Gastronomie
Le retour de la belle cuisine bourgeoise à la Poule au Pot
15 AVRIL . 2019
Dans la grande vague du rétro-bistrot qui submerge Paris à grands coups de nappes à carreaux et d’andouillettes-frites (qui s’en plaindrait lorsque le coeur s’en mêle ?), La Poule au Pot reprise par le chef doublement étoilé Jean-François Piège tient une place à part. Une adresse mythique renouvelant le genre de la cuisine bourgeoise en la tirant vers le haut en même temps que ses additions, voilà qui interroge. Il fallait en juger sur pièces. Retour aux sources.
Thierry Richard
(Texte et photographies)
La Poule au Pot, ce petit bistrot des Halles au décor suranné (rien ou presque n’a changé ici depuis les années 40) fut très longtemps une adresse mythique, un morceau vivant de la mémoire gastronomique de Paris, un de ces lieux communs où il faisait bon se réfugier après minuit pour torpiller en choeur une volaille rôtie et un bon Brillat-Savarin arrosé de Côte du Rhône. Pas de grande cuisine certes, mais un esprit parisien authentique et joyeux.
La reprise par un chef étoilé connu pour son goût de la nouveauté et des plats tirés à quatre épingles aurait pu surprendre. Mais ce serait oublier un peu vite que Jean-François Piège a toujours eu le goût du patrimoine et que le chef du Grand Restaurant possède une des plus belles bibliothèques gastronomiques de France. Le voilà donc avec un nouveau jouet, un théâtre aux accents d’avant-guerre où il exerce désormais avec talent son goût pour la cuisine patrimoniale.
Le décor, à vue d’oeil et de mémoire, a peu changé : on y retrouve le comptoir cuivré, les papiers peints fleuris, les banquettes de moleskine, les tables de bistrot nappées de rose, les murs et les colonnes miroitées qui en faisaient le charme. L’orfèvrerie se pose désormais là aussi qui jette ses reflets argentés sur les tables environnantes sous le regard affairé des serveurs en noir et blanc.
La carte déploie ses plats comme un poème de Prévert où l’on est heureux de retrouver des compagnons familiers que l’on ne voit plus souvent. Des grignotages pour un apéritif à partager (Oeufs mimosa, céleri rémoulade, radis beurre et assiette de saucisson de Patrick Duler) servis sans un beau plat en argent chiné, frais, aux goûts prononcés, illustrant à merveille, comme une bande-annonce, le soin qui ici est apporté à la sélection des produits.
Puis, c’est le festival. Les “Os à moelle, croque au sel” sont servis en bataillon, doux et parfumés, à peine relevé de gros sel et d’un tour de moulin à poivre, avec leur escorte de pain grillé. Le “Quasi de veau au four, champignons, crème au Savagnin” colossal est d’une tendreté absolue et sa sauce au vin jaune égaye comme un jeu d’enfant la purée soyeuse qui l’accompagne. On voit passer, sans la goûter, dans un beau plat vintage, une “Poulette de Bresse au pot” et ses légumes bouillis qui font saliver.
Mais elle sera vite oubliée lorsqu’arrivera en majesté notre “Feuilleté de ris de veau aux morilles”, immense, servi avec une générosité absolue, en morceaux imposants, répondant à la pléthore de morilles de beau volume, sous sa carapace feuilletée croquante, pour un plat raffiné, gourmand, jouissif ! On l’accompagne d’un vin corse (petit péché mignon) de la maison Comte Abatucci, cuvée Faustine (vieilles vignes) de 2017, juste parfait.
Une assiette de frites en monticule atterrit sur la table comme par magie et sans l’avoir commandée. On en picore quelques-unes, histoire de se rassurer sur leur croustillant. On n’est pas déçu. Puis on finira par quelques coups de cuillère dans une “Ile flottante aux pralines roses” d’une absolue légèreté.
Voilà donc bien le genre de déjeuner dont la seule évocation vous remet l’eau à la bouche. Le bémol (il en faut toujours un) ? Des prix très élevés qui pourraient condamner la Poule au Pot au destin d’un Ami Louis, réserve à touristes russo-américains… Alors oui, bien sûr, c’est cher. Mais croyez moi : partagez une entrée, glissez à deux sur le même dessert et misez sur la générosité des plats. Vous ne le regretterez pas une seconde.
T.R.
La Poule au Pot
9 rue Vauvilliers
75001 Paris
Téléphone : 01 42 36 32 96
Ouvert tous les jours
Menus déjeuner à 48 € et 82 €
A la carte, compter entre 70 € et 90 €
Métro : Louvre Rivoli ou Les Halles