Culture
Luigi Ghirri, un voyage en Italie en plein Paris
24 MAI . 2019
Première rétrospective française d’ampleur pour le photographe originaire de Modène, l’exposition Luigi Ghirri – Cartes et territoires se tient au Jeu de Paume, à Paris, jusqu’au 2 juin. On s’est plongé avec délice dans les campagnes italienne et française…
Par Pauline Da Costa Sampieri
Géomètre de formation, Luigi Ghirri devient photographe sur le tard, à l’âge trente ans. C’est en côtoyant le cercle d’intellectuels de Modène, composé entres autres des artistes Claudio Parmiggiani (peintre du mouvement de l’Arte Povera, ndlr) et Franco Vaccari (photographe et artiste pluridisciplinaire, théoricien, ndlr), qu’il s’initie à la pratique artistique. Autodidacte, Ghirri est sensible aux réalités immédiates et produit un important corpus d’images en couleur.
Aux couleurs du monde réel
L’usage de la couleur dans la pratique photographique des années 1970 est loin d’être légion. Elle est ainsi reléguée aux prosaïques images des magazines ou publicitaires. C’est seulement en 1976 avec l’exposition au MoMA de William Eggleston que la couleur fait son entrée au musée… Luigi Ghirri fait donc figure de précurseur, opérant, en couleurs, une synthèse de son époque en posant un regard tendre sur le monde qui l’entoure.
La série Kodachrome, réalisée entre 1970 et 1978, est un recueil d’images réunies dans un ouvrage édité par Ghirri lui-même. Il est ici question de “l’invasion des lieux extérieurs de vie par les images”. Le photographe questionne le faux, le vrai, l’imaginaire, la réel. Avec de sublimes mises en abîme, Ghirri modifie la valeur initiale de ces images placardées sur les murs et produit ainsi une critique de la société de consommation avec finesse et poésie.
Les images de Ghirri interrogent la pratique photographique elle-même, sa temporalité. Pas d’instantanéité, pas vraiment de temps de pose non plus. Juste des fragments de vie où la présence humaine est abstraite.
Photographe du symbole
Avec Salzburg, 1977, des figures de dos au premier plan paraissent collées sur un fond. La figure humaine s’inscrit dans un espace sans individualité. Le fond représentant une carte rappelle la formation première du photographe, particulièrement attaché au concept de territoire. La série Atlante, de 1973, renvoie elle aussi à la carte comme document ou degré 0 de la représentation. Ghirri propose ici un voyage imaginaire entre les signes et symboles du plan.
Luigi Ghirri, avec ses archives d’images, est à la recherche d’une construction de la mémoire. Empreint d’une tradition culturelle italienne forte, tant picturale qu’architecturale, il cultive le désir de connaissance. Italia ailati est une série composée de près de 200 images réalisées entre 1971 et 1979. Elle est la superposition de deux mondes, deux Italie, le passé et le présent.
Ghirri traite ainsi l’image à la manière d’un sémiologue : signes et symboles sont au coeur de la photographie. Souvent à la manière d’une synecdoque visuelle (une partie pour un tout), un élément pointé suggère une réalité. L’oeuvre Marina di Ravenna, 1973, issue de la série Vedute produite entre 1970 et 1979, illustre parfaitement l’idée… On y observe une réalité objective, celle d’une plage en été avec le vent soufflant ; mais aussi une réalité suggérée, celle d’une côte adriatique saturée par une société de loisirs ; enfin une réalité du souvenir, évoquant à chacun des souvenirs personnels.
Photographe de l’intime
Car Ghirri sonde aussi l’intime. En explorant sa propre maison, il livre une série d’autoportraits fascinants à travers des vues de sa bibliothèque. Ces extraits du quotidien sont d’une merveilleuse poésie et rappellent la curiosité insatiable de l’artiste pour le monde qui l’entoure.
Luigi Ghirri ne se revendique pas photographe conceptuel et cultive d’ailleurs sa figure d’amateur. Il a su retranscrire avec tendresse et humilité ces réalités du monde. La qualité de ses cadrages, ce sentiment de latence et cette mélancolie qui résident dans ses images révèlent une douce sensualité. Luigi Ghirri est une intelligence sensible, qui nous offre à voir et à penser.
P.D.C.S.
Luigi Ghirri, Cartes et territoires
Jusqu’au 2 juin 2019
Jeu de Paume,
1 Place de la Concorde
75001 Paris
Entrée 10 €
Fermeture le Lundi
Mardi 11 heures à 21 heures
Mercredi-Dimanche 11 heures à 19 heures
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