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Utopie du design, monospace ou petit avion ? Le Dymaxion de Buckminster Feller
09 JUIN . 2020
En 1934, un jeune architecte américain présentait une grande machine de voyage plus proche de l’aviation que de l’automobile. Monospace avant l’heure, elle était rapide, furieusement moderne et tout aussi déconcertante qu’une Citroën DS en 1955.
Par Antoine Minard
Avion ou automobile ?
“Faites face au vent et vous tournez le dos à sa cause” écrivait en 1975 Richard Buckminster Fuller. C’est ce principe qui a déterminé le Dymaxion (dy-namic, max-imum et tens-ion ). Son automobile pouvait transporter 11 personnes et était annoncé pour 120 mph soit plus de 190 km/h ! Nous sommes en 1934, la voiture de l’Américain moyen est une Ford B V8 produite à plus de cinq millions d’unités entre 1932 et 1934 et qui pointe à 75 mph, 120 km/h.
Pour l’automobiliste d’alors, le Dymaxion était un choix déroutant, tout du moins futuriste au possible. Dymaxion désigne aussi des unités d’habitation en aluminium – car construites dans des usines d’avions – pensées dans les années 1920 et réalisées après-guerre par Fuller pour être produites en masse comme des automobiles et vendus à la livre comme des pommes de terre. Les voitures Dymaxion étaient des extensions de ses maisons, des “vérandas vitrées” qui pouvaient “se déplacer comme des cellules d’hydrogène qui avaient leur propre vie” expliquait l’inventeur.
“Faites face au vent et vous tournez le dos à sa cause” – Richard Buckminster Fuller
Une goutte d’eau roulante
S’il est surtout connu pour ses dômes géodésiques Bucky, comme l’appelaient ses amis, s’imposait autant comme un visionnaire, un architecte et un designer, qu’un héros de la contre-culture.
Produits à trois exemplaires, les Dymaxion comportaient tous trois roues dans la configuration suivante : deux roues motrices à l’avant et une roue directrice à l’arrière. La roue arrière était actionnée par un -absurde- système de câbles de près de six mètres de long, du nez à la queue, grâce à un méli-mélo de poulies montées sur ressorts et attachées à une chaîne autour d’un énorme pignon faisant tourner le gouvernail.
Le premier Dymaxion est achevé en juillet 1933. La voiture donneuse, une Ford B de 1932, fournit son V8 – situé ici à l’arrière de la cabine – et ses essieux. En plein courant streamline, l’aérodynamique est au centre de l’expérimentation.
La carrosserie en forme de goutte d’eau se montre assez vaste pour accueillir 11 personnes dans 5,5 m de long. Elle se compose de panneaux lisses d’aluminium montés sur un cadre en frêne. Le grand pare-brise est parabolique et le toit se revêt de toile. Dymaxion n°2 est livré en janvier 1934 à Fred Taylor, ingénieur et entrepreneur basé à Londres. Le n°3 se destine au chef d’orchestre Leopold Stokowski.
La forme des Dymaxion était basée librement sur des maquettes du sculpteur nippo-américain Isamu Noguchi, bien que les modèles principaux aient été créés par un élève de Brancusi.
William Starling Burgess, pionnier de l’aviation et architecte naval de renom sera le principal partenaire de Fuller dans la réalisation des trois prototypes.
Soyons honnêtes : le concept de Bucky n’était pas tout à fait un coup de génie isolé. On se souvient de l’Alfa Romeo 40/60 HP Aerodinamica de 1913, de la Stout car de Scarab ou des travaux précurseurs de l’ingénieur roumain Aurel Persu. Ce dernier fabriquait et brevetait dans les années 1920 la première automobile en forme de goutte d’eau.
Utopie des années folles
Au Salon de New-York 1934, le Dimaxion était garé à l’extérieur et le public n’avait d’yeux que pour lui. Fuller expliquait à la presse que le Dymaxion flottait sur la route à une vitesse folle, tout en consommant bien moins qu’une Ford B et proposant grâce à sa roue arrière unique un rayon de braquage record. Ce que confirmera plus tard le célèbre Norman Foster, élève de Bucky et qui se fera construire à posteriori un 4ème exemplaire. Il rejoindra sa collection personnelle comprenant notamment une Porsche 356, une Tatra 87 et une Airflow.
Aujourd’hui, Dymaxion n°2 et 3 ont survécu et nous évoquent un hybride entre un petit avion sans ailes et un Volkswagen Combi type 2.
Le concept de Feller devançait largement le Combi / minibus VW conçu en 1947 par Ben Pon ou le Fiat Multipla de Dante Giacosa, considéré en 1956 comme le premier monospace de série. Mais pourquoi les Dymaxion n’ont-ils pas été mis en production ? Fuller avait largement investi dans ses projets, sans compter les fonds amenés par ses collaborateurs. Au volant, en résultait une grande sensibilité, l’engin était délicat à conduire et fort sensible aux changements de cap. La recherche prit fin après que l’un des prototypes fut impliqué dans un accident qui entraîna la mort de son pilote.
Fuller lui-même reste une énigme. La frontière entre le fantasque et le génie est ténue. Il aura régalé les journalistes avec des déclarations de performance improbables. Les produits de Bucky revendiquent une idéologie utopique globale : refaire le monde en tirant le maximum d’avantages humains et le minimum d’énergie et de matériaux. Furieusement moderne, on vous dit …
A.M