Culture
Demeures idéales de confinement
Le château d'Abbadia, roi de la côte basque
11 DéCEMBRE . 2020
Parce que nous avions déjà rêvé de lieux insolites pour vivre le premier confinement, puis continué à l'annonce de ce second round... Cette semaine, on s'évade le temps d'une visite dans le Sud-Ouest de la France. C'est une demeure encore trop méconnue, mais qui vous fera vous détourner des plages à votre prochain séjour sur la côte basque ! Palais de style néogothique, bâti par le célèbre et fantasque Viollet-Le-Duc pour un non moins excentrique homme de sciences, Antoine d'Abbadie, Le château d'Abbadia est une oeuvre d'art totale mais aussi... un observatoire astronomique internationalement reconnu, qui abrite aujourd'hui l'Académie des Sciences. Visite.
Le château d’Abbadia, aussi excentrique que son aventurier de propriétaire
A l’origine de ce fabuleux château, un extravagant propriétaire, Antoine d’Abbadie, personnage de haut rang qui cumulait les savoirs : polyglotte (il parlait 14 langues dont le basque qu’il défendait ardemment) explorateur, anthropologue mais également géodésien et astronome ! Il fut membre puis Président de l’Académie des Sciences en 1892, à laquelle il légua son château et qui en est l’actuel propriétaire.
Pour cet aventurier, natif de Dublin, les voyages furent essentiels pour assouvir sa soif de curiosité et de connaissances. De son passage en Ethiopie qui dura 11 ans, il en retire la création de la première cartographie du pays, rien de moins.
A son retour en France, au début des années 1850, il songe à réaliser son vieux rêve de posséder une belle et grande demeure. Et c’est au pays basque, là où il avait acquis quelques années plus tôt un bout de terrain qu’il décida de s’établir. Plusieurs annexions successives de parcelles viendront compléter ce premier lopin de terre jusqu’à représenter en 1893, un territoire de 415 hectares, en face de l’océan.
Les jardins extraordinaires, premier aménagement du château d’Abbadia
C’est à l’architecte-paysagiste Eugène Bühler qu’Abbadie confie l’aménagement de sa propriété. Ce dernier a pour mission d’organiser la propriété et de sublimer le paysage environnant de ce terrain escarpé, dont les vues sur la montagne de la Rhune, le cap océanique du Figuier ou encore la pointe Sainte-Anne.
Avec ce jardin, il s’agit aussi de faire honneur aux sciences chéries par le propriétaire, et l’on retrouve ainsi « de nombreuses traces de son activité savante partout sur son domaine, depuis les piliers astronomiques jusqu’à la mire servant à l’orientation de la lunette méridienne en passant par les originaux vestiges de sa première nadirane (une invention d’Antoine d’Abbadie, servant à observer les mouvements de la Terre, ndlr) situés au fond d’un souterrain d’une cinquantaine de mètres dans la colline du château » nous rappelle Viviane Delpech dans le livre qu’elle dédit à ce lieu insolite.
La construction du château d’Abbadia, œuvre manifeste du néogothique en France
Outre les extérieurs savamment pensés, il est également question d’ériger en point de mire central un château. Et pour réaliser les fantasmes de l’homme de sciences et se conformer aux attentes de ce commanditaire exigeant, il ne fallut pas moins d’une succession de trois architectes pour parvenir au but souhaité.
Après les échecs de Clément Parent (congédié en raison de son manque de réactivité) et Auguste-Joseph Magne (exclu du projet car il ne parvenait pas à comprendre le site qu’il n’avait jamais vu, et refusait également de se conformer à la volonté de ses commanditaires), c’est à Viollet-le-Duc qu’il advient d’édifier ce palais néo-gothique, fameux architecte à qui l’on doit les restaurations de Notre Dame de Paris, Carcassonne ou encore la construction du splendide château de Pierrefonds.
C’est sur les bases de ce dernier château (véritable modèle d’architecture et de décoration néogothique) qu’il va réaliser pour le compte d’Antoine d’Abbadie une bâtisse aux allures médiévales.
