Culture
Portrait de Luke Edward Hall, l’enfant terrible de la couleur
14 FéVRIER . 2020
Découvrir l’univers fantasque de Luke Edward Hall, c’est voir s’ouvrir à nous tout un monde couleurs et de réminiscence seventies. Un voyage Greco Disco, comme l’annonce le titre donné à son premier livre publié aux Editions TeNeues. Mélange de scrapbooking et de récits personnels illustrés de ses dessins, griffonnés ça et là, ce premier opus est une porte ouverte sur une douce excentricité qui semble animer le quotidien du jeune designer anglais. Portrait.
Par Johanna Colombatti
Volontiers kitsch, ses créations fourmillent de références à un art de vivre suranné où se mêlerait Dolce Vita (de Rome à Venise, en passant par Capri et Positano) et Glamour californien en passant par la campagne british dont il est originaire.
Doux héritier de Cocteau et de ses profils d’éphèbes grecs, Luke Edward reprend cette iconographie à son compte pour livrer une production qui, quel que soit le support (papier, textile, céramique…) porte ces (ses ?) motifs à l’envie. Le dessin est ainsi au cœur de ses créations car, de son propre aveu, « le dessin raconte des histoires » : qu’il s’agisse de son amour pour Duncan (son compagnon depuis 10 ans, tout aussi esthète), du souvenir d’hôtels qu’il a fréquentés, ou d’évocations de la Grèce antique à laquelle il voue une véritable passion, c’est au moyen ses crayons de couleurs que Luke immortalise chaque moment de son existence. Depuis toujours.
Enfant, il s’adonne avec passion à toutes sortes d’expérimentations artistiques (collages, fanzines) et croque sur papier tout ce qui croise et attire son regard : natures mortes, portraits, animaux. Préférant s’attarder à l’Art Club une fois la sonnerie de fin de classe retentie, il invente encore et toujours, à l’heure où la plupart de ses camarades désertent les bancs de l’école. Dans sa famille, le soutien pour ses appétences artistiques est de mise, parents comme grands-parents le stimulent et lui prêtent mains fortes dès que possible, encourageant une créativité de tous les instants.
La majorité venue, il quitte son village natal pour plonger dans le bain londonien, et commence par étudier la mode à la central Saint Martins.
Il enchaîne alors les stages et les rencontres professionnelles, puis travaille pendant deux ans pour un architecte d’intérieur basé à Londres. Dès 2015, il décide de fonder son propre studio pour répondre à un grand nombre de commandes d’art, de design, de projets de décoration intérieure et commence aussitôt à signer des collaborations avec les plus grandes marques, (Christie’s, Liberty) qui s’arrachent son trait vif et coloré. Burberry lui confie une campagne en 2016 pour laquelle il réalise des illustrations, figurant portraits comme accessoires, et occupe les vitrines de magasins avec de surprenantes mises en scène de ses dessins. Habitat lui fait signer une ligne de mobilier à destination du grand public et la Royal Academy of Arts sort, à l’occasion de son 250e anniversaire, une ligne de papeterie et vaisselle à l’effigie de ses dessins.
Plus tard, c’est au tour de Richard Ginori, l’historique manufacture de céramiques italiennes qui eut un temps pour directeur artistique le fameux architecte Gio Ponti, de lui ouvrir ses portes. Il crée pour le Salone del Mobile de Milan en avril 2019, une collection intitulée Il Viaggio di Nettuno, directement inspirée de son amour profond pour la mythologie grecque et romaine, en ce qu’elle contient de drame et d’aventures…
Si les arts décoratifs l’intéressent à plus d’un titre, il n’est pas contre estampiller friulanes (fameux chaussons vénitiens) comme polos de rugby ou short de bains, de ses motifs brodés ou imprimés. Il confesse ainsi « Pour moi, une inspiration massive a toujours été le Bloomsbury Group qui croyait beaucoup à l’effacement de la frontière entre l’art et le design. Ils croyaient qu’on devrait pouvoir vivre avec de belles choses tous les jours et c’est un peu comme ça que j’aime travailler aussi. »
Luke Edward Hall s’applique à brouiller les frontières, s’offrant tous les modes d’expression, mais avec une quête d’absolue en toile de fond : celle de créer une véritable atmosphère, un certain art de vivre. Derrière les friulanes, c’est tout Venise qui est à nos pieds. Car dans son monde, on y plonge comme dans un film…
Lorsqu’il évoque la question de l’architecture d’intérieur, une notion fondatrice apparaît dans son discours, celle de pouvoir de se transporter d’une époque à l’autre à travers ses choix d’aménagement. Voyager dans le temps, chez soi. Choisir l’époque dans laquelle on vit et « créer un monde que l’on peut habiter ». Mais surtout s’amuser.
Ce créatif prône une existence faite de joie, de liberté imaginative et pleine de légèreté. Les artifices ne sont pas en reste pour faire exister la beauté, et chez lui la couleur est une arme, un vecteur incomparable d’optimisme. Surtout le rose… et le vert, ses teintes favorites. Il cite volontiers David Hockney pour sa palette et puise son inspiration à travers ses voyages (le bassin Méditerranéen, les Amériques) mais aussi dans sa collection de magazines, de vieux ouvrages d’art, de photographie et de design d’intérieur qu’il chine sans cesse, tout comme les textiles anciens.
Aujourd’hui, il nous livre cet ouvrage comme un amas de souvenirs et fait le voeu qu’il soit, pour ceux et celles qui l’auront en mains, une source d’inspiration à son tour. Une histoire de passation… hautes en couleurs !
J.C