Horlogerie
Horlogerie : les pièces-phare de Gérald Genta en vente à Drouot
27 FéVRIER . 2020
Révéré aujourd’hui, Gérald Genta a signé quelques-unes des montres les plus courues du moment. Mais son travail est loin de se limiter à ces best-sellers trop évidents. La dispersion aux enchères d’une collection de pièces représentatives de son travail, le 4 mars prochain par l’étude Magnin-Wedry à Drouot, est un prétexte suffisant pour remettre en lumière quelques créations significatives de « Monsieur 100 000 montres ».
Par Frédéric Brun
La célébrité ? C’est simple comme un coup de fil. Ou presque. C’est en tout cas le magnifique coup du sort qui devait transformer l’existence de Gérald Genta, ou plus exactement la deuxième moitié de sa vie. Le créateur suisse avait 39 ans en 1971. Bien que prolixe depuis les années 1950, avec de nombreux dessins horlogers à son actif, depuis la fameuse montre SAS Polerouter produite par la belle maison Universal, de Genève, il n’avait guère gagné que la considération de ses confrères. Il marchait encore dans une rue à l’ombre de l’argent, selon une expression du Jura suisse…
En redessinant la montre Constellation pour Omega, en 1959, Gerald Genta fera la démonstration de son habileté non seulement esthétique mais aussi stratégique. Gamme phare d’Omega, la ligne Constellation, ainsi modernisée, devait continuer à s’imposer durant de nombreuses années. C’est avec de l’acier qu’il va faire de l’or. A 4 heures de l’après-midi, la sonnerie stridente du téléphone déchire le calme de son bureau. La voix énergique du tonitruant Georges Golay, patron d’Audemars Piguet, retentit. Il lui faut une montre. Une montre sensationnelle. Vite. Vite car la Foire des Industries Suisses (appelée aujourd’hui Baselworld) est sur le point de s’ouvrir et que la maison a besoin de frapper fort aux yeux des acheteurs des deux pays les plus importants alors : la France et l’Italie.
Intuitif, Gérald Genta travaille toute la nuit. La légende urbaine veut qu’elle ait été dessinée en quelques minutes sur le coin d’une nappe de restaurant pendant la foire de Bâle. L’anecdote participe de sa réputation de « Picasso des montres ». Ce qui est plus certain, c’est que l’inspiration lui est venue d’un casque de plongeur à grandes profondeurs, avec un masque fixé par huit vis d’acier.
Royal Oak et Nautilus : faire de l’or avec de l’acier
Le styliste a anticipé l’envie d’une jeune génération qui attache moins d’importance à avoir une élégante montre de ville et souhaite désormais une pièce plutôt polyvalente – du moins en terme de style, car les premières versions n’ont qu’une étanchéité symbolique – au bracelet métallique intégré. Ce sera la Royal Oak. Si le prototype est en or, les modèles de série seront bien produits en acier, et vendus au prix de 3 650 CHF. Une somme stupéfiante à l’époque pour une montre décontractée, quand une vraie plongeuse en acier, comme la Submariner de Rolex ne coûte que 1000 CHF.
Mais la Royal Oak n’est pas un succès immédiat. Si les acheteurs Français et Italiens se sont chacun risqués sur des commandes de 400 exemplaires, il faudra néanmoins plus d’un an à Audemars Piguet pour parvenir à écouler les 1000 premiers exemplaires de cette montre mécanique, c’est-à-dire à contretemps de la révolution ambiante du quartz.
Néanmoins, Patek Philippe entend donner la réplique. Pour ce faire, la manufacture genevoise se tourne vers… Gérald Genta ! Le concepteur joue sur les inspirations marines, notamment les formes des hublots des transatlantiques, et dessine la Nautilus. Le succès n’est pas non plus immédiat, mais le style Genta fait école. En 1975, Girard-Perregaux lance sa Laureato, et, en 1977, en même temps que son propre mouvement à quartz, Rolex dévoile un nouveau dessin pour son Oysterquartz. Une influence si forte qu’il n’a pas été rare de lire il y a quelques années que ces deux dernières avaient été dessinées par Genta.
« Gérald Genta est comme un grand couturier polyvalent, capable de redonner du souffle à une maison. Avant l’heure, c’est un peu le Karl Lagerfeld de la montre. Il a été le premier, sinon le seul, à donner sa propre touche à des montres diverses pour des maisons différentes, et même à créer sa propre marque » commente l’expert horloger Alexandre Léger, expert de la vente Magnin-Wedry à Drouot, où les amateurs avisés remarqueront, parmi les pièces rassemblées durant une vingtaine d’années par un jeune collectionneur parisien, une intéressante Nautilus Référence 5711/R, en or rose, au cadran marron, ou encore une Nautilus Référence 5726A-001 portant la double signature de Patek Philippe et de Tiffany, où elle fut vendue à l’origine. « Avec l’achat du joaillier et horloger Tiffany par LVMH, ces pièces à doubles signatures vont devenir très rares et donc très intéressantes en collection » souligne Alexandre Leger. Avec, en prime, la signature de Gérald Genta.
