Cuisine
Rencontre : Mikaël Petrossian
A la barre de la maison de caviar centenaire
24 DéCEMBRE . 2020
A la veille de Noël, quoi de mieux que de parler caviar et magie familiale ? Quand on pense à la maison Petrossian, on imagine immédiatement le caviar qui décore les plats signatures des grands chefs, les tranches de saumon délicatement déposées dans une assiette de porcelaine, des produits nobles, le luxe qui se déguste. Pourtant, derrière cette image parfois inaccessible se cache une histoire familiale pleine d'humilité, de réussite et de travail. Rencontre avec le jeune président directeur général de l'entreprise centenaire, Mikaël Petrossian.
Mame Petrossian, les souvenirs de la famille
« Dans la famille, celle qui cuisinait beaucoup c’était ma grand-mère. J’ai développé mon palais avec elle. Elle adorait non seulement cuisiner, mais aussi transmettre. Elle partageait ses recettes et des histoires complètement folles, se remémore Mikaël Petrossian, président directeur général de la marque éponyme. Ce quadragénaire est devenu PDG de l’entreprise il y a deux ans, après une première carrière dans le conseil et un grand amour pour la cuisine et la gastronomie.
Une histoire qui commence auprès de « Mame » -le surnom de sa grand-mère- quand elle lui conte, tout en cuisinant des plats de son pays d’origine, sa fuite de la Russie bolchevique.
« Elle venait d’une très grande famille. Ils sont partis sans rien parce qu’ils avaient tout investi dans l’immobilier. Juste avec quelques pierres précieuses, cachées dans une poupée que sa mère avait cousue. Cette poupée lui a été confisquée et elle l’a retrouvée plus tard. Ç’a été une histoire folle. Avec mon frère [Alexandre], on adorait ses récits, on avait l’impression de vivre un film ! »
Aux origines du caviar Petrossian
Le scénario de la Maison Petrossian est tout aussi incroyable. Dans les années 20, deux réfugiés arméniens, les frères Melkoum et Mouchegh Petrossian, décident de faire découvrir le caviar aux Français.
Les œufs d’esturgeon rencontrent un incroyable succès. Le numéro 18 du boulevard de la Tour-Maubourg à Paris devient le rendez-vous incontournable des amateurs de spécialités russes et arméniennes.
A la mort des fondateurs, Anahide, Christian, Tamara, Lena, Karen et Armen Petrossian poursuivent l’œuvre de leurs parents. Certains travaillent à la direction, d’autres prennent des fonctions opérationnelles ou de gouvernances.
C’est en 1995 qu’Armen Petrossian, le père de Mikaël, reprend la présidence du groupe, vingt ans après avoir commencé à y travailler. Il ouvre plus tard un restaurant qui obtiendra une étoile au guide Michelin. « On a passé notre jeunesse dans la boutique, se souvient Mikaël. C’est un endroit génial : tu vois plein de gens et nos parents y travaillaient avec mes oncles, mes tantes… C’était très familial. Avec mon frère, on collait les étiquettes sur les produits, on faisait le tarama. »
Enfant déjà, les bons produits font partie de son quotidien. Pour autant, la gastronomie et le luxe restent dans la boutique. pmmbjkSes parents, comme beaucoup de professionnels de la restauration, ne mangent pas souvent chez eux, mais plutôt dans des restaurants, des adresses de quartier. Celle que Mikaël préférait ? La pizzeria du coin où ils se rendaient très régulièrement.
Quand le jeune Mikaël Petrossian découvre les tables gastronomiques
Le tout premier grand restaurant de Mikaël Petrossian est un gastronomique asiatique (fermé depuis), où se massaient tous les politiques de l’époque comme Mitterrand ou Chirac… « Je devais avoir 13 ou 14 ans. C’était la première fois que je sortais seul avec mon père. Il m’avait dit que si on allait dans ce restaurant, il me fallait un costume. »
Il en achète un spécialement pour l’occasion -son père lui assure qu’il lui resservira plus tard-, enfile le pantalon, la veste, lace les chaussures. « C’était un carcan… J’avais trop mal aux pieds, j’étais tellement mal à l’aise ! » s’amuse-t-il aujourd’hui. « Mais je me souviens que c’était un beau moment avec mon père. »
Il y en aura d’autres, en famille. Le milieu des chefs et de la haute cuisine l’intéresse tellement qu’il demandera, à partir de ce moment, un restaurant gastronomique en guise de cadeau d’anniversaire. Le premier d’une longue série ? Le Crillon. Le chef Bouchet, qui officie à l’époque, lui signe même le menu !
