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Les Grands Ducs aux îles Anglo-Normandes 2/2 : le charme et les secrets de Guernesey
14 DéCEMBRE . 2018
C’est à peine remis de nos belles rencontres jersiaises que nous mettons le cap à une soixantaine de kilomètres plus au nord. Si proche, mais si différente aussi, Guernesey se hume au gré d’adresses aussi savoureuses que les anecdotes qui cultivent ses mystères. Ajoutez-y une nature parfois ébouriffante, et vous voici bel et bien sur l’île de la sensation.
Par Damien Guillou (texte et photos)
Elle a beau se faire deux fois plus mince que sa (grande ou petite, on vous laisse choisir) sœur Jersey, elle pourrait alimenter à elle seule une rubrique « le saviez-vous ? ». Du haut de ses 63 km2, Guernesey entretient en effet le charme de ses légendes, entre croyances séculaires et passé ayant forgé son identité. Tantôt histoires vraies ou contes, ces voyages dans le voyage sont autant de récits qui donnent à Guernesey des airs de jamais vu que l’on traverse avec gourmandise.
Ici, on peut donc prononcer la clameur de haro (protestation ayant eu cours en Normandie, maintenue seulement aux îles Anglo-Normandes, par laquelle on somme quelqu’un de comparaître sur-le-champ devant un juge pour se plaindre en justice par action civile du dommage dont on affirme avoir souffert, ndlr) – véridique ! Ici, on croit aussi bien aux lutins, fées et autres sorcières (pour lesquelles les habitants réservent des witches stones afin qu’elles se reposent sans entrer dans les maisons et ne jettent ainsi pas de sort…) qu’on boit les bonnes feuilles des Travailleurs de la mer (1866), un roman que Victor Hugo avait dédié aux habitants de l’île « ce coin de vieille terre normande où vit le noble petit peuple de la mer (…) mon asile actuel, mon tombeau probable ».
Cet exil forcé pour avoir vigoureusement critiqué le coup d’État signé Louis-Napoléon Bonaparte (2 décembre 1851), l’écrivain le passera notamment dans la fameuse Maison d’Hauteville, où il habitera près de quinze ans de sa vie. De sa demeure avec vue (qui rouvrira ses portes aux visiteurs en avril prochain), il terminera – entre autres – Les Misérables, et s’investit ardemment dans la vie sociale de son île d’adoption. Pour preuve, ce repas hebdomadaire distribué aux enfants pauvres de son quartier avec, au menu, un plat chaud, une viande…et verre de vin.
À quelques centaines de mètres de là, le coeur de l’actuel St-Peter-Port appelle aux premières flâneries, du Candie Garden aux rues commerçantes, en passant par l’église anglicane et les bâtisses cossues. Et à défaut de se faire servir par Victor Hugo, c’est à l’Octopus que l’on vous somme de vous attabler. Une fois votre tablier couleur locale apposé sur vos épaules pour ne pas ruiner votre chemise, laissez-vous tenter par un plat (aussi conséquent qu’excellent) de fruits de mer du coin. Crabe ? Homard ? Les deux ? Vous ne regretterez rien, vue sur la mer en prime ! Si vous êtes d’humeur plus viandarde et que vous souhaitez croiser du beau monde, direction Christies, où un prime rib steak on the bone made in Ireland bien fondant et quelques verres vous attendent de pied ferme.
L’appel de la terre
Si on aime évidemment le Guernesey du bord de l’eau (on y vient, n’ayez crainte), c’est aussi au cœur de l’île qu’il fait si bon y oublier sa boussole pour se laisser porter. Point de départ idéal pour un tour de l’île en vélo ou des virées pédestres menant jusqu’aux côtes (vous trouverez toujours un bus pour rentrer), la campagne guernesiaise offre une retraite verdissante.
Et si la balade se prolonge et que vous n’avez pas d’encas dans le sac, pas de panique : presque tous les locaux cultivent un lopin de terre dont le trop-plein se retrouve dans les boîtes d’honnêteté, où le promeneur peut se servir en fruits et légumes (parfois plus) avant de laisser dans une tirelire la somme indiquée. Bon à savoir : il est possible de payer en livre de Guernesey, le monnaie locale aujourd’hui encore frappée sur l’île.
Une fois ravitaillé, passez donc une tête au Manoir de Sausmarez. Les jardins, ornés de quelques belles sculptures, et la demeure, hantée par une ancienne nurse (ne plaisantez pas, les propriétaires sont très sérieux sur le sujet), valent le coup d’œil.
Toujours au rayon des escales qui racontent des histoires, ayez une pensée émue pour le Frère Déodat, qui a avait dû détruire puis reconstruire sa (très !) Little Chapel car l’évêque de Portsmouth, trop costaud, n’avait pu passer la porte d’entrée d’un édifice d’à peine 3 mètres sur 3. Pour vous remettre de tant d’émotions, rendez-vous au Bella Luce pour un cocktail à base de Wheadon’s, le gin distillé sur place…
Sur les traces de Renoir
Et puis Guernesey, c’est aussi et bien évidemment l’appel de la mer. Là encore, c’est à pied qu’il faut profiter de cette agréable omniprésence. Des points de vue rocailleux au sud, des plages au nord, des vagues tout à fait surfable de Vazon : qu’elle soit survoltée ou au repos, la Manche vous happe comme elle a happé Renoir qui, un mois durant l’été 1883, fera de la baie de Moulin Huet son terrain de jeu (il y peindra plus d’une dizaine de toiles).
Le nôtre, on l’a trouvé à Herm. Sur cette petite île de 2km2 accessible en quelques minutes de navette depuis St-Peter-Port, pas de boîte à honnêteté, d’histoires de fées ou de maison hantée, mais bien la promesse d’une journée hors du temps, les yeux dans le bleu et la tête higher. Attention au retour sur le continent : la reconnexion n’est pas si simple.
D.G.