Sport
Rencontre : qui est Jean Le Cam, le sauveteur loup de mer du Vendée Globe ?
03 DéCEMBRE . 2020
Avec ce sauvetage de Kevin Escoffier dont le bateau s’est disloqué, menée de main de maître par le skipper Jean Le Cam sur « Yes we Cam » , le doyen du Vendée Globe a confirmé son statut de plus belle personnalité de cette course à la voile hors norme. Rencontre.
Mayday ! Jean le Cam à la resousse
Mayday, mayday, le cri qu’aucun marin ne veut entendre ou prononcer ! En mer, c’est le signal de détresse ultime qui génère l’effroi et exige des concernés, lanceur d’alerte ou capteur du message, le plus grand sang-froid.
Voilà à quoi ressemble le radeau de survie, où se trouve Kevin Escoffier. Imaginez l'angoisse, dans une mer très formée avec des creux de 5 mètres et une eau à 10 degrés. Tout ça dans le noir #VendeeGlobe #VG2020 pic.twitter.com/LAPaC8IqED
— Yohan Roblin (@yohanroblin) November 30, 2020
Sur le Vendée Globe, la course autour du monde à la voile, en solitaire et sans escale la plus exigeante, le malouins Kevin Escoffier a eu moins de 5 mn, dans l’après-midi du 30 novembre pour lancer ce cri. Le bateau brisé en pleine mer, s’en sont suivies onze heures d’attente au beau milieu des vagues, dans un canot de sauvetage.
Mais il a eu de la chance dans son malheur de naufragé à 600 milles du cap de Bonne Espérance au sud des côtes d’Afrique du sud. La veille, à bord de son IMOCA de 60 pieds PRB, il avait doublé Jean Le Cam, un des marins les plus talentueux et les plus expérimentés.
Yes We Cam
A 61ans, avec son bateau vieux de 13 ans, il tenait la dragée haute aux jeunes loups de la course hauturière à bord de leur coque high tech volante. Lui, le doyen des 33 skippers partis trois semaines plutôt des Sables d’Olonne pour une chevauchée océane de plus de 70 jours, à bord de son Yes we Cam de 2007, s’est offert le luxe de mener plusieurs jours la flotte, dans la descente de l’Atlantique.
« Papy fait de la résistance » disait-il… Un talent de marin et de régatier éprouvé, une profonde connaissance des éléments doublés d’une meilleure stratégie ont permis à celui que le milieu surnomme le roi Jean d’être sur le podium tous les jours de cette première partie du Vendée globe.
En doublant le loup de mer breton, Kevin Escoffier a contracté sans le savoir une véritable assurance-vie ! Car s’il y avait un seul homme capable de sauver un autre marin à la dérive, lové sur un petit radeau de survie de trois mètres carrés, chahuté comme un bouchon dans des creux de cinq mètres au cœur des 40e rugissants, là où la mer tourne autour de la terre sans obstacle pour freiner son élan giratoire, c’était bien ce génial coureur du large.
Jean Le Cam, amariné dès l’enfance
Jean Le Cam s’est amariné dès l’enfance. Gamin, il partait naviguer avec sa mère aux Glénan et copinait avec le gardien du phare de Penfret, heureux de faire découvrir à ce jeune quimpérois la relève des casiers.
Dans le coin, près de Concarneau, il n’est pas le seul adolescent à se passionner pour la voile. Ses compagnons de bord s’appellent Hubert Desjoyeaux, le frère ainé de Michel. L’un développera le chantier CDK, spécialisé dans les multicoques, l’autre est le seul skipper à avoir gagné deux Vendée Globe.
Un passage à l’école Tabarly sur Pen Duick VI avant de s’emballer pour les Formule 40, des cata ou trimarans de course créés en 1985. Il gagne le championnat en 1988 et 1989. Mais à son grand regret, cette catégorie est évincée, 5 ans plus tard, par les trimarans 60 (soit 18 m de long). Cette course à la vitesse, à la puissance, aux budgets n’est pas vraiment de son goût. Néanmoins, Jean Le Cam change de monture. Il est régulièrement aux avant-postes des régates côtières qui réunissent une belle flotte.
Toujours attaché aux monocoques, le quimpérois devient un fidèle de la Solitaire du Figaro qu’il remporte trois fois en 1994, 1996 et 1999 sur près d’une dizaine de participations.
A l’époque, Rolex sponsorisait les courses de Figaro-Bénéteau et Jean a gagné plusieurs Submariner. « Il n’est jamais venu les chercher à Paris » nous avait glissé un jour la responsable de la Communication. Questionné par nos soins sur le pourquoi de cet « oubli », Jean nous répond qu’il n’avait pas du tout envie d’aller à Paris : trop de monde, trop de bruit et une odeur …. et puis ces montres, c’était beaucoup trop luxueux pour lui !
La course en solitaire pour un épris de liberté
La course en solitaire est la passion de cet homme épris de liberté qui réjouit de sa gouaille et de ses bons mots les amateurs de pontons. Jean est connu pour être un animateur hors pair des vacations radio pendant les courses.
A l’issue de son premier Vendée Globe, en 2004-2005 qu’il termina 2e sur Bonduelle, à 7 h du vainqueur Vincent Riou, il régala un parterre de journalistes morts de rire à propos des aventures de la « Grande Denise », sa grand-voile, du grand Robert et du petit Marcel, ses voiles d’avant. L’homme qui, 24 h plutôt, était en passe de gagner le Vendée Globe s’il n’avait été victime les dernières heures d’une sournoise mistoufle météo, n’affichait aucune amertume face à cette déconvenue. Ce jour-là, il nous a donné une grande leçon de philosophie.
Quatre ans plus tard, un nouveau rendez-vous de la grande histoire des fortunes de mer va réunir les deux hommes. Aux abords du Cap Horn, le bateau de Jean Le Cam se retourne. Le marin est prisonnier de sa coque. Sa situation est moins tragique que celle que vient de vivre Kevin Escoffier mais elle n’est guère enviable. La mort par hypothermie le guette. Et ce sera Vincent Riou qui délivrera son camarade de régate avant de le débarquer à Ushuaia (Argentine).
Quand faut y aller…
Avant le départ de ce Vendée 2020 qui compte déjà trois abandons dont celui d’ Alex Thomson, grand favori sur Hugo Boss, Jean Le Cam interrogé à propos du nom de son bateau Yes we Cam nous lance : « ce qui est rigolo ne nuit pas. Autour de ce concept on a trouvé deux partenaires. Merci à eux. » L’humour n’est jamais loin quand on parle avec le roi Jean qui a travaillé 8 mois sur son bateau pour le renforcer et l’alléger. « Il a perdu 500 kilos. J’espère ne pas mettre plus de 80 jours cette année et être sur le podium des sans foils. »
Cette belle aventure de sauvetage lui a fait perdre plusieurs places au classement, et Kevin Escoffier encore dans sa combinaison de survie s’en est d’ailleurs tout de suite excusé. « Pas d’importance. Quand faut y aller, faut y aller » répond sobrement Le Cam qui la joue modeste – car c’est sa nature profonde. La grande classe des marins.
P.M-C