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Au Rwanda, gare au gorille
28 NOVEMBRE . 2019
Longtemps considéré comme la Suisse de l’Afrique, le Rwanda est l’une des contrées les plus préservées au monde. La faune et la flore y semblent intouchées, surtout aux confins des montagnes volcaniques où se nichent les gorilles. Des lodges d’exception permettent d’y vivre des expériences remarquables. Découverte…
Pas le temps de faire une grasse matinée, il y a dix heures de route pour rejoindre la frontière ougandaise, au sud-ouest. Après cet avant-goût d’Afrique sauvage, cap sur un véritable éden, le parc des volcans, à cheval sur trois pays. Le but ultime de notre voyage. C’est là que Dian Fossey a œuvré pour la cause des gorilles et que le film magnifique Gorilles dans la brume, qui lui rend hommage, a été tourné.
Wilderness vient d’y ouvrir un lodge unique au monde, composé de quelques suites installées dans des nids sur la cime des arbres et qu’on croirait tout droit sortis du cerveau du Marsupilami et des forêts de Palombie.
Sur la route depuis Kigali, le ruban de bitume serpente entre les rizières et les champs de bananiers. Nous sommes le dernier jour de la semaine et les villageois qui circulent sur les bas côtés semblent donner tout leur sens au mot “endimanché”. Les élégantes ont sorti leurs boubous en wax et les boucles d’oreille en or, leurs maris le pantalon beige et la chemise à carreaux, quand ce n’est pas carrément le nœud papillon ou le costume gris. A pied, à bicyclette, parfois l’on voyage à quatre sur de grands vélos hollandais personnalisés et sacrément stylés. Certains parcourent plus de 20 km pour aller à l’église.
On croise quelques vaches à l’ombre des eucalyptus qui bordent la nationale, entre deux “taxi bananes”, des bicyclettes surchargées de régimes et poussées par les plus jeunes. Le spectacle est fascinant, toujours renouvelé, multicolore, souriant.
Mais ce sont surtout les paysages qui changent. L’altitude passe en quelques dizaines de km de 1300 à 2000 mètres. L’air fraîchit, la végétation change. Les eucalyptus et les épineux ont pris le relais des arbres de la savane. Quelques kilomètres avant d’arriver à Bisate, on voit des gorilles partout. Sur les panneaux indicateurs, sur les devantures des boutiques peints naïvement, sur la façade du Dian Fossey Research Center, qui offre aux visiteurs des informations précieuses sur les gorilles des montagnes pour lesquels elle a donné sa vie.
La brume est accrochée aux cimes des montagnes que l’on devine au loin. Partout la terre noire, les champs jonchés de pierres volcaniques, cultivés sur des pentes vertigineuses uniquement par les femmes. On n’est plus très loin lorsqu’on quitte rapidement la grand’ route et dans la demi obscurité du bref crépuscule, la voiture zigzague entre des champs.
Au bout d’une route cahoteuse, on découvre, nichés au sein d’une colline verdoyante bouquettée de bambous, 6 bulles en herbes séchées à l’architecture inspirée à la fois des anciens palais traditionnels des rois locaux et des African Masked Weaver, ces oiseaux tisserands très répandus dans le pays. Ces nids bien cachés offrent une vue imprenable sur le volcan Karisimbi, qui culmine à plus de 4507 mètres d’altitude.
Pour les visiteurs, au Kenya ce sont les lions, en Namibie les girafes, et au Rwanda, les gorilles des montagnes sont à l’honneur. “Les gorilles, c’étaient la chance, le trésor, l’avenir du Rwanda, écrit Scholastique Mukasonga. On devait les protéger, agrandir au besoin leur territoire. Le monde entier avait confié au Rwanda une mission sacrée : sauver les gorilles.” Il ne reste plus que 600 spécimens de ces primates qui sont un peu nos cousins, et que Fossey, entourée de locaux, défendit au péril de sa vie, par-delà les nuages.
Aujourd’hui, moyennant la modeste somme de 1000 $ par jour et par personne, des étrangers choisis peuvent passer la journée en trek, à la recherche de l’une des familles de gorilles du parc. Une expérience absolument immanquable.
Au lever du jour, le 4X4 crapahute sur la pente du volcan, jusqu’à la forêt. C’est là que nous retrouvons les guides du parc. Le démarrage en pente douce s’effectue à travers les champs des villages limitrophes du parc des volcans. Puis c’est une cathédrale de bambous dorés à ciel ouvert qui recouvre une terre noire, spongieuse dans laquelle chacun de nos pas s’enfonce. Les guides ouvrent des passages avec leurs machettes. Ils progressent vite, marchent pendant deux ou trois heures.
Les arbres semblent soutenir une manière d’architecture végétale qui s’épanouit très haut dans le ciel, comme des dômes impalpables. Des profondeurs du brouillard surgit un bref instant un fragment de paysage éphémère, avec force bambous, roches et silhouettes furtives.
Difficile, la progression s’effectue à la machette sous une pluie battante. Quand tout à coup, un bruit retentit, comme des craquements d’arbres. “C’est le dos argenté, il est là”, murmure Innocent, le traqueur. Qui s’accroupit aussitôt et nous fait signer de l’imiter. Il fait un drôle de bruit avec ses lèvres. Le guide nous fait suivre une étroite trouée au travers des broussailles et des laines qui montent à l’assaut des grands arbres. “Le sanctuaire des gorilles” dit-il. C’est là qu’ils ont fait leur nid la nuit dernière, en témoignent les épluchures de pousses de bambous qui jonchent le sol. Ce matin, au réveil, nous les surprenons au moment de leur petit-déjeuner, premier de leurs trois repas quotidiens, à base de plus de 200 espèces de végétaux.
Entre les arbres, nous les voyons. Une dizaine de gorilles, dont le chef de famille, regardent dans notre direction. Les femelles forment un cercle assez informel. Les petits gambadent, mâchent des pousses de bambou. Nous n’avons le droit qu’à une heure, protection des gorilles oblige. Elle passe comme un claquement de doigts. Les guides nous font alors signe de nous retirer. Sans faire de bruit, tristement, nous repartons sur nos pas vers les voitures. Trempés, mais avec des gorilles plein la tête. Comme le dit un proverbe local : “Les gens curieux n’ont pas besoin qu’on leur montre quoi que ce soit, parce qu’ils les découvrent eux-mêmes.”
Changement d’ambiance à Bisate. Le feu a été allumé dans la cheminée de notre nid d’aigle, l’eau chaude coule dans la baignoire genre Out of Africa d’où l’on caresse du regard les cimes des volcans. Je reprends mes esprits en me plongeant dans des nouvelles de Mukasonga, avant de me diriger vers les espaces de réception du lodge où des mets fins et parfumés ont été préparés par le chef. Et je me dis que rarement j’ai effectué un tel voyage, connu un dépaysement et un accueil pareils. Décidément, le Rwanda, c’est plus fort que toi.
A.M