Gastronomie
Bordeaux : le nouveau style de Rauzan-Ségla
27 NOVEMBRE . 2018
Figurant parmi les premiers des grands crus bordelais, Rauzan-Ségla, la propriété de Margaux, est bien partie pour retrouver son lustre d’autrefois. En chef d’orchestre, Nicolas Audebert, un Grand Duc qui connaît la musique.
par Benoist Simmat et Aymeric Mantoux
Regardons le paysage. A travers la fenêtre à quatre panneaux de style médiéval, une mer de vignes, celle qui alimente les grands noms de Margaux, qui eux-mêmes constituent l’élite sud des célèbres crus classés du Médoc.
A Rauzan-Ségla, Margaux deuxième cru classé en 1855, nous ne sommes pas dans n’importe quelle propriété. Rauzan, pour les intimes, est bien entouré, mais si la propriété est longtemps restée discrète, les amateurs avertis savent qu’elle appartient à la légende des grands vins de Bordeaux. « Quand les courtiers bordelais, missionnés par l’Empereur Napoléon III, établirent leur fameux classement, Rauzan-Ségla fut, dans l’ordre protocolaire, le numéro deux des « deuxièmes crus classés »*, immédiatement derrière Mouton-Rothschild » explique avec son sourire de jeune premier Nicolas Audebert, aux commandes des lieux depuis bientôt cinq millésimes.
Alerte, facétieux, un rien charmeur, cet ex-LVMH (Cheval des Andes, en Argentine) est conscient de l’enjeu à chaque fois qu’il dispose lui-même sur la table des bouteilles du château à déguster. Cela ne doit rien au hasard. Au temps de Louis XIV, la propriété existe déjà et c’est en septembre 1661 qu’elle est rachetée par un certain Pierre Desmezures de Rauzan. Sa famille lui donnera son nom et l’identification de ce qui fonde son cœur qualitatif : 37 excellents hectares bien cartographiés sur les hauts du plateau, un terroir central irradiant sur les 70 hectares actuellement plantés en vignes.
En 1994, Chanel décide de racheter cette propriété endormie et de lui redonner son lustre d’antan. Démarre un patient travail de rénovation et de remontée progressive de la qualité. En 2014, Chanel entend parler d’un jeune prodige formé en Champagne et vinifiant le premier « grand cru international » d’Amérique du sud. Ils lui proposent de devenir directeur général de Rauzan-Ségla, ainsi que de leur propriété saint-émilionnaise, Château Canon. « Le potentiel sur ces deux propriétés est énorme, on les connaissait de réputation dans le milieu, je ne suis même pas venu les visiter avant d’accepter la proposition de Chanel« , raconte Nicolas Audebert, qui a troqué sans se retourner sa vie d’aventurier à Mendoza contre l’épicentre bordelais assez rigide des grands crus mondiaux.
Dans ce milieu un rien collet-monté, le jeune vinificateur n’hésite pas à importer certaines méthodes éprouvées en Amérique du Sud pour doper encore la qualité des raisins récoltés. Il décide ainsi de toucher le moins possible au feuillage (pour protéger les baies de la chaleur), ou de vendanger les rangs en deux fois, en commençant par les grappes surexposées. Un peu plus d’une vingtaine de types de sols (argileux ou sableux) ont été identifiés et exigent de vinifier séparément une centaine de parcelles.
Du travail d’orfèvre, un style qui a déjà largement commencé à faire causer… Comme en écho à la célèbre saillie de Coco Chanel : « La mode se démode, le style, jamais » ! Voilà le maître-mot qui sous-tend le projet mené ici par Nicolas Audebert et ses équipes.
L’ADN des grands Margaux, fraîcheur et élégance, doit être respecté. Mais la singularité de ce cru historique doit également ressurgir à travers des accents minéraux et juteux. A bien des égards, l’excellence des millésimes 2014-2015-2016-2017 lui ont permis d’être en avance sur cet objectif.
Même commercialement, le vinificateur dénote : « lors des ventes primeurs de Bordeaux, j’ouvre en grand les portes des chais et les dégustateurs choisissent de goûter la barrique qu’ils désirent !« , s’amuse-t-il. Osé dans un exercice où les Bordelais sont réputés pour « préparer » la meilleure barrique possible servie aux dégustateurs professionnels. Et chic alors que Rauzan-Ségla appartient dorénavant au cercle fermé des grands crus vendus plus de 100 euros la bouteille, et qui donc font la loi sur le marché. Une question de style, effectivement.
B.S. et A.M.