Eros
Erich Sokol, un caricaturiste sensuel et engagé chez Playboy
31 MARS . 2020
Après 66 ans de parution, la version papier du magazine Playboy tire sa révérence pour laisser place au tout numérique. Adieu la double page, vive le scroll… Le lapin fringant et ludique affublé d’un noeud papillon, aussi célèbre que le nom du mensuel, reste un des dessins les plus connus au monde (et le logo plus rentable !). C’est sans compter les oeuvres cartoonesques d’Erich Sokol, caricaturiste attitré du magazine, et ses femmes fantasques qui ont fait sourire et rêver des millions de lecteurs.
Par Guillaume Cadot
Le magazine Playboy est, bien sûr, indissociable de son créateur Hugh Hefner. “Hefner l’homme et la marque Playboy étaient inséparables. Ils se vendaient tous deux comme des emblèmes de la révolution sexuelle”, écrivait le New York Times en 2017. Sa robe de chambre en velours, ses cheveux argentés, ses pin-ups bien plus jeunes que lui, la double page centrale du magazine qui se déplie pour laisser apparaître la fille nue du mois et les caricatures dessinées par Erich Sokol… Tous ces artefacts ont contribué à créer la légende de ce magazine hédoniste, secouant l’Amérique puritaine dès les années 1950.
Venu de son Autriche natal où il pratiquait déjà la caricature, mais politique, , Erich Sokol entre au magazine Playboy en 1957 alors qu’il met le pied en Amérique pour se perfectionner au IIT Institute of Design à Chicago. Ses dessins humoristiques plaisent immédiatement et il est engagé à plein temps. En 1975, il repart un temps pour l’Autriche pour livrer essentiellement des caricatures et des dessins politiques pour la presse de son pays. En 1992, Il reprendra sa collaboration avec Playboy jusqu’à sa mort en 2003.
Son talent s’exprime dans la maîtrise des couleurs, le sens de la lumière éclairant les corps et les situations, le style de la caricature jamais vulgaire mais toujours coquin et bien sûr les rondeurs si reconnaissables de l’anatomie féminine. Dans son dessin, la femme est toujours mise en avant. L’homme est ridiculisé tant dans ses habits que ses postures : il est le médecin bedonnant, le fermier un peu gauche, le général fanfaron, le PDG précieux… On échappe ainsi au simple voyeurisme machiste du concept.
Playboy s’est toujours targué de défier l’Amérique bien pensante; les dessins d’Erich Sokol étaient l’un des instruments servant cette cause, à coups de petites observations satiriques, crayonnées et colorées, toutes en rondeur, de la vie moderne américaine. Elles racontaient des situations ordinaires de la vie des citoyens américains qui se rendent chez le médecin ou dans leur épicerie de quartier mais jouées par des femmes plantureuses faisant fantasmer le public masculin populaire..
Il jouait parfois avec l’élite, intégrant dans ses dessins notable ou princesse dont la plastique renvoyait immédiatement à la pin-up Playboy gourmande à souhait avec ses formes généreuses. La signature esthétique du magazine.
Lorsqu’Hugh Hafner publie, à 27 ans, le premier numéro, c’est avec Marilyn Monroe et des photos achetées 500 dollars qu’il signe l’image du magazine et son pied de nez à l’Amérique rigide. Sokol sera la retranscription dessinée de cette femme Playboy quelle que soit son origine et sa race. Métisses, asiatiques ou caucasiennes, les femmes représentées par le caricaturiste seront reconnaissables entre mille.
Brigitte Bardot accompagnée de son mari (de l’époque) Gunter Sachs aura droit à sa caricature ; lui, gros nez, clope au bec et chevalière, avec son jean clair et son blazer boutons dorées de yachtman, elle bien rondelette en robe crochet déambulant sur une place de village rappelant Saint-Tropez.
Les caricatures d’Erich Sokol exprimaient le vent de la liberté sexuelle, l’interaction entre les hommes et les femmes suivant les époques, prêtaient toujours à sourire, jamais cruelles.
Le caricaturiste suivait avec grâce ces mots, tirés de l’autobiographie d’Hugh Hefner : “Ma vie est un test de Rorschach. Les gens y projettent leurs rêves, leurs fantasmes et leurs préjugés. Donc soit ils sont fans, soit jaloux, soit ils ne sont pas d’accord.”
G.C