On y observe la joyeuse patte de Viollet le Duc dans le vocabulaire ornemental fantastique qui s’épanouit sur le bâtiment -qui vous rappellera les fameuses gargouilles de Notre-Dame ou Pierrefonds : éléphants, singes, escargots sculptés y officient en gargouilles tandis que deux crocodiles de pierre sont logés sur les marches du porche d’entrée du château.
Le château comprend trois ailes révélatrices de la vie mondaine et érudite de son propriétaire : une première destinée à la réception et aux mondanités, une deuxième aux activités savantes (observatoire et bibliothèque) et une dernière plus intime comprenant notamment la chapelle où reposeront plus tard Antoine d’Abbadie et son épouse Viriginie.
En s’offrant les services du chef de file du mouvement néogothique en France, Antoine d’Abbadie se fait créer une œuvre manifeste et globale, révélant son adhésion aux canons éclectiques de son temps, imprégnés de ce mouvement qui vient d’Angleterre (le Gothic revival) et qui est directement rattaché au romantisme, se diffusant à travers les différentes disciplines artistiques que sont l’architecture, les arts décoratifs, mais aussi la littérature (Walter Scott) et la musique.
L’éclectisme roi à l’intérieur du château
A l’intérieur, c’est l’un des collaborateurs de Viollet-Le-Duc, Edmond Duthoit, qui prend en charge la décoration de la création des décors à celle du mobilier, et plus tard la reconstruction de l’observatoire.
Il fait appel à de grands noms de l’art et de l’industrie qui contribuent à créer ce lieu splendide. L’ensemble est marqué par l’imagination débordante et le goût d’Antoine d’Abbadie pour l’éclectisme et l’orientalisme à la faveur des voyages qu’il a réalisé en Éthiopie et en Egypte.
Au milieu de toute cette somptuosité, toutefois, le vestibule orné des armoiries de la famille et surtout de sa devise nous rappelle à l’ordre : « Plus être que paraître ». Si l’esthétique occupe une place prédominante en ces lieux, la science et le savoir reste au cœur des préoccupations de son propriétaire.
Lorsqu’on pénètre dans les lieux, on est tout de suite surpris par l’ambiance tamisée qui y règne : la lumière est diffuse, les murs et plafonds sont habillés de peintures, de tissus orientaux, d’ornements et de dorures, de calligraphies arabes et de proverbes du monde.
La magie des lieux opère à travers la succession de pièces tels que le salon arabe, la chambre d’Ethiopie, la chambre de Jérusalem, et la chambre de la tour… et leurs décors tout aussi fastueux les uns que les autres.
La bibliothèque du château d’Abbadia, la pièce la plus importante ?
Mais la bibliothèque reste l’un des points culminants de la visite : lieu de recherche et d’étude chère à son propriétaire, elle est placée au cœur du château et elle est implantée au sein d’une vaste pièce à la décoration minimale.
Les rayonnages de châtaigner renferment plus de 10000 volumes autour de la science, de la littérature et de l’astronomie, mais ce qu’on admire surtout, ce sont les curiosités environnantes, comme les machines à calculer…
L’observatoire d’Abbadia, la magie de l’espace
La plus grande de ces curiosités, c’est bien l’observatoire. Dernière pièce mise en place à la fin des travaux de construction du château en 1879, Antoine d’Abbadie y étudiait les étoiles et leur position sur la voute céleste. Dans l’alcôve, on retrouve ainsi la lunette méridienne permettant d’obtenir des mesures angulaires au 1/10 000 de grade près.
Cet observatoire a fonctionné jusqu’en 1975 et permis aux astronomes de publier 14 catalogues stellaires documentant près de cinquante mille étoiles.
Comme un dernier hommage à cet étonnant personnage, on achève notre visite virtuelle par la chapelle, où reposent les époux d’Abbadie sous le décor coloré et orientalisant pensé par Duthoit, ornés de merveilleux vitraux. Une œuvre d’art totale, on vous avait prévenu…
J.C
Château-observatoire d’Abbadia,
Route de la Corniche,
64700 Hendaye
T. 05 59 20 04 51
Réouverture le 18 décembre 2020.