Eros
Le chocolat, l’aphrodisiaque du Printemps revenu
10 AVRIL . 2020
Si la fête de Pâques marque traditionnellement la résurrection du Christ et la fin du Carême, n’oublions pas que ce temps-fort chrétien s’est surtout superposé à celui, païen, marquant le retour du printemps et la vie renaissante. Dès l’Antiquité, l’oeuf, symbole de la fertilité, s’offre à l’occasion de certains rituels de la nouvelle saison. Les fêtes évoluent avec l’établissement des nouvelles religions monothéistes, mais l’oeuf, lui, demeure. Alors comment s’étonner, dès lors qu’on connaît sa symbolique, de le retrouver bien plus tard associé au chocolat, l’aliment aphrodisiaque par excellence ? Petite chronique du chocolat érotique.
Par Elsa Cau
Des “plaisirs de la bouche” aux “plaisirs de la couche”
Déjà, sous les règnes Maya et Aztèque en Amérique Centrale mais aussi en Amérique du Sud (où on les transformait en alcool), les fèves de cacao faisaient fureur: mélangées, sous la forme d’un breuvage mousseux, à du piment, du poivre et des clous de girofle, elles avaient la réputation d’être un grand excitant, sexuel, notamment.
Le conquistador Hernàn Cortès était loin de penser, à son retour de la cour mexicaine de Montezuma II au XVIe siècle – l’empereur aztèque avait pour habitude de consommer la boisson aphrodisiaque avant d’honorer son harem – qu’il rapportait dans les soutes de son navire une véritable petite drogue, qui allait bientôt gagner toute l’Europe, à la folie.
Breuvage des dieux ou du diable ?
Et pourtant, à peine une centaine d’années plus tard, le cacao, devenu chocolat, la boisson de toutes les cours d’Europe, déchaînait les passions. On lisait ainsi en 1624 que le chocolat était coupable d’échauffer “les esprits et les passions” notamment… dans les couvents. En Angleterre, délivré du régime puritain imposé par Cromwell, on chante « Les vieilles rajeunies et soudain enjouées, Verront leur chair frémir d’une ardeur ranimée, Brûleront des désirs que vous imaginez, Sitôt qu’au chocolat elles auront goûté… »
Quarante ans plus tard, le cardinal Brancaccio, lui, décidait qu’il “serait bien dommage d’en laisser le privilège au Diable”, déclarant le chocolat acceptable pour l’Eglise.
Et pourtant, l’Eglise se questionne jusqu’à la fin du XVIIIe siècle : est-ce un aliment ? Une boisson ? Peut-on de ce fait consommer le chocolat pendant le carême, ou rompt-il le jeûne ? On se souvient du duc de Saint-Simon s’étonnant de voir le roi Louis XV consommer du chocolat en 1743, en plein carême. D’ailleurs, quelques années plus tôt, le souverain avait refusé la confession et la communion à Pâques. L’évènement en dit long sur les moeurs de la cour, en constante recherche de divertissements et de plaisirs -dont la volupté.
Le chocolat, “l’amant alimentaire”
C’est que le chocolat est l’aliment roi des Libertins. C’est même là l’origine de sa popularité. En 1702, on lit, dans le Traité des aliments de Louis Léméry, qu’il est “propre à exciter les ardeurs de Vénus”. Exotique, cher et stimulant : voilà bien de quoi créer une mode à la cour de France, après avoir connu un franc succès en Espagne et en Italie. Le chocolat, machine à fantasmes ? Rebaptisé “boisson des dieux” par le naturaliste Carl von Linné en 1737, le chocolat devient la coqueluche du siècle des Lumières.
Le Régent Philippe d’Orléans, grand libertin, consomme le chocolat au réveil. Accusée d’être “froide”, Madame de Pompadour, favorite en titre de Louis XV, en boit quotidiennement pour se “donner du tempérament et s’échauffer le sang”. Casanova, célèbre collectionneur d’aventures, applique la même technique, déclarant que le chocolat est “l’amant alimentaire” efficace contre le “manque d’ardeur”. La du Barry, elle, en sert systématiquement une tasse à ses amants. Dans la peinture, le chocolat représente souvent le prélude à l’amour dans une scène galante, à moins qu’une chocolatière ne soit posée là, dans un coin de l’oeuvre, sur une table de nuit au petit matin… Le Marquis de Sade est même emprisonné pour avoir intoxiqué de jeunes filles aux pastilles de chocolat -l’Histoire hésite parfois avec de l’anis, mais la symbolique est là- fourrées à la cantharidine, cette petite poudre faite à partir de l’insecte, elle aussi réputée aphrodisiaque.
Louis XV lui-même, grand amateur des plaisirs de la chair, aime à préparer seul son chocolat. Sa recette a même traversé les siècles, pour les intéressés : quelques tablettes de chocolat à bouillir dans une cafetière, un jaune d’oeuf, de quoi égayer les ébats à venir…
Les références au chocolat comme stimulateur érotique, en cette grande période libertine pendant laquelle tous les sens sont étudiés pour converger vers le plus grand des plaisirs, ne manquent pas. “Tandis qu’on nous préparait un chocolat voluptueux, je m’approchai d’elle, et cueillis sur sa bouche un nectar tel que celui qui était préparé pour les dieux” écrit Claude Godard d’Aucour dans sa coquine nouvelle Mon histoire et celle de ma maîtresse, parue en 1745.
Et c’est ainsi que, lorsque Marie-Antoinette arrive à Versailles pour épouser Louis XVI, si on lui arrache son petit chien, on laisse tranquille son chocolatier, qui devient Chocolatier officiel de la Reine et intègre mille délices aux chocolats à boire de l’époque, comme la fleur d’oranger ou l’amande.
L’oeuf, du symbole de la fertilité aux joies innocentes de Pâques
Au XVIIIe siècle, les oeufs frais, traditionnellement peints et décorés en attente d’être consommés après le carême, sont vidés et remplis de chocolat liquide. On sait que, dans toutes les cours d’Europe et jusqu’aux splendeurs des oeufs Fabergé en Russie, les souverains aimaient offrir des oeufs aux membres de leur famille comme à leurs maîtresses… Le chocolat, un clin d’oeil libertin, peut-être ?
Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle qu’on invente un mélange de beurre de cacao, de sucre et de chocolat en poudre qui permet d’obtenir une pâte molle à verser dans les moules. Le chocolat se démocratise rapidement à l’ère industrielle… Qui s’avère être aussi le siècle des cocottes.
E.C | A la une, une femme se penche sur une chocolatière et deux tasses. Jean-Baptiste Le Prince, La Crainte, 1769 © Museum of Fine Arts, Boston