Art
Félix Marcilhac, marchand d’art visionnaire
06 MARS . 2020
Tandis que le plus célèbre salon d’antiquaires, la TEFAF Maastricht, ouvre ses portes demain, réunissant 285 stands de beautés antiques, anciennes et modernes réunies, le monde de l’art parisien a quant à lui récemment perdu l’un de ses symboles… Focus sur une icône de l’Art Nouveau et de l’Art Déco, Felix Marcilhac, historien, galeriste et collectionneur, disparu le 29 janvier dernier à l’âge de 78 ans.
Par Laure Martin
C’est un heureux hasard, si Félix Marcilhac s’intéresse à l’art. Après des études de sciences politiques, il découvre les Puces et le Village suisse avec l’une de ses amies américaines, rencontrée à l’occasion d’un travail saisonnier. Au début des années 1960, l’Art Nouveau (1890–1914), mouvement caractérisé par ses courbes et ses arabesques, est encore considéré comme une annexe du style Napoléon III et apprécié par un petit cercle de privilégiés. Félix Marcilhac croise la route de Bernadette Fenwick (« grande bourgeoise antiquaire à ses heures au Village suisse » selon les mots de l’illustrateur et collectionneur Pierre Le Tan) et de Stephane Deschamps, fervent amateur d’Art nouveau et des vases d’Emile Gallé, qui l’initient à ce style.
Très vite, Marcilhac commence à prendre goût à la chine et confie ses trouvailles à l’antiquaire Jeanne Fillon, avant d’ouvrir sa galerie éponyme en 1969.
Passionné par le travail de Joseph Csaky, sculpteur avant-gardiste hongrois, du travail de Maurice Marinot, artisan verrier, ou encore par les désormais célèbres ensembliers René Lalique et Emile Gallé, deux grands noms de l’Art Nouveau, c’est au 8 rue Bonaparte, à Saint-Germain-des-Prés qu’il décide de présenter ses trouvailles d’Art Nouveau et d’Art Déco (mouvement artistique qui commença en 1920 pour se terminer en 1939 prônant un style épuré et des lignes rigoureuses et géométriques).
Haut-lieu de la vie parisienne, le quartier phare du VIe arrondissement s’impose à cette époque comme le nouveau lieu à la mode. Il était alors fréquemment possible de croiser dans les rues de la fameuse Rive Gauche Yves-Saint-Laurent et Pierre Bergé ainsi qu’Andy Warhol parfois accompagné de Jed Johnson, Fred Hugues ou de quelques comparses de la Factory, fidèles clients de la galerie…
Loin de rester enfermé au sein des murs de sa galerie, Félix Marcilhac arpente les bibliothèques, les ateliers d’artistes et les appartements des collectionneurs en quête de nouveautés. Il se passionne alors pour les peintres orientalistes tels que Paul Jouve, célèbre pour ses représentations animalières comme Couple de tigres au repos de 1930 et Jacques Majorelle, icône de la peinture marocaine…
En parallèle à son activité de galeriste, ce spécialiste des arts décoratifs compose au gré de ses envies une collection privée d’exception. Véritable amoureux de la recherche, il qualifiait d’ailleurs sa quête de l’objet parfait auprès de Catherine Ardin, auteure de l’ouvrage de référence intitulé Etre Antiquaire (1983) en ces termes : « acquérir un objet peut se comparer à l’atteinte d’un orgasme. Ce qui est passionnant, c’est sa conquête. Avant. Après, soit on recommence, soit on s’arrête. »
« Acquérir un objet peut se comparer à l’atteinte d’un orgasme » – Félix Marcilhac
C’est après avoir décidé de mettre fin à ses activités d’expert en laissant son fils, Félix-Félix, à la tête de la galerie qu’il décide de mettre en vente sa collection particulière. Cette vente aux enchères composée de 316 objets d’Art Nouveau et d’Art Déco, s’envolait en 2014 chez Sotheby’s pour 24,7 millions d’euros, soit trois fois son estimation basse. Pour rappel, l’incroyable cabinet en gypse de Jean-Michel Frank, pièce unique créée par le décorateur vers 1935, fut vendue 3.681.500 euros, la paire de fauteuils en galuchat également signée Frank datée de 1928 était partie à 620.000 euros tandis que la console de Pierre Legrain réalisée vers 1924 avait quant a elle été adjugée 613.500 euros, cinq fois son estimation… Symbole de sa vision remarquable de l’art de cette première partie du XXe siècle.
L.M