Eros
De Batman aux gravures érotiques, Marseille s’expose cet été
05 JUILLET . 2019
Vous êtes plutôt érotisme ou Batman ? On a repéré deux expositions à Marseille à faire cet été : à la galerie Alexis Pentcheff jusqu’au 13 juillet et au Mamo (Marseille Modulor), le centre d’art appartenant au designer Ora Ito à la Cité Radieuse, où Alex Israël est invité jusqu’au 31 août… Visites.
Par Aymeric Mantoux
Gravures érotiques du XIXe siècle, mosaïques antiques, toiles d’Henri Manguin ou de Ben… C’est un ensemble indécent et très amusant que propose la galerie marseillaise Alexis Pentcheff. Il vous reste une semaine pour la voir…
Je l’avoue, j’ai été scotché, comme pris de court, presque estomaqué, de me retrouver pour ainsi dire nez-à-nez par un beau samedi matin de juin, avec les trésors érotiques de cette exposition, remarquable à plusieurs titres.
D’abord l’espace d’exposition et la scénographie, d’une grande qualité, des cartels bien renseignés et un choix d’œuvres à la fois éclectique et surprenant. Sur le modèle du cabinet secret de Naples, la galerie renferme antiquités et curiosités obscènes plus contemporaines, qui, signe des temps, ne sont plus (fort heureusement, ce serait beaucoup moins drôle !) interdites aux femmes uniquement mariées et accompagnées !
Il y a par exemple ces rares tesselles de céramiques (Empire romain, IIe, IIIe siècles) qu’on croirait tout droit sorties des ruines de Pompeï, représentant le mythe d’Héro et Léandre d’une manière particulièrement sexuée. Héro, prêtresse d’Aphrodite, éclaire chaque soir au moyen d’un phare le chemin à son amant Léandre. Mais une nuit, une tempête l’emporte. Au petit matin, Héro, désespérée, se jette du haut du phare. Un panneau plus provocateur que le mythe !
Il faut compter aussi sur cette rare et très belle grande toile de Ben « récupérée dans un lieu de plaisir » et repeinte par l’artiste avec ses graffitis Q-rieux et souvent infiniment drôles. A l’heure où tout est image et où des térabits d’images de sexe s’échangent chaque seconde sur les réseaux sociaux, l’ambition de la galerie est de faire attention aux accents qui composent cet esperanto universel qu’est le sexe.
Pas de porno chic ou choc ici donc, simplement des œuvres d’art qui expriment la sensualité, le sexe par l’humour (les illustrations au trait à la Misstic, par l’artiste Petites Luxures, Emoi sur les toits, Quickey ou l’excellente Gifle sur Yvette), la provocation, (Fuck me now de Ben, on a connu plus distingué) ou la suggestion.
Qui est choqué, par quoi et pourquoi ? C’est un peu le fil rouge de cette exposition à mettre absolument entre toutes les mains. D’ailleurs, dans celles de Jean Ferro, à travers ses clichés noir et blanc d’homme nus, on constatera que ce qui peut choquer aujourd’hui certains, ne posait aucun problème ni à Athènes dans l’Antiquité, ni chez nous au XVIIIe siècle.
L’une des belles surprises de cet ensemble, ce sont les sanguines d’Henri Manguin, proche de Ravel, Debussy ou Matisse. Et cette toile de René Seyssaud représentant une femme alanguie dans un lit et se donnant du plaisir.
Un sujet rarement traité et exécuté ici avec maestria. Seyssaud a beaucoup exploré le thème de la baise, explique le cartel, « l’artiste n’hésitant pas à figurer des ébats de couples auxquels on ne peut s’empêcher de penser qu’il a dû assister pour les si bien rendre ». On est bien d’accord. Comme quoi, contrairement à ce que prétend la publicité, c’est bien ceux qui en font le plus qui en parlent le plus !
Il y a aussi les polissonneries anonymes, encres et aquarelles sur papier du XIXe siècle, libertines et légères à souhait, issues de la collection de l’acteur Michel Simon. Elles témoignent du fait que l’humour et la licence sexuelle font souvent bon ménage…
Entre deux pagnes africains turgescents et deux œuvres du scandaleux de profession, Jan Fabre, on trouve une édition du livre érotique de Madonna, dont on peut se passer. Tout le reste est absolument exquis. Un grand bravo.
