Gastronomie
Whisky et chocolat, les accords de Jade et Jacques Génin, fondeurs en chocolat
30 MARS . 2020
Avez-vous jamais dégusté ses bonbons de chocolat à la menthe fraîche, ses pâtes de fruits à la framboise ou encore ses caramels mangue fruit de la passion ? Pour ceux qui n’auraient pas encore succombé aux délices concoctés avec amour par Jacques Génin, il serait grand temps ! Alors pour vous aider à sauter définitivement le pas, nous lui avons demandé de se livrer, avec sa fille Jade qui l’a rejoint en juillet dernier, à un petit exercice qui nous ravit. Accorder ses créations avec des whiskies triés sur le volet. Car ce n’est un secret pour personne, notre fondeur en chocolat en est fan.
Par Caroline Knuckey
Au laboratoire, rue de Turenne à Paris, c’est le boom pour les préparatifs de Pâques. Pour le petit exercice qui va suivre, les bouteilles ont été soigneusement mises de côté, prêtes à être dégustées.
1. Harmonie by Alfred Giraud – Hespérides, chocolat noir au pamplemousse
Première tentative, un triple malt français titrant à 46,1% d’alcool embouteillé dans un flacon-carafe de toute beauté, Harmonie by Alfred Giraud. La famille Giraud, c’est trois générations de tonneliers et de maîtres de chai cognaçais de père en fils depuis la fin du XIXe siècle. Cette idée un peu folle de lancer sa famille dans l’aventure du whisky en 2012, on la doit à Philippe Giraud, son plus jeune représentant. « L’art du cognac, c’est l’art de l’assemblage. Pourquoi ne pas appliquer cette expertise au whisky ? » explique-t-il. Chose dite, chose faite.
Harmonie by Alfred Giraud pousse le bouchon très loin puisqu’il s’agit d’un assemblage de trois distillats de malt français non tourbés, logés dans trois types de fûts : une forte majorité ayant contenu des vieux cognacs, des fûts neufs de chêne français du Limousin et des fûts neufs de chêne américain. L’assemblage est ensuite vieilli exclusivement en fûts ayant contenu de très vieux cognacs, puis marié avec un distillat de malt français légèrement tourbé, avant d’être relogé dans les mêmes fûts de très vieux cognacs. Vous suivez ?
« Au nez, des notes alcooleuses qui virent, après l’avoir laissé respirer, à des notes iodées » nous dit Jacques. En bouche, « on sent bien la tourbe, un peu de figue, du bois fumé », risque Jade. « Une bouche réveillée avec une finale longue où se décèle une tourbe légère, élégante », conclut le père. Après avoir enfourné, pour un premier essai, une ganache chocolat au lait au gingembre – Zinzibar de son petit nom – Jacques opte pour Hespérides, sa ganache chocolat noir au pamplemousse. Et là, bingo ! Le côté acidulé du fruit se marie très subtilement au précieux liquide et accentue sa finesse.
2. Kirin Fuji-Sanroku – Thé toi, ganache chocolat noir au thé
Pour ce deuxième accord gourmand, place à un whisky japonais. Une petite merveille signée du master blender Jota Tanaka, réputé pour ses blends d’une grande richesse aromatique. Distillé au pied du mont Fuji, Kirin Fuji-Sanroku est le fruit d’un assemblage de deux types de single malts distillés dans des alambics à repasse et de trois types de whiskies de grain distillés dans trois alambics différents (Kettle, Doubler et colonnes) élevés dans des petits fûts de chêne blanc de 180L.
Voyons ce que les deux « J » en pensent… Au nez pas de doute, les céréales ! Mais tout en douceur. Une bouche fruitée avec de la cerise et de la figue. « Le thé devrait ramener un peu de fraîcheur », précise Jacques. De fait, la ganache chocolat noir Thé toi au thé « bleu-vert », à mi-chemin entre un thé vert et un thé noir, réussit l’équilibre attendu.
3. M&H Classic Edition – ganache au basilic
Comment surprendre encore Jacques Génin qui semble bien rôdé à l’exercice ? Tentons un whisky israélien, le tout premier à être distillé dans « le pays où ruissellent le lait et le miel » – d’où son nom M&H pour Milk & Honey.
