Gastronomie
Douro, pays où le noir est couleur : à la découverte du vin de Porto
22 AVRIL . 2020
Que savez-vous au fond du Porto à part qu’il s’appelle Cruz, Sandeman et ressemble à Zorro dans les vieilles publicités qui le faisaient acheter par Mamie avec des Tuc pour l’apéro ? Alors suivez-nous sur les rives du Douro, où ces messieurs les Anglais ont encore tiré les premiers.
Par Aymeric Mantoux
Vous connaissez Bordeaux, Biarritz ou Lisbonne, alors il est facile de s’imaginer Porto, plus au sud sur la côte Atlantique, comme un mélange des précédentes : l’humidité des influx marins, les précipitations comme au pays basque et les églises baroques comme dans la capitale lusitanienne. Sur les quais, des entrepôts qui rappellent les chartrons médocains, et où brillent en grandes lettres blanches quasi-hollywoodiennes les plus grandes marques de ce vin de Porto dont les locaux abreuvent le monde entier depuis des siècles.
Comme dans le bordelais, ce n’est pas là que sont produits ces grands crus, mais à l’intérieur des terres, plus d’une heure de route à l’est, à travers les montagnes. A l’origine, c’est en bateau, des barques à fond plat appelées rabelos que les propriétaires de vignobles acheminaient leurs barriques depuis les propriétés. Aujourd’hui, ces embarcations à voile typiques servent essentiellement à divertir les touristes américains le temps d’une croisière touristique dans la baie de Porto ou sur les rives du Douro.
Il reste le chemin de fer à vapeur qui a servi depuis 100 ans à acheminer les barriques d’or rouge vers la deuxième ville du pays, ou bien la route, encore le plus pratique pour découvrir la route des vins et ses trésors.
Plusieurs chaînes de montagnes de plus en plus élevées font barrage aux pluies et aux vents de l’Atlantique, comme dans un livre de Marguerite Duras et expliquent la climatologie de cette région centrale du Portugal : très froid l’hiver et très chaud l’été, où les températures descendent rarement en dessous de 40°C. La pluviométrie est rare et et la terre n’est pas très riche, hormis en schiste. Une configuration idéale pour le développement de la vigne et de sa culture depuis deux mille ans.
Le Porto, un nectar disputé
Comme souvent en Europe ce sont les ordres – ici cisterciens- qui ont popularisé la culture du vin au Moyen Age. On a toujours produit ici un vin concentré, sucré, mais qui fermentait tellement vite qu’on a stoppé le processus en lui adjoignant 3 ou 4 jours après les récoltes une bonne dose d’alcool afin d’empêcher les levures de poursuivre leur travail. Voilà comment est né le Porto, ce vin muté dont le processus de fabrication vernaculaire n’a rien en commun avec la façon de faire hexagonale.
Au XIXe siècle, les Anglais et les Ecossais, amateurs de brandy s’il en est, se prennent de passion pour le vin de Porto, et, contrôle des mers aidant, s’emparent du commerce et même parfois (encore aujourd’hui) des plus grandes maisons de négoce, de production, et des fincas. Ils apprécient les goût des vins doux et ont coutume d’ajouter du brandy au vin pour que les barriques ne tournent pas lors du transport.
Le Porto doit beaucoup aux Anglais qui ont également été pionniers dans l’embouteillage en verre bouché par du liège (autre spécialité locale, mais c’est une autre histoire !). De surcroît, les guerres incessantes entre Britanniques et Français ont conduit les sujets de sa majesté à s’approvisionner ailleurs qu’à Bordeaux. Les routes d’exportation du Porto sont bien établies depuis des siècles.
Mystérieuse et historique, la vallée du Douro
S’immerger dans la vallée du Douro, c’est effectuer un voyage dans le temps et dans l’histoire, quitter l’autoroute A3 à la sortie 11 et s’enfoncer dans des routes de campagne qui se faufilent sur les crêtes, entre les cyprès et les oliviers, les chapelles vertigineuses et les grandes demeures agricoles des plus riches familles du pays.
Au faîte de terrasses incroyablement abruptes façonnées par l’homme avec des pierres plates et classées au patrimoine mondial de l’Unesco, observatoire autour duquel les nuages s’accumulent contre le ciel bleu, on découvre que, au bout du bras du fleuve argenté, les villages qu’on ne peut distinguer à l’horizon éblouissant comme de l’argent liquide, s’appellent Pinhao ou Samodaes. Le Douro est ainsi à la fois mystérieux et séduisant, évoquant les émanations de le terre ou les délices d’un verre de Porto.
