Auto
Petite histoire des premières femmes pilotes
22 SEPTEMBRE . 2020
Le monde impitoyable de la course automobile est-il un domaine strictement réservé aux hommes ? Non. Richard Mille Racing l’a montré ce week-end aux 24 Heures du Mans en engageant un team composé uniquement de femmes pilotes. Retour sur les premières grandes dames de la compétition automobile.
Le monde automobile a toujours été encombré de misogynie mais n’excluait toutefois pas la reconnaissance de ses plus illustres héroïnes.
Le Commendatore Enzo Ferrari lui-même ne fut pas insensible à la présence de femmes en course, comme il le raconte dans ses mémoires Mes joies terribles : « Une femme est également capable de faire un bon pilote de course, comme la démonstration en a été souvent donnée. Je me souviens à cet égard d’une anecdote significative dont la protagoniste était une petite Tchèque. Elle s’appelait Elisabeth Juneck. Elle s’inscrivit à la Targa Florio 1928, ce qui causa quelque surprise et des commentaires incrédules. À cette époque, les femmes qui conduisaient étaient rares. Cela n’empêcha pas Élisabeth Juneck de ridiculiser l’équipe Bugatti pendant les trois quarts de la course, en prenant le commandement au second tour ! »
Bella signora de Pragua, tel était le surnom donné par les italiens à Elisabeth Juneck. Mais avant Elisabeth, considérée comme l’une des meilleures conductrices de son temps, d’autres femmes avaient tenté l’aventure…
1897 : le temps des pionnières
11 juin 1897, le journal L’Écho de Paris organise une manifestation à Longchamp destinée à montrer la vaillance physique et morale du sexe qualifié bien à tort de faible.
Plus mondain que sportif, ce Championnat des Chauffeuses, disputé sur deux tours de pistes, met en lice huit jeunes comédiennes de théâtre, toutes sur un tricycle à pétrole De Dion-Bouton. Léa Lemoine emporte la victoire.
Désormais, les femmes oseront s’inscrire à des courses de côte et des épreuves de ville à ville en catégorie motocycle. Une étape importante de l’émancipation féminine en cette fin du XIXe siècle.
Côté public, la présence d’une femme provoquait instinctivement la curiosité et la sympathie du public. Certains constructeurs ne tarderont pas à le comprendre.
En Angleterre, au début du XXe siècle, Miss Dorothy Levitt rêve de course automobile. Elle est engagée comme dactylo chez le constructeur Napier, dont le directeur de courses, Selwyn Edge a remporté a coupe Gordon Bennett en 1902.
Celui-ci installe la jeune employée au volant d’une de ses autos et réussit un coup très médiatique. Il estimait qu’une femme, supposée inexperte par nature pour les choses de la mécanique, serait la preuve évidente de la facilité de conduite de ses autos ! Mais Dorothy fut magnifique sur le plan sportif, au point d’agacer ses adversaires masculins…
1. 1901 : Camille du Gast, la première grande dame du sport auto
L’exemple de Dorothy déclenchera une vague de participations féminines aux épreuves sportives, avec la baronne de Zuylen, la fameuse duchesse d’Uzès -première française à obtenir son permis de conduire- ou encore Juliette Lockert, directrice du journal Le Chauffeur.
Camille vaincra la poussière, le vent, les aléas de la foule et les crevaisons en maintenant sa vitesse maximale. Voici donc la première apparition d’une femme au plus haut niveau de la compétition.
Mais Camille sera la première capable, volant en mains, à rivaliser avec les meilleurs pilotes de sa génération. Élégante femme du monde, sportive, excellente cavalière, experte au tir au pistolet, elle s’était aussi distinguée en alpinisme, en ski et s’était expérimentée à la nacelle parachute de l’aéronaute Capazza en 1895. Bref, une telle personnalité ne pouvait rester insensible à l’automobile !
En 1900, elle assiste au départ de la course Paris-Lyon et l’année suivante, elle s’inscrit à la course Paris-Berlin aux côtés de Juliette Lockert et de la baronne de Zuylen. Elle prend le départ dans la catégorie vitesse, sous les ovations de la foule, superbe dans sa Panhard bleu pâle couverte de fleurs.
Camille vaincra la poussière, le vent, les aléas de la foule et les crevaisons en maintenant sa vitesse maximale. Voici donc la première apparition d’une femme au plus haut niveau de la compétition.
Hélas l’euphorie est de courte durée. En mars 1904, la commission de l’Automobile Club de France sous la présidence du chevalier de Knyff, décide que « les dames ne pourront pas figurer comme conducteurs ».
Une triste décision, visant tout particulièrement Camille et qui aura des conséquences préjudiciables pour l’avenir des femmes dans le sport automobile, au moment décisif de l’abandon des épreuves de vitesse sur route ouverte au profit des courses sur circuit.
2. 1927 : Hellé Nice, ex-danseuse au Casino de Paris
Après avoir remplacé les hommes dans les usines ou conduit les taxis et les ambulances de la Croix Rouge pendant la Première Guerre, les femmes, bien décidées à empoigner une vie nouvelle, vont assouvir leurs passions.
À la fin des années 1920, Hellé Nice, charmante danseuse du Casino de Paris, se brise un genou en skiant. Ne pouvant plus exercer son métier et éprise d’émotions motorisées, elle ne tarder pas à arpenter l’anneau de l’Autodrome de Montlhéry, la plupart du temps au volant d’une Bugatti.
Elle tente l’année suivante de franchir la barre des 200 km/h, mais devra se contenter d’une moyenne respectable de 198 km/h sur dix tours…
Quelques années plus tard, en 1936, elle enlève pourtant la très convoitée Coupe des Dames, lancée neuf ans plus tôt par l’organisation du rallye Monte-Carlo, puisqu’il avait été prouvé que l’endurance féminine égale celle de l’homme.
3. 1930 : Les 24 Heures du Mans au féminin
En 1923, Georges Durand, secrétaire général de l’Automobile Club de l’Ouest, organise avec l’appui du célèbre journaliste Charles Faroux la première édition des 24 Heures du Mans (dont l’A.C.O. est toujours l’organisateur). Dès 1924 Madame de Zuniga partage le volant d’une Chenard & Walcker avec un pilote masculin.
Il faudra attendre 1930 pour enregistrer la présence d’un équipage entièrement féminin composé de Marguerite Mareuse et Odette Siko, qui se classèrent 9e. 1935 sera l’année de la femme au Mans avec pas moins de dix conductrices engagées.
Le team MG à lui seul comprenait trois équipages. Des anecdotes tragi-comiques sont évidemment liées à cette épreuve. En 1933, Odette Siko au volant d’une Alfa Romeo sort de la route. Compte-rendu de l’A.C.O « au petit jour, Odette Siko fait une brusque embardée. Trois arbres sont fauchés, la voiture se retourne et prend feu tandis que la conductrice, arrachée de son siège, était projetée sur un gendarme du service d’ordre alors au repos et qui sommeillait paisiblement. » Cocasse ! Les femmes ont de beaux jours devant elles.
A.M