La richesse avant la gloire
On ne prête qu’aux riches. Riche, Gérald Genta ? Il l’est en effet devenu. Dans les années 1980, toujours impeccablement vêtu, dans un style italien chic et légèrement flamboyant, il se paie le luxe d’arriver à ses rendez-vous au volant de sa Ferrari. Ce n’était pas très fréquent, en Suisse, à cette époque, alors que les marques traditionnelles avaient été mises à genoux par la crise du quartz, de conduire une Ferrari dans le milieu horloger. Mais Gérald Genta n’avait que faire des contraintes ou du qu’en-dira-t-on. N’est-ce pas lui, le premier, à avoir revendiqué la paternité de la « montre de sport en acier la plus chère du monde » ?
Mickey et Donald jouent pour Genta
Mais cantonner Gérald Genta aux poncifs horlogers que sont devenus les Royal Oak et les Nautilus serait trop réducteur. Ce serait faire l’impasse sur un certain nombre de créations intéressantes et dans certains cas, marquantes.
Parmi les plus connues, il y a bien entendu ces montres des années 1980 réalisées avec une licence exclusive de la part de Disney. Sur les cadrans, les bras de Mickey Mouse ou de Donald Duck profitent de complications horlogères pour indiquer l’heure. Du jamais vu à l’époque pour des pièces horlogères complexe en or. Il fallait oser ! Laurent Picciotto, fondateur de Chronopassion à Paris, sera le premier à tenter l’aventure et à en vendre.
Que de chemin parcouru lorsque l’on découvre au catalogue de la vente du 4 mars prochain deux montres Swatch figurant Mickey Mouse interprété par Damien Hirst. La pop culture est passée par là et les arts graphiques, incluant le dessin animé et la BD, sont désormais reconnus. le pressentiment de Gérald Genta était le bon. « Ces Swatch ont toutes leur place dans une vente de belle horlogerie » souligne l’expert Alexandre Leger en précisant que « sans la géniale invention de la Swatch dans les années 80, qui a permi de sauver l’industrie horlogère suisse, il n’y aurait sans doute plus eu de QP et autres Grandes sonneries ensuite. C’est un jalon pour tout collectionneur ».
La première montre-bracelet en bronze
Car Gérald Genta n’est pas qu’un créateur de pièces en acier. Loin s’en faut puisqu’il a été le premier à faire une montre-bracelet en bronze ; matière tellement à la mode en ce moment. Il s’agissait de la Gefica Safari. Cette montre fut créée en 1984 à la demande de trois amis chasseurs pour leurs safaris en Afrique. De la fusion des deux premières lettres de leurs patronymes respectifs (Geoffroy, Fissore et Canali) est né son nom : GEFICA. Gérald Genta était lui-même très amateur de ce sport, et appréciait de traquer les Big Five, les cinq grands animaux d’Afrique. L’utilisation révolutionnaire du bronze pour l’habillage relevait du souci d’invisibilité, car sans aucune brillance, ce matériau permettait de ne pas refléter la lumière du soleil.
Autre mention spéciale, la Montre Octogonale. Cette montre-bracelet au boitier octogonal, créée en 1991, est une forme typique est très reconnaissable de la marque Gérald Genta. Elle se pare d’un cadran squelette avec indication de la phase de lune à midi dans un disque émaillé bleu, du mois à trois heures, de la date à six heures et du jour à neuf heures. Il en existe des versions Quantième perpétuel et répétition minutes.
L’escalade des très grandes complications
Pour une clientèle huppée et fortunée, il réalise personnellement des modèles uniques, prestigieux et audacieux, dont certains ont mis plusieurs années à voir le jour.
En 1995, après 5 ans de recherche et de développement, Gérald Genta dévoile la Grande Sonnerie, la montre-poignet considérée comme la plus sophistiquée et complexe au monde. Cette montre fut une première à plus d’un titre, en particulier, elle comprenait plus d’un millier de pièces détachées. Répétition minutes, carillon Westminster à quatre marteaux, quantième perpétuel, double affichage de la réserve de marche, elle est une performance absolue.
Le dernier baroud d’honneur horloger sera la Gérald Charles Maestro Tourbillon Carrée. 5 ans après le lancement de sa marque Gérald Charles, le célèbre designer présente en 2006 la Tourbillon Maestro Carrée, issue d’un concept novateur visant à mettre en majesté le ballet des mouvements, notamment un tourbillon suspendu à travers un garde-temps transparent. Aujourd’hui, l’ajourage est devenu la norme.
Il n’est pas toujours facile d’avoir raison avant tout le monde. Néanmoins, Gérald Genta fait désormais figure de maître. Après la reconnaissance de ses pairs puis la fortune, il aura même acquis la célébrité ; à contretemps.
F.B
Vente aux enchères « Montres de collection, écrin de Monsieur G. »
Maison de ventes Magnin-Wedry
Exposition publique Lundi 2 et Mardi 3 mars,
A l’hôtel des ventes Drouot, salle 7
Ouvert de 11 heures à 18 heures,
9 rue Drouot,
75009 Paris
T. 01 48 00 20 07
Vente aux enchères publique le Mercredi 4 mars à partir de 14 heures 30