Art
L’Olympia de Manet, histoire d’un scandale
10 JUILLET . 2020
C’est une des œuvres qui a révolutionné l’histoire de l’art. Avec Olympia, Manet réinvente la représentation traditionnelle du nu féminin. Tout un programme…
Par Laure Martin
Elle est là, allongée nue devant nous avec une fleur dans les cheveux et un nœud autour du cou… Olympia. Son visage vous dit quelque chose ? Vous avez l’impression de l’avoir déjà vue quelque part ? Le modèle de la toile, Victorine Meurent, n’est autre que le sujet féminin préféré de Manet.
Elle figure sur une dizaine de toiles de l’artiste dont le fameux Déjeuner sur l’herbe exposé en 1863. Si déjà, Manet choque le public avec cette œuvre en réinterprétant un sujet classique, c’est avec Olympia, réalisée en 1863 et exposée au Salon de 1865 qu’il défraye littéralement la chronique.
Le scandale provoqué par l’exposition de L’Olympia de Manet provient de son parti-pris pour la représentation sans concession du nu féminin mais aussi du fait que l’œuvre est présentée au public en même temps qu’une autre de ses toiles, à thématique religieuse, un christ aux outrages, Jésus insulté par les soldats.
Immédiatement assimilés, les deux tableaux choquent les visiteurs par cette nouvelle association blasphématoire. Tour à tour, les visiteurs qualifient l’Olympia de sale, vulgaire ou d’ignoble. Jules Claretie, célèbre critique de l’époque écrira ces quelques lignes à son sujet :
“Qu’est-ce que cette odalisque au ventre jaune, ignoble modelé ramassé je ne sais où, et qui à la prétention de représenter Olympia ? Olympia ? Quelle Olympia ? Une courtisane sans doute.”
La toile attire tellement les foules et les sarcasmes qui lui sera valu d’être déplacée et accrochée au plus haut des murs du salon afin d’étouffer – un peu – la colère du public. Mais pourquoi un tel dégoût ? Parce qu’Olympia ne ressemble en rien aux femmes qui sont représentées à ses côtés sur les murs du Salon.
Si le motif du tableau est connu de tous puisque Manet s’inspire d’un des plus célèbres nus de l’histoire de l’art, La Vénus d’Urbino de Titien, ici, il n’est nullement question de déesse ou de vénus alanguies… Olympia déconcerte parce qu’elle représente sans aucune idéalisation et détour mythologique, allégorique ou symbolique, le corps d’une femme nue.
Si dans la Vénus d’Urbino Titien accumule les symboles de fidélité, d’amour et de disponibilité, en présentant une vénus allongée auprès d’un chien et de deux servantes rangeant des affaires dans un coffre de mariage… Manet renverse la tendance.
Olympia est présentée allongée, le regard fixant le spectateur avec cette main au modelé raide qui protège la vue de son sexe mais qui attire inéluctablement l’œil.
La toile, dont l’atmosphère érotique est renforcée par les subtils accessoires – les mules, le collier, le bracelet, la fleur dans les cheveux – et la présence du chat à la toison noire et la queue levée, donne à voir une femme qui assume son statut : celui de prostituée.
En effet, et s’il n’y avait déjà plus aucune ambiguïté possible, Manet décide de rajouter la présence de Laure, domestique noire représentée au second plan de la toile, qui lui ramène un généreux bouquet envoyé par un de ses clients… Mais ce dit monsieur est-il en train d’annoncer sa venue soudaine ou bien remercie-t-il simplement Olympia pour ses faveurs ? On vous laisse donner libre cours à votre imagination pour répondre à cette question…
Il semblerait qu’en réalisant cette toile Manet n’avait pas pour but de provoquer l’assistance puisqu’il déclarait à l’époque avoir simplement “fait ce qu’il a vu”. Mais avec son Olympia, il marque un tournant sans précédent dans l’histoire de l’art… Véritable œuvre subversive, elle rompt avec toutes les traditions héritées de la renaissance et ouvre la voie à la modernité en peinture et aux représentations contemporaines non idéalisées… Pour le plus grand plaisir des yeux.
L.M