Un expert-comptable chez les Petrossian
Est-ce à ce moment qu’il s’imagine travailler dans le restauration ou dans l’entreprise familiale ? Pas vraiment. « Depuis tout petit je voulais faire de la politique. J’étais hyper impressionné par les discours et l’art rhétorique. Je trouvais ça exceptionnel de pouvoir parler et convaincre… »
Mais les études liées à ce milieu le freinent, il n’a pas envie de faire l’ENA ou Sciences Politiques. Il se tourne vers la gestion, le meilleur compromis pour être prêt si un jour il doit travailler et gérer l’entreprise familiale : Mikaël Petrossian est du genre pragmatique, avec un grand sens du devoir et quelqu’un de droit.
Il tient ça de sa scolarité à l’école catholique Stanislas. « C’était assez militaire et j’aimais bien l’environnement. Le côté cadré me plaisait. Il y a des gens qui détestent, au contraire, moi ça me poussait à me challenger, à réagir, à créer… » Encore aujourd’hui, quand le chef d’entreprise veut être efficace, il s’impose des limites. Il l’admet : s’il peut tout faire, il ne fait rien.
Il suit donc des études de gestion et finance à l’Université Paris-Dauphine, un professeur lui conseille le métier d’expert-comptable. Parfait pour satisfaire ses envies d’entrepreneuriat et son goût pour l’indépendance. D’ailleurs, il cultive très tôt ce dernier trait de caractère en travaillant en parallèle de la fac pour se payer ses sorties, ses fringues, ses verres.
Et comme il adore la cuisine, il fait des extras pour le restaurant étoilé de ses parents, quand le chef Philippe Conticini officiait en cuisine. « J’adorais le côté grisant d’une brigade. Il y avait douze personnes, moi j’étais au garde-manger. Je suis arrivé commis, j’ai fini chef de partie », raconte-t-il. Il fait ça le vendredi et le samedi soir pendant des années, jusqu’à ce qu’il intègre un cabinet de conseil réputé. Il y restera sept ans.
L’ouverture du premier restaurant de Mikaël Petrossian, Yoom
En 2009, il rend visite en Chine, à Shanghai, à un ami expatrié, fan de dim sum, -ces petits chaussons fourrés et cuits à la vapeur-, qui l’emmène partout, du boui-boui du coin de la rue au grand restaurant.
Mikaël en goûte des centaines. « Quand on est rentrés avec ma femme [Anaïs], on ne pensait qu’à une chose : en remanger. C’était comme une drogue ! » Déçu par les bouchées hyper traditionnelles qu’il trouve dans la capitale, le couple se dit qu’il y a peut-être quelque chose à faire. C’est alors que Mikaël s’associe avec un ancien collègue et se lance dans l’aventure Yoom.
Pendant un an, les deux hommes s’enferment en cuisine et travaillent les recettes. Quand ils ouvrent, c’est un succès phénoménal. « C’était complètement fou. On a été Big Mamma avant l’heure ! Tous les jours, il y avait 50 mètres de queue dans la rue des Martyrs. Toutes les stars appelaient pour avoir une table, de Carole Bouquet à Kristin Scott Thomas. C’était lunaire ce qui nous arrivait ! » s’exclame le restaurateur.
Deux ans plus tard, ils décident d’ouvrir une seconde adresse. Échec complet. Il leur faudra plusieurs années avant de relancer la machine. Aujourd’hui c’est Anaïs qui est à la tête des deux adresses.
En parallèle, il met un premier pied dans l’entreprise familiale. Il s’occupe du développement de Petrossian, et notamment de l’ouverture de la deuxième boutique boulevard de Courcelles.
