Culture
Beau livre : rêves citadins
Le kaléidoscope de la ville par le Collectif Tendance Floue pour les éditions Louis Vuitton
18 NOVEMBRE . 2020
Dans ce bel album-anniversaire fêtant la collaboration entre le collectif de photographes Tendance Floue et les éditions Louis Vuitton, plus de 200 clichés reviennent sur les villes arpentées, révélant l'image complexe et protéiforme d'une société urbaine au XXIe siècle. Images, essais et interviews des photographes du collectif viennent compléter cette notion kaléidoscopique de la ville-monde. Un moment suspendu au milieu de la foule, à Paris, New York, Tokyo ou encore Shanghai, à feuilleter et à glisser sous le sapin d'urgence.
« Il en est des villes comme des rêves : tout ce qui est imaginable peut être rêvé mais le rêve le plus surprenant est un rébus qui dissimule un désir, ou une peur, son contraire. Les villes comme les rêves sont faites de désirs et de peurs, même si le fil de leur discours est secret, leurs règles absurdes, leurs perspectives trompeuses ; et toute chose en cache une autre. » – Italo Calvino, Les Villes invisibles, 1972
L’album-anniversaire de la collaboration entre les éditions Louis Vuitton et le collectif de photographie Tendance Floue s’ouvre ainsi, sur l’image mystérieuse de la ville refuge de rêves, de désirs et de peurs. Dans sa préface, le critique d’art David Chandler s’attarde sur la projection tantôt sombre, tantôt exaltante de la ville.
Seul dans la ville
« Contempler un paysage urbain, c’est s’émerveiller des capacités et de l’inépuisable génie de l’être humain comme on s’extasierait devant la beauté de la nature », rappelle-t-il. Un bel hommage, en ces temps troublés où la ville se révèle plutôt dans son visage étouffant et solitaire… C’est qu’elle agite aussi « le spectre de nos échecs les plus cuisants : en promettant tout ce que la vie peut offrir ».
La ville moderne représente donc tout autant l’émerveillement que l’angoisse, bien loin de garantir des « rapports humains épanouissants », forçant parfois sur nous un sentiment aigu de solitude… Seul au milieu de la foule. « Les pressions contradictoires de la vie urbaine où les attributs de la réussite sont exposés avec tant d’ostentation peuvent être cruellement aliénantes pour l’individu » nous rappelle le critique d’art. « Des poches d’un luxe douillet côtoient un océan de solitude. »
La ville moderne, conçue comme rêve
Mais revenons-en à la ville comme manifestation de l’évolution et du génie humains. C’est l’avenir toujours en route, déjà là même, un sentiment « aujourd’hui plus vif que jamais » affirme David Chandler, à l’heure où l’architecture est toujours plus influencée par la technologie numérique : « les villes se trouvent remodelées par ce que l’historien de l’art Anthony Vidler a baptisé « l’espace déformé », dans lequel les codes spatiaux et temporels des images sur écran sont transposés en trois dimensions pour créer de nouvelles expériences et perceptions urbaines, souvent semblables à des rêves. » Ville remodelée par nos fantasmes et nos avancées technologiques, ville-rêve.
Sans oublier l’espace virtuel, régnant souverainement sur le XXIe siècle, expérience humaine « stratifiée », « immense ville-monde, avec sa communauté diverse et infinie, et son accès immédiat aux biens, aux services et à l’information. » Un rêve… Vertigineux.
Quand le temps s’arrête dans la ville
Mais la ville, au-delà des temps modernes, possède aussi sa vie propre, plus longue et durable, îlots résistant au temps qui passe, instant saisi au milieu de la foule, immobile face aux « innovations de l’urbaniste », où « les bâtiments futuristes côtoient souvent des lieux historiques intacts. » Un appel à la contemplation, à la vie aussi : une ville se vit, physiquement, sensuellement.
Le flâneur(-photographe)
C’est le point de vue du flâneur, qu’il soit celui de Charles Baudelaire ou de nos temps présents. « Le transitoire, le fugitif, le contingent », là réside l’essentiel de la modernité des villes selon le poète, qui incarne le flâneur, observateur privilégié de ce phénomène urbain en constante évolution, dont le rôle est de « tirer l’éternel du transitoire ». C’est un « spectateur anonyme » qui « entre dans la foule comme dans un immense réservoir d’électricité. On peut aussi le comparer, lui, à un miroir aussi immense que cette foule ; à un kaléidoscope doué de conscience, qui, à chacun de ses mouvements, représente la grâce mouvante de tous les éléments de la vie. »
C’est là le rôle du collectif Tendance Floue, créé en 1991 et qui collabore avec les éditions Louis Vuitton depuis 2012, rapportant de chaque voyage, sur ses clichés, un kaléidoscope de sentiments, dévoilant les villes du monde dans leur « extraordinaire complexité, comme des lieux d’extrêmes, de contrastes et de contradictions, mais aussi de diversité et de possibilités infinies. »
Un mouvement perpétuel
Les photographes de Tendance Floue font ainsi résonner ce que chacun d’entre nous ressent. Car lorsqu’on s’imagine une ville, elle se présente à nous comme une « série de fragments, de détails de lieux, d’évènements ou de rencontres que nous avons mémorisés. » La ville liée à nos expériences, de sorte que son esprit « ne peut être apprécié que comme un assemblage ou une mosaïque de signes ».
Le récit photographique du collectif réside dans ce pouls citadin, dans cette dynamique fluide entre urbain et humain, ce mouvement perpétuel au centre duquel se trouve toute la palette d’émotions liée aux hommes. Ville vivante et mouvante, labyrinthe « où l’on peut se perdre ou se réfugier », lieu propice à la réinvention.
E.C | A la une : Chicago, Avril 2015, par Olivier Culmann
Tendance Floue et les éditions Louis Vuitton
14 photographes explorant depuis 2012 30 grandes villes à travers 55 voyages.
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