Sport
Route du Rhum 2018, portraits croisés
01 NOVEMBRE . 2018
L’appel du large fait recette. Skippers de talent, régatiers fondus tactique, amateurs du haute mer, 123 passionnés de course en solitaire ont remué ciel et terre pour être au départ de la 11e édition de la Route du Rhum, destination Guadeloupe, dimanche prochain. Portrait de quelques uns de ces aventuriers.
Par Patricia-M.Colmant
Un vrai melting pot que cette Route du Rhum-Destination Guadeloupe. Skippers de haute compétition, vieux loups de mer, jeunes régatiers aux dents longues, stratèges passionnés d’abaques, chefs d’entreprise en veine d’exploit, baroudeurs de courses au large, marins du week-end en quête de griserie… Ils sont 123 personnalités éclectiques à se lancer sur l’Atlantique-nord, ce dimanche 4 novembre. Une fois la ligne de départ franchie, au pied de Saint-Malo, chacun va gérer seul son aventure avec la mer, le vent, les vagues, les embruns et ses objectifs.
Loïck Peyron, à l’ancienne
Loïck Peyron, 58 ans, grand régatier et vainqueur -il y a quatre ans- de l’épreuve, sur le trimaran géant de 31,50 mètres, Banque Populaire VII, remet le couvert dans une toute autre configuration. Il part à l’ancienne, à bord de Happy, un petit trimaran de 11,50 mètres identique au victorieux Olympus de la première route du Rhum, en 1978. « Ce bateau, dû au coup de crayon de l’architecte américain Walter Greene, a coulé dans la traversée retour de Guadeloupe. D’autres ont été construits. J’ai trouvé le mien sur internet. Il était sur une rivière du sud de l’Angleterre » explique le Baulois passionné de multicoques.
Loïck Peyron embarque avec les mêmes équipements que les concurrents d’il y a quarante ans (!) : sextant, cartes et compas. Avec le seul désir de vivre une aventure à la manière des premières courses en solitaire. On peut toutefois supposer que ce compétiteur dans l’âme aura dans son viseur le temps de référence de 23 jours 6 heures du vainqueur de 1978, Mike Birch…
Et facétieux comme il est, il doit aussi avoir l’arrière-pensée de rouvrir le débat multicoque/monocoque, clos justement il y a quarante ans, quand le Canadien a « volé » la victoire au monocoque Kriter V de 21 mètres de Michel Malinovsky, d’à peine 98 secondes. Eh oui ! à peine 500 mètres séparaient les deux bateaux sur la ligne d’arrivée, après 23 jours de mer …Ce jour là, une page de la course au large s’est tournée. Mais elle sera revisitée puisque Kriter V est aussi au départ de Saint-Malo, avec à la barre un autre monument de la course hauturière, Bob Escoffier, 69 ans. Une bagarre mythique à suivre.
Sébastien Destremeau, portier des océans
Au rayon des phénomènes, on trouve aussi Sébastien Destremeau sur Alcatraz lt-Face Ocean. Surnommé le “portier des océans”, le skippeur a été le dernier à franchir le Cap Horn, lors du Vendée Globe 2016, avec presque deux mois de retard sur le premier… Alors, non sans humour, à la radio, il rassure la direction de course en lui affirmant qu’il avait éteint la lumière, coupé les compteurs et fermé la porte à clé du Pacifique.
Arrivé aux Sables d’Olonne, il remet à Jacques Caraès, le directeur du Vendée Globe, un montage (qui ne ressemble à rien) de porte-manteau en plastique agrémenté de deux bouts de lamellé-collé scotchés sur une tringle, censé représenter la clef de l’océan… Bref, une plaisanterie qui va connaître une vie spirituelle inattendue. “Cette relique a sa place à Rocamadour auprès de la vierge” déclare le directeur.
La vierge noire du sanctuaire est bien connue des marins qui, depuis Jacques Cartier, sont nombreux à implorer sa protection lors de tempête. Vincent Lautram, le curé des Sables, très impliqué dans cette course autour du monde avec l’aide du Yacht Club de Rocamadour, acquiesce : “mais après bénédiction du pape”. C’est ainsi que Vincent et Sébastien ont apporté à Rome cette clé, objet informe et sans valeur. Le Pape François l’a bénie et baptisée « clé des océans » pour qu’elle rejoigne les centaines d’ex-voto qui tapissent les murs de la chapelle de la Vierge de Rocamadour.
Même si son bateau a 20 ans, le skippeur de 54 ans a bien l’intention de faire, sur l’Atlantique, un résultat honorable face aux 16 autres concurrents de sa catégorie Rhum mono.
Romain Pilliard, le roi de la récup’
Autre engagé qui a monté un joli projet, Romain Pilliard décidé à promouvoir l’économie circulaire avec Remade-Use it Again, un trimaran de 23 mètres construit en 2004 pour l’Anglaise Ellen MacArthur. Elle avait établi, à l’époque, le record du tour du monde en solitaire. Marin chevronné, voyageur, organisateur de course, mais plus équipier que skipper, Romain se jette dans le grand bain de la course hauturière pour une cause d’avenir. Il fait le pari audacieux de s’aligner dans la classe XXL à tout point de vue.
Les cinq autres concurrents de la classe Ultime sont des compétiteurs de très haut niveau : Francis Joyon, Thomas Coville, Armel Le Cleac’h, François Gabart, Sébastien Josse. Tous ont de gros budgets pour leur bateau qu’ils perfectionnent en permanence pour le plus grand bénéfice du projet de Romain Pilliard. Devenu le roi de la récup’, il négocie voiles, poulies, amarres usagées et autres équipements jugés obsolètes par ces skippers qui partent pour la gagne et auxquels il donne une seconde vie sur l’ex-Castorama. Son objectif : finir l’épreuve. Soutenu par l’entreprise normande Remade qui reconditionne des iPhones et Atelier Sterenn qui aménage les extérieurs de maisons dans un souci environnemental, il est avec Sébastien Destremeau, l’ambassadeur des montres Ulysse Nardin.
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Ce sont les marins anglais qui ont inventé les courses en solitaire en créant l’OSTAR en 1960, entre Plymouth et New York. Quatre ans plus tard, Eric Tabarly l’emporte en pulvérisant le temps de traversée en 27 jours. Cet exploit fait naître des vocations en France et au fil des éditions, la course au gigantisme atteint son paroxysme avec le Quatre-mâts de 72 m d’Alain Colas. Les organisateurs décident alors de limiter à 17 mètres la taille des bateaux. La consternation chez les marins français conduit le publicitaire Michel Etevenon à créer une nouvelle transat en solitaire no limit. C’est la naissance de la Route du Rhum dont le succès ne s’est jamais démenti car elle mêle professionnels et amateurs, puristes et aventuriers, bêtes de course et yachts de croisière.
Ainsi, cette année, Charal, magnifique produit de la filière nautique haute compétition de Bretagne, tout juste sorti des chantiers CDK Technologie, dessiné par l’architecte Vincent Lauriot-Prévost, est le premier 60 pieds Imoca à avoir été conçu autour des foils. Une machine puissante qui ne laissera aucun répit, n’autorisera aucune seconde d’inattention à son skipper, Jérémie Beyou. Au même moment, CommeUnSeulHomme, (image à la une, ndlr) une goélette de croisière grand luxe de 37 tonnes, pont en teck, fauteuils club et cuisine aménagée, sera confortablement barrée par Eric Bellion. Deux mondes avec un même objectif : Pointe-à-Pitre.
P-M.C