Art
Moderne Maharajah ou le Palais de Manik Bagh, un conte moderne
29 NOVEMBRE . 2019
A Paris, au MAD, l’exposition « Moderne Maharajah » retrace la fabuleuse épopée du Palais de Manik Bagh à Indore, conçu à l’orée des années 1930 pour le Maharajah d’Indore, Yeshwant Rao Holkar II (1908-1961), descendant de la dynastie des Holkar. L’aventure de la demeure -et l’audace du couple royal- sont dévoilées au travers de 500 oeuvres – mobilier, objets, dessins, documents d’archive – jusqu’au 12 janvier 2020. Une exposition retraçant une vision incarnée de la modernité, à ne pas manquer !
Par Pauline Da Costa Sampieri
Sous la Nef du Musée des Arts Décoratifs, l’histoire qui nous est contée est celle d’une jeune homme visionnaire épris de modernité et d’originalité. L’exposition, chronologique, invite les amateurs éclairés comme les néophytes à se plonger dans les arts décoratifs de l’époque. La première salle est consacrée au commanditaire qui, âgé de 20 ans lorsque son père abdique, devient alors souverain de l’Etat d’Indore.
On découvre le physique élancé, la silhouette d’éphèbe du jeune Prince passionné de culture occidentale. Vient ensuite la Maharani, beauté pure. Car ce conte moderne est bien celui d’une histoire d’amour, fulgurante, brisée avec la mort de la Maharani en 1937. Suivent les autres protagonistes, ceux qui ont oeuvré à cette merveilleuse histoire. Le Docteur Pierre Hardy d’abord, précepteur du jeune Prince et bien sûr Henri Pierre Roché, l’oeil expert et auteur du célèbre roman Jules et Jim. C’est cette émulation qui éveille la curiosité du Prince pour les arts de son temps.
Mais la grande rencontre, celle qui sera déterminante dans son approche, celle qui le fera passer de commanditaire à collectionneur, c’est Jacques Doucet. A la faveur d’une visite au studio du 33 rue Saint-James à Neuilly, le Maharajah découvre l’univers à part du couturier et grand collectionneur qui posséda un temps Les Demoiselles d’Avignon dans sa montée d’escalier.
L’idée d’un palais à usage privé germe alors dans la tête du Maharajah. Il faut désormais trouver un architecte de renom pour l’accomplir. Rapidement, Eckhart Muthesisus se détache du lot. Il est jeune, comme le Prince. Ils se sont rencontrés en 1929. Son père n’est autre qu’Hermann Muthesius, l’un des fondateurs de la Deutscher Werkbund (l’association moderniste d’artistes allemands, fondée en 1907, qui préfigure le Bauhaus), son parrain, l’architecte Charles Rennie Mackintosh. Le Maharajah parie sur cet architecte talentueux. Les travaux démarrent vers 1930.
La distribution du palais est simple. Si la vision est moderniste, la réalisation manque de radicalité. Pour des raisons climatiques, le toit plat est abandonné au profit d’un toit en pente. Détail amusant, les photographies d’époque diffusées dans la presse et faisant la promotion du bâtiment sont toutes retouchées par l’architecte lui-même qui souhaite transmettre sa vision idéale.
Ce qui nous intéresse, c’est plutôt, donc, l’intérieur du Palais. Après la crise de 1929, cette réalisation apparaît comme providentielle pour les créateurs européens et plus particulièrement français.
C’est le temps des grands salons dédiés aux arts décoratifs. Jacques-Emile Ruhlmann, grand créateur de la période Art Déco, propose en 1929 au Salon des Artiste Décorateurs un « Studio-Chambre du prince héritier d’un vice-roi des Indes ». Les acquisitions s’enchaînent. Eileen Gray, Le Corbusier, Charlotte Perriand, Pierre Jeanneret, René Herbst, tous trouvent leur place au Palais. Et bien sûr, Louis Sognot et Charlotte Alix. Moins connus que leurs condisciples, le Maharajah leur offre pourtant un place de choix. Associés en 1928, ces deux créateurs usent avec brio de matériaux résolument modernes comme le verre et le métal.
Muthesius et le Prince aspirent à créer une oeuvre totale. Tout, dans les moindres détails, est pensé. De singuliers objets de la confidentielle maison Desny aux lignes pures des pièces Puiforcat, en passant par les graphiques et colorés tapis de Ivan da Silva Bruhn : tous les arts s’unissent pour créer une merveilleuse ode à la modernité.
On peut s’étonner de l’absence d’oeuvres picturales aux murs. Le Maharajah a cependant commandé à Bernard Boutet de Monvel des oeuvres dans la grandes tradition du portrait d’apparat. Le premier portrait est celui du Maharajah vêtu d’un smoking et d’une cape : véritable dandy moderne. Puis celui de la Maharani magnifiquement habillée d’une robe du soir en satin blanc et parée des deux diamants de Golconde.
Quelques années plus tard, le peintre livre deux autres portraits sur le mode oriental : le maharajah en habits traditionnels représenté en tailleur avec les mains (et quelles mains !) sur ses genoux ; la maharani représentée en pied entourée de fleurs luxuriantes. Exposées à la galerie Wildenstein à New York avant d’être envoyées au Palais de Manik Bagh, ces oeuvres font sensation !
Le Maharajah d’Indore a su s’entourer des meilleurs artistes et conseillers de son temps pour opérer une véritable synthèse des arts, rencontre entre Occident et Orient. Impossible d’échapper à l’émotion de l’intime, en visitant cette exposition consacrée au chantier d’une vie, à ce palais autrement nommé « le jardin des rubis. »
P.D.C.S