Gastronomie
Mordu : Saint-Germain-des-Prés s’en lèche les doigts
10 FéVRIER . 2020
Entre Apple Store clinique , Uniqlo bondé et boutique Nespresso bien peignée, les arcades du Marché Saint Germain n’ont jamais réussi à attirer (et conserver) une proposition gastro digne de ce nom. Même Hugo Desnoyer s’y est cassé les crocs. Mais la sinistre fatalité pourrait bien prendre fin : nous y avons fait un repas d’exception chez Mordu. Description d’un coup de foudre.
Par Thierry Richard (texte et photographies)
Reconnaissons-le, l’adresse ne paye pas de mine. Son décor un peu de bric et de broc, hérité en partie de l’Étable, le restaurant carnassier de Desnoyer aux fauteuils en poil de vache, mêlant une grande salle lumineuse, haute de plafond aux beaux papiers peints graphiques dans une tonalité contemporaine chic et un coin bar avec ses tables hautes de traverses de chemin de fer aux allures de chalet d’alpage n’est pas le premier atout de Mordu.
Il reste pourtant accueillant, joliment proportionné (les tables sont espacées comme il convient), d’une belle clarté et la terrasse posée sous les arcades deviendra, à n’en pas douter, un must-go du Printemps. On y déjeune sereinement, dans le calme et le temps posé.
Mais Mordu possède un as dans sa manche : un chef de cuisine passé chez Guy Martin (il fut son second au Grand Véfour), Baptiste Trudel. Et si la partie se prolonge, une autre carte maîtresse apparaît rapidement, un sommelier new style, passionné, qui saura vous conseiller et vous faire voyager en quelques mots à travers les vins nature et bio d’une carte des vins exceptionnelle : Olivier Machado.
Côté cuisine, c’est peu dire que Baptiste Trudel a du talent. Il envoie de sa cuisine planquée des plats du répertoire aux produits d’exception dans des propositions créatives et généreuses où la qualité d’exécution témoigne à chaque bouchée de son passage dans de grandes maisons. Les accords de saveurs régalent et surprennent, caressent le palais dans le sens du poil et jouent un double parfait avec les vins de la carte foisonnante.
Le “Pâté en croûte, cane sauvage”, mêlant gibier et lard de Colonnata dans une gelée au Cognac et Porto est tranché fin mais d’une belle puissance. Le “Flat Bread minute, tarama maison, truffe Mélanosporum”, aérien et monté à la demande embaume la truffe d’un parfum enivrant.
En pleine saison les “Oursins cocotte, oeuf de caille, oeufs de brochet, écume crustacés” sont aussi bons que beau, distillant un goût profondément iodé et violent, refuge des amateurs. Une pointe d’iode que l’on retrouve d’ailleurs dans le vin blanc autrichien choisi pour l’accompagner, un Domaine Schmelzer’s, Weinland, Grüner Veltliner 2017 délicieux.
Toujours dans le répertoire fourni des entrées (on a bien exploré les recoins de la carte), le sommet sera atteint avec les “Pieds de cochon grillé, anguille fumée, betteraves en pickles”, présentés en carapace d’un rouge profond surmontée de feuilles de câpres en julienne et où le combo pieds de cochon snackés, anguille fumée pêchée chez Pétrossian et légère acidité des betteraves en pickles emportent tous les suffrages.
En résistance, la “Cane basque Kriaxera, artichauts barigoule” joue les fières à bras avec sa cuisson bien rosée et son jus de viande sirupeux quand la “Lotte, risotto de céleri, oeufs de truite, herbes fraîches” joue les précieuses enrobées dans sa robe de beurre blanc aux notes délicates et rondes. La première s’accommodant d’un très robuste vin du Rhône, Domaine du Coulet, IGP Ardèche rouge, Black Flag 2018 et la seconde d’un intense et minéral Condrieu de François Dumas 2017.
On finira, au choix, sur une notre de fraîcheur exotique avec la “Salade de kiwi, sorbet mangue/coriandre, émulsion coco” ou la profondeur obscure d’une “Ganache chocolat, crumble de noisettes, caramel fleur de sel” et son chevalier servant lusitanien, un superbe Porto Vintage, rond et élégant, Vasques de Carvalho 2013.
Vous l’avez compris, il y a chez ce Mordu du talent à revendre, une bonne dose de bonne humeur et de générosité, une carte des vins passionnante et un service aux petits oignons. Que demander de plus ?
Un rayon de soleil pour profiter de la belle terrasse aux somptueuses promesses !
T.R.
Résumons
Atmosphère : Décor lumineux, haut de plafond, clientèle bien élevée et terrasse aguicheuse.
Le plat à ne pas louper : L’oursin en saison et l’alliance explosive pieds de porc et anguille.
Liquides : Une carte de vins nature/bio/biodynamiques exceptionnelle, partagée avec passion par un sommelier franc du goulot.
Prix : Germanopratins.
En pratique
Mordu
2 rue Félibien
75006 Paris
Téléphone : 01 42 39 89 27
Fermé dimanche et lundi
Réservations acceptées
Menus déjeuner en semaine à 26 € et 30 €
Menus dégustation à 50 € et 75 €
A la carte compter autour de 60 €
Métro : Mabillon