M&H Classic Edition est un single malt « urbain », distillé en plein cœur de Tel Aviv, issu d’un assemblage d’anciens fûts de bourbon à 80% et de fûts de vin rouge d’Israël grattés et brûlés à différentes intensités pour les 20% restants.
Là, Jacques et Jade se font plus bavards. Le nez ? « Sur la céréale pure et dure ! Légèrement tourbé, un peu iodé », entame Jacques. « Camphré, boisé avec des notes de banane » renchérit Jade. La bouche est agressive. Jacques Génin opte d’emblée pour sa ganache chocolat noir Menthe Amante à la menthe fraîche (ma préférée, cela dit en passant !) « La menthe rehausse le côté iodé du whisky », affirme-t-il. Mais c’est Jade qui aura le dernier mot… L’accord gagnant, c’est la ganache au basilic qui ressuscite le sel de chaque côté du palais. Le père s’incline, fier de sa progéniture.
4. Tomintoul 15 ans Portwood – pâte de fruit à la poire
Alors que nous lui avons réservé un whisky d’Islay pour la fin, le whisky qui suit va faire grande sensation. C’est le coup de cœur absolu pour le père et sa fille. Pas l’ombre d’une hésitation quant à son accord pour ce whisky au nez très herbacé avec des notes de poivre.
Tomintoul 15 ans Portwood est un Speyside pur jus vieilli d’abord en fûts de bourbon avant un second repos en fûts de Porto, signé du maître distillateur Robert Fleming. La distillerie créée en 1965 dans le village le plus haut des Highlands (Tomintoul), qui fut choisi pour sa proximité avec la source Ballantruan, aux eaux limpides.
« Notre pâte de fruit à la poire ! » À peine savourée, après avoir avalé quelques gouttes du whisky, Jacques s’exclame : « on dirait que la poire a été confite dans le whisky, comme si elle avait été déposée au fond du tonneau ! C’est la fusion parfaite. Et de poursuivre dans une envolée lyrique : on retrouve toute l’élégance des vents de la mer et des herbes fraîches des champs ! Avec Les Grands Ducs, on peut se lâcher non ? » Jade, qui en est à sa toute première dégustation, est conquise.
5. Bunnahabhain Staoisha 2014 – ganache chocolat noir à la menthe
Le très tourbé Bunnahabhain Staoisha 2014, qui clôt l’exercice, Jade se le réserve pour un moment privilégié avec son compagnon, avec la bénédiction du père. Elle apprend vite, Jade ! Il y a de la fougue et de l’impatience dans sa quête d’apprendre.
Embouteillé brut de fût, sans filtration à froid et sans colorant, exclusivement pour Le Comptoir Irlandais par Signatory Vintage (embouteilleur indépendant écossais spécialisé dans les single malts millésimés provenant d’un seul fût) , ce sont les équipes en interne qui ont participé à la sélection des fûts. Pour que la tourbe s’exprime au mieux, le fût Hogshead, très tourbé, a été « gratté » et « rebrûlé » pour un résultat exceptionnel.
Ce single cask, jeune et vif, issu de la distillerie Bunnahabhain sur l’île d’Islay, a subi un court vieillissement en fût pour limiter l’influence du bois et laisser s’exprimer pleinement la tourbe. « 100% Islay ! » entame Jacques. « Un peu d’ail frais », ajoute Jade. « Une bouche vivifiante, terreuse, où pointent fruits secs, céréales, mousse… »
Il fallait bien que la ganache chocolat noir à la menthe fraîche finisse par triompher ! « La menthe fraîche domestique la tourbe sauvage. » L’accord est posé. Menthe et tourbe jouent les alternances. » Ne manque plus que le canapé en cuir sur fond d’air marin… « glisse Jacques, visiblement enchanté par ce moment de partage. C’est qu’une seule chose compte à ses yeux : le plaisir. « Tu as du plaisir ou tu n’en as pas. » Le chocolat qu’il préfère ? Celui qui dépend du moment. À chaque moment, son chocolat, comme à chaque moment, son whisky.
C.K | Image à la une © Franck de Vismes