Cuisine
Le sandwich français, l’art voyou disparu
31 AOûT . 2020
Ah, le sandwich, ce bon compagnon de la rentrée ! Profondément ancré dans les usages alimentaires français, son nom et la culture qu’il convoque laisse pourtant penser que nous n’avions pas eu l’idée de glisser un ingrédient entre deux tranches de pain avant John Montagu, IVe comte de Sandwich et prétendu inventeur du genre. Et pourtant… Voyage aux Halles, sur les quais de Seine et en compagnie du Roi Soleil pour une dégustation de sandwichs à la française.
Par Morgan Malka
Si le Grand Siècle est celui de l’auto-définition du style françois, un art de vivre tout national qui se démarque enfin des influences espagnoles et italiennes jugées contre-nature, les Français n’en demeurent pas moins bons derniers sur la question de l’usage de la fourchette. Gueux et aristocrates partagent le même modus operandi de restauration, celui du couteau et de l’utilisation toute naturelle… de ses mains.
Cet héritage culturel serait-il génétique, au point que nous fassions aujourd’hui partie des plus adeptes consommateurs de sandwichs du monde, incapables d’utiliser régulièrement une fourchette pour nous alimenter ? En effet c’est plus d’1,2 milliard de sandwichs qui sont vendus par an rien qu’en France, la moitié d’entre eux étant garnis de beurre et de jambon, une institution parisienne devenue nationale…
Le sandwich, une affaire anglaise ?
Le sandwich par son nom mais aussi par son mode de consommation donne à penser qu’il a en lui quelque chose d’anglo-saxon. Il faut dire que son introduction dans sa forme actuelle et sur le territoire est plutôt tardive : 15 ans après la défaite de Waterloo en 1830, un vent d’anglicisme souffle sur la capitale, on troque volontiers son prénom pour lui donner une couleur britannique, on s’habille à la mode de Savile Row et on adopte les us et coutumes venus d’outre-Manche. Comme aujourd’hui en somme.
Lord Byron précise d’ailleurs que le sandwich se consomme volontiers à Paris. Par sandwich comprenons celui qui est attribué à John Montagu, IVe comte de Sandwich, celui que nous consommons aujourd’hui sous le nom de Club, issu des Gentlemen Clubs de Londres. Cet héritage anglo-saxon semble avoir effacé de la mémoire française la consommation du sandwich auquel nous peinons à trouver une consonance plus locale. Et pourtant !
Casse-croûte, casse-dalle ont bien eu leurs heures de gloire, comme la tartine (qui n’évoque chez nous qu’une couche de pain mais bien deux en Belgique). Omniprésent depuis les temps bibliques, l’ancêtre du sandwich est consommé depuis la fuite d’Égypte jusqu’à nos jours, en trouvant divers avatars à travers le monde.
Cervelas et jambons de Paris ne se mangent-ils pas avec du pain ? Et pourquoi pas en cassant la croûte ou en fendant la miche ? Fallait-il vraiment attendre que John Montagu pense à glisser les ingrédients à l’intérieur ? Peut-être n’avions nous pas eu l’idée de le faire puisque nous nous régalions de pâtés en croûte, de Chartres et de Houdan, ces pâtes qui protègent de la surcuisson et des doigts gras et souillés…
Louis XIV ne se régalait-il pas de petits pains briochés garnis de farce fine de volaille lors de ses innombrables parties de chasse ? Nos bergers n’emportaient-ils pas une miche de pain et quelques charcuteries lors des transhumances ? Le sandwich, pas si anglais, donc…
Une anecdote médiévale rapporte même qu’un homme mangeait son pain devant chez un rôtisseur en se régalant des odeurs. Excédé le rôtisseur demanda à être payé séance tenante ! L’homme fit cogner sa pièce contre le comptoir et la récupéra. « Je me suis régalé de l’odeur, vous êtes payé par le bruit de l’argent ». Ceci est peut-être la première recette du sandwich… à rien.
Mais allons plus loin… Quand aux Halles étaient vendus bries de Meaux, de Melun, de Montereau et Coulommiers, n’étaient-ils pas glissés dans un pain doré et craquant ? Croque-monsieur et croque-madame ne sont-ils pas des sandwichs mangés avec fourchette et couteau ? Que dire du Pan Bagnat, oserions-nous le croire anglais ? Sûrement pas ! Notre amour du sandwich français est tel, que nous l’avons aussi insufflé de gré ou de force aux peuples colonisés, Pain Bouchon de la Réunion et Bánh mì vietnamien.
M.M
Et la baguette alors ?
Avant le Second Empire la ration quotidienne française se base sur 80% de pain, qui ne cesse d’évoluer dans sa composition et dans sa forme. Depuis le XVIIIe siècle, les pains longs en forme de bâton ou de baguette semblent avoir le vent en poupe et remplacent doucement les miches d’antan : certains vont mesurer jusqu’à deux mètres de long ! Cependant le mot baguette n’apparaît qu’au XXe siècle comme en atteste un brevet d’invention de 1902 codifiant enfin sa forme et sa composition.
Si, d’après Lord Byron, le sandwich est consommé dans la capitale à partir de 1830 sous sa forme anglaise, il faudra patienter un siècle pour qu’après-guerre les sandwichs-baguette fleurissent sur les chantiers de la reconstruction. Cet encas accompagné d’un verre de vin quitte progressivement les garden-party mondaines pour séduire un peuple qui a de moins en moins le temps de se nourrir.
La recette : le sandwich de voyou de Frédéric Dard
Pour changer du sandwich à l’emmental ou du thon-mayonnaise, un authentique sandwich issu du terroir parisien, le sandwich de voyou !
Narré par le menu chez San-Antonio dans Remouille-moi la compresse. « Je suppose que vous connaissez l’sandwich de voyou, m’sieur le président […] : hareng à l’huile, oignons frais. » Également revisité par l’immense Yannick Alleno avec une tête de veau craquante, joue fondante et farce fine de veau largement relevée de sauce gribiche et glissée dans une baguette.
Pour deux voyous
- Un hareng fumé
- 2 oignons frais
- Estragon, cerfeuil, persil et ciboulette en quantité
- Une cuillère à soupe de câpres
- Une càs de cornichons
- Une càs de moutarde de Meaux
- Une rasade d’huile
- Une baguette croustillante
- Un quai de Seine ou un banc des Halles