour son parfait de citrouille glacée à l’heure du dessert. En salle et dans les travées de l’hôtel, même ambiance et même refrain : service impeccable d’un personnel venu d’ailleurs (une réceptionniste française, un responsable d’accueil portugais, un chef de salle hongrois, une serveuse polonaise et un italien…) et Jersey en guise de coup de cœur pour tous.
La liste des personnages hauts en couleur à s’être épris de l’île serait incomplète si on ne citait pas Nigel Mansell. Le champion de monde de Formule 1 y a en effet établi une collection où les amateurs de grande vitesse apprécieront forcément de faire escale.
Dans ce musée-garage aujourd’hui géré par son fils Leo, quelques monoplaces pilotées par le “Lion” (surnom donné à Mansell par les tifosi de Ferrari) et autres objets iconiques d’un pilote qui s’est souvent chicané à d’autres légendes des circuits comme Alain Prost ou Ayrton Senna.
Alors, pourquoi Jersey ? Les Mansell eux-mêmes n’ont peut-être pas la réponse à cette question. La douceur de vivre, bonnes adresses à l’appui ? Sans doute. Les barquettes de pinces de crabes (les meilleures que l’on ait dégustées) de Vicky Boarder, tenancière tout en gouaille de la Fresh Fish Company ? Assurément. On reprend donc le ferry jusqu’à Guernesey sans avoir percé tous les secrets de sa grande sœur, mais avec la conviction d’y repasser… et d’y (re)croiser ceux qui nous feront encore plus l’aimer.
D.G.