Auto
Patinées pour rouler : petite étude des rat cars
03 JUIN . 2020
Pour avoir du brio, plus besoin de brillant. L’automobile ancienne n’échappe pas à la mode. Fini les restaurations “à l’américaine” : la tendance du moment, c’est la patine.
Par Frédéric Brun
D’un nuage de poussière émerge la silhouette sympathique d’une Porsche 356. Le joli coupé gris semble un peu sale après sa virée dans les chemins pierreux de l’arrière-pays californien. Matt Hummel ne s’embarrasse guère de l’état de la route, ni du soleil de plomb. Seul le plaisir de rouler compte. De près, la voiture n’est pas sale. Elle est fanée. La peinture est par endroits écaillée. Les chromes sont un peu piqués. Les sièges ont pris des rides. Les tapis sont esquintés. C’est comme ça qu’il l’aime, sa 356 : dans son jus. Il n’est pas le seul à succomber au charme des “rat rod”, ces voitures anciennes ayant conservé tous les stigmates d’une vie sur la route.
Le charme du “shabby chic”
Une aspiration à une certaine forme de romantisme guide aujourd’hui la vogue de ces véhicules “préservés”. Dans les plus grands concours d’élégance internationaux, des classes dédiées mettent en valeur des voitures en état d’origine. L’authenticité y compte plus que la peinture impeccablement refaite. Contre-pied aux ultras restaurations “à l’américaine” des années 80 et 90, le petit monde de l’automobile ancienne s’est approprié la mode du “shabby chic”. Un style né dans l’univers de la décoration, vers 1980, aux Etats-Unis, pour faire naître une histoire dans des intérieurs standardisés.
En quête d’essence (et du parfum qui va avec)
Une vogue qui vient opportunément rencontrer la quête de sens d’une nouvelle génération d’amateurs. Parmi les étapes de la montée en puissance de cette mode, il faut compter les coups d’éclats de certaines maisons de ventes qui auront le culot de proposer sous le marteau quelques semi-épaves prestigieuses, tout juste sorties de la grange où elles s’étaient faites oublier. D’aucun criaient au génie, d’autres au scandale. Personne ne peut contester le supplément d’âme de ces belles endormies.
Pour Jonathan Ward, on ne peut être vieux qu’une seule fois. Après une gentille carrière d’acteur et de producteur à Hollywood, cet hédoniste fou de voitures a décidé de vivre de sa passion, à sa manière. En 1996, il crée TLC, un atelier de restauration mécanique, spécialisé dans les tout-terrains, en particulier l’emblématique Toyota FJ. S’il prépare au petit poil les moteurs, il ne peut se résoudre à repeindre de frais ces autos d’aventuriers dont chaque éraflure est comme une cicatrice sur la peau d’un gars qui a bourlingué.
Peut-on imaginer faire un lifting a un vieux loup de mer ? Aujourd’hui, Jonathan Ward est à la tête de la société Icon4x4, connue pour réaliser des 4×4 sur mesure. Autre spécialité de son garage peu commun : les “Derelict” cars. De grandes américaines à la carrosserie tannée donnant encore beaucoup de plaisir de conduite grâce à une mise au point affûtée et une mécanique performante.
Dans leur jus mais avec du jus
Tout le truc est là : ces guimbardes, en apparence oubliées et un peu décaties, sont mécaniquement au point et tout à fait capables de permettre une utilisation quotidienne et fiable de ces véhicules au charme suranné. La préparation de tels véhicules sur-mesure peut prendre jusqu’à 18 mois, le temps de leur greffer un gros moteur neuf – il a ainsi équipé une vieille Buick d’un bloc General Motors de 550 chevaux mais aussi une Mercury de 1949 avec une motorisation électrique de Tesla – une boîte de vitesse d’aujourd’hui et, pourquoi pas, une stéréo digne d’un auditorium, la climatisation et les systèmes de navigation ou une connectique bluetooth capable de plaire aux nouveaux adeptes du télétravail.
Un rétrofuturisme, dit “restomod”, facturé au prix fort mais qui permet de profiter pleinement d’une auto au charme fou, sans les contraintes mécaniques jugées désuètes par certains nouveaux amateurs. Une démarche complémentaire à celle de Matt Hummel, pour sa part plutôt adepte d’une restauration mécanique pointue mais sans modifications. Il en faut pour tous les goûts. Dans tous les cas, il n’est pas question de toucher aux aspects visuels laissés par le passage du temps.
Pour le plaisir, pas pour investir… quoique…
Avoir de la personnalité, voilà ce qui compte. Les partisans de cette tendance nient faire des additions. Pourtant, les résultats des ventes de ces dernières années pour des autos « en état d’origine » mettent tout de même la puce à l’oreille lorsque des véhicules à peine en état de rouler, mais ayant gardé tous leurs attributs originels, en particulier les voitures de course ayant même encore leurs marquages publicitaires et leurs badges de concurrents, s’échangent au-dessus de 200 ou 300 000 euros.
Il faudra encore leur consentir, en plus, au moins la moitié de la somme d’achat pour les remettre en état de retrouver l’asphalte. Mais, avoir une histoire, cela n’a pas de prix.
F.B