Culture
A Paris, le design sûr et discret de Martin Székely s’expose dans le XXe
12 FéVRIER . 2021
A Paris, le jeune marchand Rémi Gerbeau présente, en association avec le galeriste Jean-Philippe Mercier, une exposition dédiée au début de carrière du designer Martin Szekely. Il faut sortir des sentiers battus et du classique parcours des galeries de Saint Germain-des-près pour se rendre dans le 20e arrondissement de Paris : derrière une porte cochère se trouve un ancien atelier de ganterie de 300 mètres carrés éclairé par une belle verrière. Là, se déploie une vingtaine de pièces de Martin Székely, 14 années de création, savamment mises en scène par l'artiste Bruno Rousseaud. Un concentré de design pour passionnés à visiter jusqu’au 27 février.
Rémi Gerbeau collectionne depuis des années les pièces de Martin Székely. Celles des années 80, des débuts donc. L’idée mûrit ainsi naturellement chez lui et rien n’est laissé au hasard dans cette exposition qui mêle pièces à vendre mais aussi d’autres, prêtées par des collectionneurs. La scénographie est due à l’artiste Bruno Rousseaud, dont on vous dressait justement le portrait ici.
Martin Székely, un designer discret, un design radical
Martin Székely est aussi connu qu’il est discret. L’exposition porte un regard historique sur un pan (presque) contemporain des arts décoratifs. La première pièce exposée à l’entrée du parcours est un guéridon Pi de 1984. Le visiteur en confiance reconnaît la collection la plus connue du designer. Suit la chaise Cornette (1978), la première pièce de Martin Székely.
La progression n’est pas pensée chronologiquement mais crée un dialogue entre ces pièces qui se font écho. L’œil fait sans cesse des allers-retours entre les trois collections présentées : Pi, Containers et Pour faire Salon. Une véritable immersion dans un design à la fois radical et sensible.
Martin Székely est un designer au sens pur : il ne verse jamais dans le côté « artistique » de la chose. Pourtant, lorsqu’on prend la mesure de cet ensemble, les pièces transcendent le côté utilitaire et semblent habitées. Habitées par une âme d’artiste qui produit des œuvres d’une pureté assurée.
Pas d’effet de style, et pourtant, le « style Székely » est reconnaissable entre mille.
Martin Székely répond à un besoin en explorant toutes les possibilités des matériaux. Il y a une forme d’objectivité dans son œuvre qui donne une portée universelle à son travail. Pas d’effet de style, et pourtant, le « style Székely » est reconnaissable entre mille. Les trois collections présentées dans l’exposition mettent en exergue l’évolution d’un style qui de la ligne au dessin, de la forme au volume et à la couleur ne renie jamais la fonction première du meuble.
La ligne avant tout
Pendant toute son enfance, le futur designer baigne dans un environnement artistique. Ses deux parents immigrés hongrois sont artistes, notamment connus pour avoir marqué l’art de la céramique des années 1950.
Martin Székely, lui, s’intéresse d’abord à la gravure. On voit dans la justesse du trait sa maîtrise de la technique. Il est diplômé de l’école Estienne en 1974. A la sortie de ses études, il décide d’être compagnon chez un menuisier puis restaurateur de meubles anciens. De cette formation pluridisciplinaire, on comprend son approche transversale, celle de la ligne, et du matériau.
Icône des années 80, la chaise Pi
La chaise longue Pi, l’icône des années 80 est un parfait mélange de lignes droites et de courbes. Outre la qualité de dessin et d’exécution, cette pièce correspond à une période de création bien particulière en France. Le prototype du modèle est présenté en miroir de sa version éditée : il est toujours intéressant de noter les différences de fabrication, de sa conception à l’aboutissement d’un modèle.
Tandis qu’en Italie les designers, encouragés par une industrie florissante, se fédèrent et intellectualisent leur production -c’est le cas notamment avec la création du groupe Alchimia en 1976- les designers français peinent à se regrouper. Mais en 1979, sous l’impulsion d’André Giraud, ministre de l’industrie, est créé le VIA (Valorisation de l’Innovation dans l’Ameublement). L’organisme propose alors carte blanche à des créateurs contemporains et subventionne la production des prototypes. La chaise longue Pi, créée en 1982, en est l’un des premiers exemples.
Une autre initiative privée complète le tableau de cette époque lorsqu’en 1984, Pierre Staudenmeyer et son associé Gerald Dalmon créent un lieu dédié à la jeune génération de designers. C’est d’ailleurs en voyant pour la première fois la chaise longue Pi que Pierre Staudenmeyer se serait exclamé : « c’est néo néo néo tout ».
L’aventure de la célèbre galerie Néotu est lancée. Véritable laboratoire du style 80, la galerie est un inventaire de talents contemporains. A la recherche de cohérence entre toutes les tendances éclatées du design, Pierre Staudenmeyer se voit comme un marchand-mercier du XXe siècle. Une étroite collaboration démarre alors entre Martin Székely et Pierre Staudenmeyer.
Containers, de la ligne à la forme
Après Pi qui se décline en chaise et fauteuil, en guéridon, en bureau… vient la collection Containers, dont la genèse est une commande du FRAC Limousin. Martin Székely retourne alors au travail du bois dans sa version « pauvre » mais innovante : le MDF.
Pierre Staudenmeyer, fervent défenseur de son travail mais aussi théoricien, dit de cette série : « Containers fut comme la démonstration de l’âme inanimée de notre quotidien architectural ». Là, Martin Szekely travaille à la perception du volume dans l’espace. Si la collection Pi est celle de la ligne, Containers est celle de la forme.
Vers la couleur dans les années 90 : Pour Faire Salon
Enfin la collection Pour Faire Salon s’éloigne du minimalisme. Comme une affirmation, cette voluptueuse et étrange collection a parfois été taxée d’embourgeoisement. Il s’agit plutôt de maturité. Par l’emploi de couleurs vives et chatoyantes, Martin Székely créé une série d’assises accueillantes et notamment une nouvelle version du Récamier (la célèbre banquette du XIXe siècle, ndlr) avec la méridienne Lysistrata.
Martin Székely produit, pendant toute sa carrière, des pièces pour amateurs éclairés. Il développe sa théorie des « meubles attentionnés » à leur propriétaire et à leur cadre de vie, tout en assurant des commandes publiques notamment pour le musée de Villeneuve d’Asq, le conseil général de Belfort ou encore le nouveau mobilier du musée du Louvre que nous avons hâte de découvrir à sa réouverture…
Son œuvre est authentique, en perpétuelle quête de liberté. En travaillant en association avec des artisans qualifiés, il repousse sans cesse les limites des matériaux et produit les plus belles pièces du design contemporain. Dans un portrait paru dans le magazine Intramuros en 1986, Martin Székely conclut « Mais ne dites pas que je suis timide, dites seulement que je suis réservé. » Des créations sûres mais discrètes, voilà donc le vrai luxe.
P.DCS
On y va ? Exposition Martin Székely – début
Organisée par Rémi Gerbeau et Jean-Philippe Mercier. Scénographie par l’artiste Bruno Rousseaud
Galerie Mercier & Associés,
3 rue Dupont de L’Eure
75020 Paris
Du jeudi au dimanche 14h-17h30 et sur rendez-vous.
Plus d’informations ici.