Rencontre : Hervé Jestin

Hervé Jestin est un contemplatif. Il n’est pas rare de le voir sillonner les rangs de vignes les mains dans le dos, pour s’arrêter et scruter l’horizon. Avec son regard bleu et franc et son petit air de Fabrice Luchini (en beaucoup moins excité) ce breton au cœur tendre laisse tout sauf indifférent. Hervé est un poète et ses rapports, à la vie d’une manière générale et à la vigne en particulier, font de lui l’un des personnages les plus atypiques de la Champagne.

Du vin de messe à la Maison Duval Leroy

Brestois de souche, cet « autre finistérien » a été initié au vin par un son grand-père pinardier qui commercialisait des vins d’Afrique du nord dans un port alors en pleine effervescence. Inspiré, l’homme avait même créé la Société des Crémants Français, dans laquelle il gazéifiait des vins blancs grâce à une méthode dont il avait déposé le brevet.

C’est chez ce grand-père qu’Hervé commence à se façonner le palais dès le plus jeune âge « j’ai commencé à goûter le vin pendant les vacances que je passais chez lui, je devais avoir autour de 7 ans, je me rappelle qu’il notait mes commentaires ». Plus tard c’est en pension chez les jésuites qu’il découvre le vin de messe « des vins doux, type Monbazillac, que mon grand-père vendait aux églises finistériennes ».

Le vin prend alors une toute autre dimension qui transcende la nature même du produit, il y voit comme un rapport spirituel, presque mystique qui fait écho aux croyances et autres légendes qui peuplent les contrées celtes…

Comme tout breton qui se respecte, Hervé chérit la nature et les éléments. Quelques velléités de faire médecine se dissipent rapidement pour le pousser à faire des études d’œnologie à Reims puis Dijon, clôturées par une formation complémentaire d’économie et gestion de la filière vitivinicole à Bordeaux.

En 1982, alors qu’il démarre une pré-étude aux côtés du professeur Feuillat, scientifique reconnu du milieu du vin, et qu’il travaille sur son mémoire, on vient le chercher pour prendre la suite du chef de cave de la Maison Duval Leroy, décédé brutalement en pleines vendanges. Âgé de seulement 24 ans, il devient le plus jeune chef de cave d’une grande Maison champenoise, un pari audacieux mais efficace, puisqu’il y restera près d’un quart de siècle.

Le bouleversement des certitudes avec la biodynamie

Lors des vendanges de l’année 1990, au cœur d’une cuverie inox flambant neuve, une cuve résiste à Hervé. Il lui faudra plusieurs millésimes et nombreux essais pour se résoudre au fait qu’elle présente invariablement des signes de réduction (ce fameux nez d’œuf pourri).

C’est la visite d’un ami sourcier sur site qui lèvera le mystère : son bâton révèle plusieurs sources d’eau dont les champs magnétiques perturbent la cuve en empêchant tout processus de fermentation qualitative. Les failles telluriques impacteraient donc la matière…

Le processus se met alors en marche, Hervé se rend dans la Loire, à quelques encablures du vignoble d’un certain Nicolas Joly (Domaine de La Coulée de Serrant), pour assister à un séminaire sur la biodynamie animé par Alex Podolinsky, un australien pape en la matière.

Il y rencontre des vignerons qui s’interrogent ou ont déjà amorcé leur virage, et se retrouve immédiatement dans cette autre approche de la viticulture, en rapport direct avec la nature et les éléments. Il élabore alors chez Duval Leroy les premières cuvées d’une nouvelle gamme bio avec des cépages oubliés, nommée Authentis.

L’aventure en solo, flying bubble maker

En 2006, épris de liberté, il monte sa société de conseil pour mettre à disposition ses connaissances et son approche singulière au service de vignobles réputés et de pointe. Il consulte en Espagne dans la Mancha chez Vineros Balmoral, dans le nord de l’Italie pour élaborer un Franciacorta propriété d’Antinori, ou encore en Angleterre à Hambledon Vineyards (l’un des 3 tops sparklings du pays).

