Culture
Walter & Moretti, la poésie de l’aluminium, renaissance d’une maison française
18 DéCEMBRE . 2020
En 1969 Neil Armstrong marche sur la Lune. La décennie suivante est profondément marquée par l’imagerie de la conquête spatiale qui influence toute une génération, tous domaines confondus, des robes en métal Paco Rabane aux objets industriels qui envahissent la maison. Le métal fait partie du fleuron de l’industrie française et son utilisation s’étend au monde de la décoration. Replongez-vous dans l’appartement de François Catroux avec sa cheminée plaquée d’aluminium ; remémorez-vous le comptoir d’accueil de la Banque Rothschild imaginé par Michel Boyer, en 1970. Vous y êtes ? Parfait ! Retour vers le futur avec Walter & Moretti, la marque d’objets en aluminium, qui renaît de ses cendres depuis 2014 grâce à un jeune architecte-designer, Olivier Oksman…
Walter & Moretti, une réflexion française sur l’objet industriel
En 1972, les frères Pierre et André Bos créent à Toulouse la société Walter & Moretti qui produira quelques modèles de luminaires, objets, meubles. Une production confidentielle, un catalogue d’une trentaine de pièces seulement que seuls les initiés connaissent.
Mais l’histoire de Walter & Moretti n’est pas anecdotique. Elle est le reflet d’une époque, d’une réflexion globale sur l’objet industriel. Depuis 2014, Olivier Oksman, jeune architecte d’intérieur et designer, fait revivre la belle endormie.
La marque Walter & Moretti emprunte son nom à deux oncles éloignés de Pierre et André Bos. Pas de hasard dans ce choix qui évoque la rigueur allemande et le savoir-faire italien. Une bonne recette pour tout amateur de design !
Une maison rapidement spécialiste des objets en aluminium
André Bos est le fondateur de la société Technal spécialisée dans le profil d’aluminium. Pierre quant à lui, dirige la société Métodécor, spécialisée dans l’anodisation et le traitement de surface de ce même matériau.
Il existe une véritable synergie dans leurs compétences et c’est cette parfaite maîtrise de ce savoir-faire qui les a poussés à imaginer Walter & Moretti.
Les dessins sont réalisés par Pierre ou par les chefs d’atelier eux-mêmes. Les objets en aluminium sont créés en série très limitée. La problématique, dès le début des années 70, n’est pas celle du designer industriel mais plutôt celle du maître-artisan qui souhaite transformer son matériau, le faire valoir au-delà de l’industrie.
L’aluminium au service de la création
Lorsqu’Olivier Oksman parle des pièces Walter & Moretti, il évoque des objets monolithiques -non sans rappeler la référence au film 2001, L’Odyssée de l’Espace. Des objets dont s’émane un luxe calme et mystérieux. Il préfère d’ailleurs parler d’une précision de l’usage de la matière plutôt que de design, terme ô combien galvaudé.
L’aluminium a une forme d’autosuffisance. Plié, usiné, traité, il répond à l’imagination du créateur-technicien. Walter & Moretti n’a jamais mis en avant un nom de designer : la création est née d’une émulation collective et d’un savoir-faire précis.
Pourtant bien des grands noms entourent cette aventure. Le siège de la maison toulousaine est abrité dans un bâtiment de l’architecte de renom de la Reconstruction Fernand Pouillon. Les photographies des catalogues d’époque sont réalisées par le photographe Jean Dieuzaide, dit Yan, célèbre pour ses clichés d’objets industriels, d’aéronautique mais aussi pour le fameux portrait de Salvador Dali à la moustache fleurie, sortant de l’eau. Un autre acteur important fait partie de l’entourage Walter & Moretti : Albert Pons, directeur des Beaux-Arts de Toulouse et qui est sans doute à l’origine du graphisme du logo de l’époque.
Des objets en aluminium, le « matériau du siècle » ou plutôt des siècles
En 1964, Hans Hollein imagine la fameuse boutique Reti à Vienne. De grands panneaux d’aluminium brillant forment le décor d’une pureté et d’une élégance sans égal. Celui qui deviendra plus tard architecte de renom et théoricien du post-modernisme déclare à l’époque que l’aluminium est « le matériau du siècle. » Vint ensuite la conquête spatiale soviétique qui produisit des formes à la pointe. Une véritable leçon esthétique qui subsiste encore.
Le répertoire formel de Walter & Moretti est marqué par les avancées de la période. L’exemple de la lampe Colomba reflète à merveille l’esprit de son temps. Réalisée à partir d’un seul morceau d’aluminum brossé, elle déploie une belle courbe sensuelle. L’interrupteur est remplacé par un galet poli aimanté. La lampe fait désormais partie des archives de la maison et n’est pas rééditée pour le moment…
L’idée ? « Introduire dans les intérieurs des objets dont on ne prédit pas la fin. » Ainsi, impossible de faire la différence entre les objets en aluminum de Walter & Moretti période 70 ou contemporaine. C’est l’histoire d’une longue continuité.
Sur les créations de Walter & Moretti, la lumière glisse, et avec elle un sentiment de légèreté. Olivier Oksam parle « du luxe d’un objet silencieux auquel chacun apporte un sens. »
Chaque objet suscite question : sa période de création, son façonnage, l’histoire de sa transmission ; mais tout cela est sans âge. Depuis 2014, Olivier Oksman développe le catalogue des pièces. Impossible de faire la différence entre les objets créés en 1970 et ceux d’aujourd’hui. L’idée est celle « d’introduire dans les intérieurs des objets dont on ne prédit pas la fin. »
C’est bien le cas pour la nouvelle version du jeu d’échecs, limité à 100 exemplaires, au plateau convexe aimanté. Les artisans ont relevé le défi technique et ont produit un objet d’exception, contemporain tout en étant imprégné d’histoire, à l’esthétique marquée.
La transmission, l’intention-clé des objets en aluminium Walter & Moretti
Walter & Moretti continue de mener sa réflexion sur la matière. A l’ère de la production de masse et de la surconsommation, le caractère de la marque ne concède sur aucun détail. Plaisir d’initiés, les objets continuent de ne pas répondre au nom d’un créateur. Ce qui compte, c’est l’intention : celle de l’artisan à l’origine de la création mais aussi celle du collectionneur.
Les pièces contemporaines sont produites en France, sans effet de mode. Pour conserver cette qualité d’exécution, le vocabulaire et le terreau culturel doivent être communs avec l’artisan qui réalise la pièce. C’est ce supplément d’âme qui participe à la valeur de ces objets qui se transmettent.
La transmission est le maître mot de la philosophie de la marque qui développe ses nouvelles créations en étroite collaboration avec l’ancien chef d’atelier de Walter & Moretti. Apprendre de l’expérience, voilà ce qui offre des pièces aux lignes abouties et fluides.
Récemment, le lampadaire Cyclop est entré dans la collection de luminaires. Deux profilés d’aluminium maintiennent deux réflecteurs orientables. La base composée de dalles de verre coloré reflète à envi la lumière et assure la stabilité de la pièce. On reconnaît là une déclinaison parfaitement exécutée de la lampe Shade, qu’on retrouve aussi au catalogue. Objet à la fois monolithique et discret, il reflète à merveille la manière et la facture Walter & Moretti. On attend avec impatience le canapé en cours de développement…
Walter & Moretti est la preuve que la querelle des Anciens et des Modernes est bien révolue. En recherchant « le meilleur usage de la matière possible » sans compromis, la maison imagine avec sincérité des pièces en aluminium intemporelles et durables, luxueuses, sans ostentation.
P.DC-S