Cuisine
Le cotechino, la saucisse reine de la Saint-Sylvestre
28 DéCEMBRE . 2020
En France, le repas de la Saint-Sylvestre est l’occasion de se remettre -progressivement- de la débauche de gras de la semaine précédente : un plat simple et savoureux, un bon vin. Mais en Italie du nord, le 31 décembre et le 1er janvier sont attendus par les empereurs de l’embonpoint, car bien plus qu’un changement d’année c’est l’heure des cotechini, ces spécialités charcutières attendues depuis 364 jours. Explications et recette.
La charcuterie italienne s’exporte bien depuis un demi-siècle, elle a même supplanté les productions locales. Il est désormais plus simple de se procurer du jambon de Parme que d’Auvergne, allez savoir pourquoi. Et pourtant, les Français boudent ou ignorent simplement le roi de la charcuterie, le cotechino.
C’est pourtant le Saint Graal des saucisses, celles qu’on mange en louchant dans les assiettes des autres. Celles qu’on garde jalousement au coffre-fort à côté de ses bouteilles de chez Lorenzo Accomasso. C’est un bien plus précieux que les farandoles de truffes des Langhe. Un bien que les Italiens ne mangent qu’entre eux, un secret d’alcôve bien gardé. Jamais vous ne verrez apparaître de cotechino dans les restaurants italiens branchés ou démodés de la capitale.
Le cotechino : une saucisse faite avec des restes
On pourrait croire que pareil monument serait comparable au Judru du Belley, une saucisse pour laquelle on retire les nerfs les plus imperceptibles des morceaux les plus maigres avec une plume de peintre piquée du toupet d’une bécasse. Nenni ! Le cotechino est affaire de morceaux vulgaires, dont on ne savait trop que faire.
Quand vient le temps de tuer les cochons, on transforme la bête en ce qui se fait de meilleur : culatello, Prosciutto, Mortadelle, Salame… Et puis là, sur la table, restent quelques morceaux indésirables. C’est dans ce Golgotha de couennes, de museaux et de pieds que vont naître trois charcuteries extraordinaires, le cotechino, le musetto et le zampone.
La fabrication des Cotechini, avec la cotiche : la couenne
Le cotechino tire son nom de son principal ingrédient, la couenne (cotiche). Elle est longuement confite avant d’être hachée à la pointe du couteau et mélangée à un liant de porc, relevée d’épices et embossée dans de très gros boyaux de bœuf.
Ces cotechini peuvent peser entre 500 grammes et un kilo, juste assez pour deux personnes raisonnables. Le cotechino est cuit dans de l’eau pendant au moins quatre heures. Passé ce temps, les émilien-romagnols se mettent à table.
Du cotechino à la Saint-Sylvestre
Le cotechino est débarrassé de sa robe de bœuf, coupé en larges tranches qu’on dépose sur un lit de lentilles fumantes. Les lentilles apportent argent et succès à ceux qui les mangent durant la nuit de la Saint-Sylvestre – le cotechino, quant à lui apporte le cholestérol qu’il faudra soigner avec l’argent gagné grâce aux lentilles.
Les couennes se décomposent sur la langue, le parfum des épices est extrêmement subtil, ce n’est pas une saucisse, c’est un miracle.
Quelques variantes : le zampone et le musetto
Le zampone est le cousin immédiat du cotechino, il est lui aussi originaire d’Emilie-Romagne mais on glisse la préparation dans un pied de porc avec son sabot et non dans un boyau de bœuf.
Son origine remonte au XVIe siècle durant le siège de Mirandola par le pape Jules II. On retrouve cette merveille à Crémone et Mantoue en Lombardie. Le zampone est plus souvent accompagné de haricots que de lentilles. On remplace les couennes par du pied de porc finement haché.
Enfin le musetto, originaire de Vénétie à l’est se compose de morceaux de tête de porc et non de couennes. Il est plus relevé en épices, rappelant l’influence de la Sérénissime sur la région.
Généralement plus petit que ses cousins, le musetto se déguste avec du raifort appelé cren et du chou cuit à l’étouffée. Il entre aussi dans la composition du bollito misto de Padoue, un proche cousin du pot-au-feu à base de viande d’oie, de langue de veau, de chapon et de musetto, donc. On le déguste avec des fruits confits relevés d’huile essentielle de moutarde, la mostarda.
Mais alors est-ce que c’est bon ? Il n’existe pas d’expression suffisamment éloquente pour préciser le sentiment. Che figata ! C’est extraordinaire. Les couennes se décomposent sur la langue, le parfum des épices est extrêmement subtil, ce n’est pas une saucisse, c’est un miracle.
L’essayer c’est l’adopter, en faire une religion. Quand vous penserez aux ingrédients indispensables à la bonne tenue d’une maison, les cotechini s’imposent bien avant les bouteilles d’eau, les paquets de café ou le sucre en grain. Personne ne résiste aux empereurs du gras. Pour ma part, quand je vais à Saint-Antoine de Padoue, j’allume toujours un cierge pour les charcutiers de la région. Que leurs productions soient pérennes et toujours aussi succulentes.
M.M