Son parcours le conduit même en Russie et il continue également d’être consultant en champagne auprès de maisons ou des vignerons. En 2006 il créé sa propre marque, Jestin, une production confidentielle de 3000 bouteilles qu’il envisage comme étant la synthèse de toutes ses connaissances, lesquelles ne s’arrêtent jamais…

Un pilier de la Maison Leclerc Briant

Quelques années plus tard, il contribue au rachat de la Maison Leclerc Briant, dont le fondateur vient de décéder, en se faisant le médiateur pour un couple discret d’Américains. Ces derniers l’associent à l’aventure avant d’être rejoint par un directeur associé dynamique, Frédéric Zeimett.

Le projet Leclerc Briant est ambitieux. Au-delà de poursuivre la philosophie bio et biodynamie laissée en héritage par Pascal Leclerc, il faut parvenir à reconstituer un vignoble presqu’entièrement démantelé lors de la succession de ce dernier. A ce jour, et après seulement 8 années, la Maison d’Epernay est parvenue à remettre la main sur 12 hectares localisés sur des crus prestigieux (Cumières, Vertus, Mareuil sur Ay…) et commercialise avec un complément en approvisionnement pas loin de 110 000 bouteilles.

Chez Leclerc Briant, Hervé dispose d’un formidable terrain de jeu pour mener à bien ses essais guidés par un instinct qui ne trompe pas. A l’image de ses vinifications en œufs couchés (et non debout comme répandu) : « quand les œufs sont debout, le vin est continuellement en mouvement et ne parvient pas à se reposer, et puis quand on y pense, on n’a encore jamais vu un œuf tenir naturellement debout ! » CQFD.

Goldorack, une cuve dont les parois sont recouvertes d’or, contient une partie de la récolte de « La Croisette », parcelle historique de la Maison Leclerc-Briant.

Hervé expérimente également la vinification en sphère de verre de 250 litres « la sphère est la forme la plus naturelle de tout liquide, il n’y a qu’à voir la forme d’une goutte d’eau », il a même mené une expérimentation sur une cuve dont les parois sont recouvertes … d’or.

Baptisée « Goldorak » elle contient une partie de la récolte de « La Croisette » parcelle historique et emblématique de la Maison. l’or n’est pas là pour frimer. Symbole par nature de l’alchimie, il fait le lien avec le bois de la barrique lors de la fermentation pour favoriser la rencontre entre le cosmos et la terre.

Adepte d’un interventionnisme minimaliste, l’approche tellurique d’Hervé peut surprendre, tout comme les pierres qui sont au fond de ses poches et qu’il n’accepte de montrer qu’à ceux auxquels il reconnait la même sensibilité.

Autre fait d’armes d’Hervé Jestin, la cuvée Abyss de la maison Leclerc-Briant a été immergée au large du rail d’Ouessant, dans une cave sous-marine.

Autre fait d’armes remarqué, l’immersion au large du rail d’Ouessant de la cuvée Abbyss au sein d’une véritable cave sous-marine. A 60 mètres de profondeur et avec une pression de 6 bars, le vin est bercé par la puissance des courants marins qui crée des vortex permanents, et subit les influences de la lune et du soleil, l’équation biodynamique à son paroxysme…

Seul l’avenir dira ce que le druide de la Champagne a en tête, une chose est sûre, Hervé Jestin ne compte évidemment pas s’arrêter en si bon instinct….

L.B

Alors, quel champagne en biodynamie à Noël ?

Les cuvées de la Maison Leclerc Briant élaborées par Hervé sont à découvrir à la boutique Leclerc-Briant
Le 25 bis by Leclerc Briant
25 bis Avenue de Champagne,
51200 Épernay

Si vous deviez n’en acheter qu’une (ce qui est un choix cornélien) foncez sur La Croisette, non seulement le nom vous donnera des envies de soleil mais y découvrirez le gout de la parcelle historique de la maison. Env. 115 € TTC.
Egalement disponible sur le site de la Maison Leclerc Briant.

Pour séjourner * dans les environs quelques chambres d’hôtes sont disponibles au-dessus de la boutique. On vous les avait présentées par ici.

Vous pouvez également quitter Epernay pour rejoindre la Montagne de Reims, dîner et dormir au Royal Champagne, dont on vous parlait ici.

Enfin, pour découvrir les champagnes Jestin, rendez-vous sur le site.

*pensez à vérifier la disponibilité des établissements et leurs horaires adaptés à la crise sanitaire