Sur la route de Lamego à droite, une immense allée de platanes centenaires bordant une route pavée à la main au siècle dernier descend en pente douce vers le Douro. Celui-ci est présent partout. Il forme un « V » brodé de vignes, de traditions et du travail des hommes. A tel point que c’est historiquement la première région viticole du monde à avoir été identifiée dès 1756. Pourtant les conditions sont rudes. La culture en terrasses et la chaleur écrasante font que chaque pied produit seulement environ 1 kg de raisins, soit un rendement de moins de 3000 kilos à l’hectare.
Quinta da Pacheca, pionniers de l’agritourisme
Perchée sur un mamelon dominant un bras du fleuve, Pacheca est dans la même famille depuis plusieurs générations et fut l’une des premières maisons de la région à s’ouvrir à l’agritourisme et à l’hôtellerie. Perchés au sommet d’un coteau, ces « wine barrels » offrent une expérience chic et originale, alternative à la désormais traditionnelle chambre dans la finca – qui date quand même du XVIIIe siècle. La table mérite à elle seule le détour, pour parodier un célèbre guide vermillon.
Au lever du soleil, les rangs de vignes émergent de la brume et les terrasses apparaissent comme autant de rides sur un visage buriné par le soleil méditerranéen.
De la cour principale, on aperçoit les lagares, de grands bacs à fermentation en granit, où depuis la nuit des temps, les hommes pressent le raisin avec les pieds selon une méthode ancestrale très précise, accompagnés de musique régionale pour garder à la fois le rythme et l’enthousiasme pendant des heures.
Aujourd’hui, la grande majorité des wineries possèdent des cuves inox et des machines modernes pour contrôler et réguler les températures du mout, et leurs caves sont équipées pour accueillir les vins à se reposer de longs mois voire de longues années dans des futs ou des foudres en chêne parfois plus que centenaires.
Il faut attendre vingt mois d’élevage dans des futs en bois pour obtenir les ruby, les vins les plus jeunes, rouge vif, aux arômes de fruits rouges, de cerise, pleins de vivacité et de fraîcheur. Bien plus pour les vintage, les late bottled, ou les tawnys de 10, 20, 30 ou 40 ans d’âge. Plus les portos virent caramel, chocolat, avec des arômes de cuir, de miel et de vanille, plus ils sont vieux et appréciés.
A Pinhao, la famille Symington reçoit
Direction Pinhao, sur les rives du fleuve. Quand on vient de Pacheca, il faut franchir un pont en fer dans le genre Eiffel. Le long de la voie ferrée à droite, à l’opposé de la gare et de ses azulejos (on ne se refait pas, les Portugais raffolent de carrelage, surtout quand il est bleu) se trouve Quinta do Bomfim, l’une des 27 (oui oui vous avez bien lu, 27) propriétés viticoles de la famille écossaise (un peu nos Auvergnats quoi) Symington.
Ils possèdent rien de moins que les plus belles marques de Porto : Graham’s, Dows, Cockburn, entre autres. Et savent recevoir, avec leur musée privée mêlant l’histoire de la famille et la fabrication du Porto.
Autour des bâtiments agricoles, magnifiques, des promenades fléchées (de 15 à 90 minutes selon les envies) permettent de déambuler dans les vignes, entre les terrasses abruptes. Des orangers et des plantes aromatiques donnent à l’air des senteurs romantiques. La visite guidée en petits groupes, parmi les plus intéressantes de la vallée, vous permettra de tout savoir sur le processus d’élaboration du Porto, ce vin muté dont la Quinta de Bomfim est l’un des fleurons.
A la dégustation, faites votre choix entre le Cockburn’s special reserve, qui a maturé en futs de chêne pendant 5 ans et qui développe des arômes de fruits mûrs intenses, sur une note poivrée, et le Graham’s LBV à la couleur rubis foncé, avec ses notes de fruits rouges et noirs et de menthe fraîche. A moins, comme nous, que vous jetiez votre dévolu sur le Dow’s 10 ans d’âge tawny, vieilli dix ans en fûts de Chêne, fruit d’un assemblage pointilleux, qui fleure bon la noisette et le raisin.
Un délice. Mais ce n’est encore rien à côté du millésime 1985 de chez Dow, un grand classique concentré et parfumé. Ses arômes complexes de fruits et de confiture nous ravissent. Encore mieux ? Et bien sûr, encore plus cher (plusieurs centaines d’euros la bouteille), les millésimes 2011 et 2017, le dernier étant présenté comme le millésime du siècle (ou tout du moins du demi-siècle) par tous les domaines. A boire (sans) modération.
A.M | Image à la une : Quinta da Pacheca © Red Charlie, Unsplash