Qriosa, Galerie Alexis Pentcheff,
131, rue de Paradis,
13006 Marseille.
Ouvert du mardi au samedi de 10 h à 12 h et de 14 h à 18h30
L’artiste visuel américain Alex Israel est l’invité 2019 du Mamo, pour l’exposition estivale de cet espace d’art appartenant au designer Ora Ito. Centré autour de Batman et de la culture pop, il s’inspire également de l’univers du film hollywoodien de 1989.
Combien de temps avez-vous travaillé sur cette exposition?
Cela nous a pris un peu plus de trois mois. Mais finalement, quand nous sommes arrivés ici, nous avons presque produit l’expo deux fois. Tout était si compliqué que nous devions tout recommencer. J’étais cependant très motivé par Ora Ito qui s’est montré très convaincant… Sans lui et son énergie, je ne sais pas si les choses se seraient passées de cette façon. Au début, j’ai dit non, je n’ai pas le temps.
Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Au cours de l’une de nos discussions, Ito m’a dit: « Tu peux faire ce que tu veux, si tu veux mettre le batsignal dans le ciel de Marseille tu peux. » Alors j’ai dit « ok, on va faire ça« . Mais ce qui me trottait dans la tête à ce moment-là, c’était ce que cela pouvait signifier et quel projet intéressant potentiel cela pouvait devenir pour moi. Le premier problème était « Qu’est-ce que je vais faire à l’extérieur? » Avant même de penser à l’intérieur ! J’avais déjà réalisé une intervention en extérieur avec des accessoires de cinéma à Venice Beach.
« Marseille m’a rappelé Gotham » – Alex Israel
D’accord, mais pourquoi Batman ?
Il y a plusieurs raisons. Tout d’abord, je n’étais jamais allé à Marseille. Je veux dire que j’étais allé à l’aéroport, mais pas en ville. La réputation de Marseille est d’être une ville à la fois urbaine, citadine et dure, pleine de mythes, mais aussi de drogue et de violence. Cela m’a rappelé la ville de Gotham. Le bâtiment de Le Corbusier est en béton, il est hyper urbain et c’était vraiment inspirant. Je n’ai jamais fait un projet en plein air comme celui-ci et j’ai trouvé ça génial de le réaliser. De plus, Batman est un film qui m’a toujours inspiré. J’aime cet univers depuis que je suis gamin. Je me souviens qu’à mon sixième anniversaire, je me suis déguisé en Joker. Et d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été fasciné par l’univers graphique et la vision de Batman par Tim Burton.
De nombreux projets vous sont soumis. Pourquoi Marseille ?
C’est un endroit exceptionnel. Ce bâtiment a été conçu par Le Corbusier, l’un des plus grands architectes de tous les temps. En soi, c’était un grand honneur d’avoir une exposition là-bas. J’ai également trouvé difficile d’activer un espace extérieur surplombant une ville métropolitaine entière. C’est à la fois excitant et honorifique de travailler dans une architecture telle que la Cité Radieuse. C’est aussi difficile de faire une exposition qui se passe pour la moitié à l’extérieur.
Pourquoi n’y a-t-il pas de peintures dans cette exposition ?
Cela n’aurait pas été à-propos. Si vous observez mon travail, depuis le début, c’est un projet continu de présenter des sculptures et des accessoires de cinéma. Par conséquent, cette exposition à Marseille est en lien direct avec ce que j’ai déjà fait. Je cherche à provoquer un effet plus grand que les objets eux-mêmes, parce que, contrairement au ready made de Duchamp, j’essaie de projeter un univers, des idées qui ne sont pas incluses dans l’objet. Comme une projection mentale. En fait, je pense aussi que l’architecture ici est extrêmement sculpturale : elle conduit donc à une intervention sculpturale. Et puis, on n’expose pas de tableaux à l’extérieur.
Toutes vos expositions sont-elles spécifiques aux sites qui les accueillent ?
Oui, c’est vraiment dicté par l’espace. Je pense à ces expositions en tant que sites spécifiques, à l’endroit où elles se situeront, à ce que ce contexte signifie. C’est généralement le point de départ de tout ce que je propose.
Vous qui venez de Los Angeles, comment vous sentez-vous à Marseille ?
Il y a quelques similitudes entre les villes en termes de lumière. Et dans le paysage : collines, front de mer, littoral court. Je pense que les villes qui ont des climats comme celui-ci encouragent le style de vie intérieur/extérieur. Cela change vraiment toute la dynamique de la ville et la façon dont les gens interagissent les uns avec les autres.
J’ai lu que quand vous étiez plus jeune, vous détestiez quitter Los Angeles. Qu’est-ce qui vous attire dans votre ville natale ?