En 2015, son père lui propose de devenir gérant de la société du restaurant, de s’occuper des nouveaux produits. « Je me suis dit que j’allais me créer mon propre poste. C’était assez cool parce qu’il y avait beaucoup de création. » Mikaël développe la marque, ouvre d’autres boutiques, des corners, se dit qu’il va se lancer dans la truffe…
Secouer la grande dame du caviar
En arrivant dans la maison de caviar, il débarque avec sa jeunesse, son énergie, ses envies de modernité. L’entreprise va bientôt souffler cent bougies, il faut la rajeunir si elle doit rester attractive. « Tes concurrents n’attendent qu’une chose : que tu t’endormes. Et encore plus quand tu as une vieille marque. Si ta stratégie correspond à ce qu’ils pensent, tu es vraiment engoncé dans un carcan. »
Et depuis son histoire au restaurant, les carcans, il n’aime pas ça. C’est pour cette raison qu’il emmène la marque Petrossian là où on ne l’attend pas. Le fameux saumon fumé dans des omelettes ? Il lance le rostoff, une omelette roulée garnie de produits Petrossian. De l’or noir avec du poulet frit ? La collaboration cartonne chez FTG, le resto fast-good de Grégory Marchand.
Le confinement fige l’activité restauration ? Il lance les Paniers Particuliers, des paniers garnis de produits de la maison avec des recettes imaginées en collaboration avec de grands chefs. « Ce qui est top, concède le PDG, c’est qu’on arrive à fonctionner presque comme une startup alors qu’on est centenaire. Notre agilité nous permet d’être incisif et d’être un vrai acteur sur le marché. Et ça fait peur à nos concurrents », se réjouit-il.
Il ne faut jamais sous-estimer la puissance d’une marque bien installée. Depuis maintenant un siècle, la famille Petrossian réussit à faire de la maison un synonyme du mot caviar, tout en se démarquant des autres.
La patte Petrossian, ce sont ces billes noires marquées en goût, puissantes, maturées 4 à 6 mois minimum. C’est ce bleu turquoise qui vous fait de l’œil sur la devanture de la boutique, ce bleu océan de la boîte qui protège jalousement les beaux œufs d’esturgeon.
C’est cette marque -labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant- qui participe à l’écriture de l’histoire de la Haute gastronomie française. Aujourd’hui ce sont deux des petits enfants des fondateurs qui continuent d’en écrire les pages. Mikaël en tant que Président-Directeur Général de Petrossian SA et son frère Alexandre, en tant que Vice-Président et General Manager US.
A.L-J
Vous ne connaissez pas la maison Petrossian ? Mikaël vous conseille trois produits à découvrir.
1. Le caviar. Quand des gens me disent qu’ils rêvent de manger du caviar, je leur dis allez-y ! Ça reste un produit de luxe, mais accessible : nous sommes autour de 66 € les 30 grammes. Chaque variété de caviar possède des grandes tendances. L’ossetra aura toujours un grain un peu plus craquant qu’un sevruga, le beluga un grain moelleux.
2. Un bon saumon fumé. Nos saumons viennent d’Ecosse, de Norvège ou d’Irlande. Nous faisons très attention à la taille de ceux-ci : nous ne prenons que de très gros saumons*. Ensuite, ce qui est important c’est le traitement du poisson. Le fumage, la maturation… Toutes ces étapes durent environ 15 jours et sont réalisées par nos soins.
3. Même si j’ai fait une overdose étant petit, je dirais le tarama ! J’adore ce produit. Le nôtre est très particulier. Il est fait à partir de deux ingrédients : de la crème fraîche de très bonne qualité et des œufs de cabillaud. Ceux-ci sont fumés et maturés par nos soins. C’est un produit assez exceptionnel, assez fort.
Visitez le site de Petrossian
11 adresses à Paris, des revendeurs partout en France.
Restaurant Petrossian,
13 Boulevard de la Tour-Maubourg,
75007 Paris
Commandes assurées en temps de Covid-19
Découvrir Yoom
Rue des Martyrs, Paris 9 et rue Grégoire de Tours, Paris 6
Vous êtes intrigué par le caviar ? Relisez notre article pour tout connaître de l’or noir.