Si je n’étais pas né là-bas, j’aurais tout emballé et je serais parti vivre à Los Angeles comme tous ces gens qui l’ont fait… Vous savez, les gens viennent à Los Angeles pour se réinventer. Si vous n’aimez pas ça, eh bien je suppose que vous êtes coincé à New York !
Comme les sujets de certaines de vos œuvres, Los Angeles est une mythologie !
Los Angeles est connue pour cette incroyable production que la ville inspire directement. C’est une ville incroyablement créative et qui inspire le monde entier. Et c’est très puissant.
Est-ce la même chose dans votre travail ?
Mon travail a un impact profond sur qui je suis, mais ce n’est pas vrai pour tout le monde. Los Angeles devient un ingrédient d’une grande partie de ce qui est fait d’une culture à l’autre et les gens s’y sentent alors connectés. Mon intérêt pour Los Angeles est une sorte d’exploration de moi-même. Parce que c’est la ville qui m’a fait.
Pourquoi le cinéma, Hollywood, est-il un thème aussi important pour vous ?
J’ai grandi en allant au cinéma. C’est juste quelque chose que j’ai toujours fait. Je pense avoir toujours aimé les films parce qu’ils illustrent d’une certaine manière le potentiel de réalisation de l’imagination en tant que monde.
Est-ce ce qui vous a intéressé dans le Batman de Tim Burton ?
Le type de mouvement culturel entourant ce film a eu un impact important sur moi. J’y étais lors de la soirée d’ouverture, j’en ai senti l’énergie. Je n’avais jamais été dans un endroit où tant de gens étaient rassemblés pour faire quelque chose ensemble. Hollywod, c’est le fil conducteur qui a construit la ville, qui la motive, qui la soutient. Il faut que vous respectiez cela, même si vous ne l’aimez pas. Il se trouve que je l’aime et que je le respecte.
Pourtant, vous utilisez les symboles d’Hollywood, mais vous ne vous courbez pas devant.
Tout le monde me demande toujours, depuis que je travaille avec Warner -et les films sont l’un de mes sujets de prédilection – si je suis critique de l’industrie. Je crois que ce n’est plus mon rôle d’artiste d’être critique à Hollywood. Je ne veux pas être l’artiste qui se tient là et qui pointe du doigt en disant « regardez comme on nous manipule« .
Et puis, nous savons déjà que chaque photo de Kim Kardashian est photoshoppée, que la voix de Justin Bieber est auto-tunée, nous savons que les nouvelles sont subjectives, nous savons que la téléréalité est produite. Je pense que nous savons tout cela. Grâce à Internet et au nombre croissant de communications et d’accès aux stars et aux créateurs via les médias sociaux, nous le savons tous. Donc, mon intérêt pour Hollywood est l’écume de la poussière d’Hollywood. Et d’obtenir cela dans le cadre de mon travail.
J’essaie de comprendre pourquoi, en tant qu’êtres humains, nous savons que nous sommes manipulés, mais nous l’aimons toujours. Pourquoi continuons-nous à suspendre notre raison ? Pourquoi aimons-nous toujours Batman, alors que nous savons qu’il est faux? Et quel est l’ingrédient dans cela qui est si attrayant ? Comment puis-je éventuellement en récolter une partie dans mon art ?
Qu’est-ce qui rend le logo Batman si intéressant ?
Batman est humain, il n’est pas surnaturel. Mais en même temps, son logo est un symbole d’espoir, d’héroïsme et de courage pour l’Amérique, et pour Hollywood et le danger. Le symbole signifie tant de choses différentes, nous avons trouvé un moyen de le faire comprendre à cette ville de Marseille qui a tant de significations et sa propre histoire. Je pensais que cela correspondait vraiment à la signification de ce personnage. C’était parfait.
Qu’en est-il de l’intérieur de l’exposition?
Je savais que l’espace avait un plafond incurvé, qui ressemble un peu à une caverne. Et bien sûr, quand vous êtes dans l’esprit de Batman et Gotham City, vous pensez immédiatement à la batmobile et cela semblait être la chose parfaite à mettre dans cet espace incurvé. Voici donc la batmobile de 1989, le film réalisé par Tim Burton. Il était naturel pour moi d’extraire ces objets du film. Prendre les accessoires de films et les transformer en œuvres d’art, les reproduire ou les louer, les recréer, retrouver les originaux, cela faisait partie de mon processus, mais je ne l’avais jamais fait à cette échelle. C’était une grande partie du défi.
A.M.