Gastronomie
Ocoa bay, le seul vignoble des Caraïbes
18 FéVRIER . 2021
Ce que les Français n’ont pas fait ou tenté aux Antilles -c’est vrai que la terre et le climat n’y sont guère propices- une Colombienne l’a osé. Maria Claudia Mallarino est la première et unique productrice de vin des Caraïbes. Avec son mari Guillermo, natif de la République Dominicaine, ils se sont lancés, il y a une dizaine d’années, dans la folle aventure de créer le premier vignoble des Antilles. Sans être grandiose, le cru d’Ocoabay est plaisant, et s’inscrit dans une vraie belle histoire.
De la médecine au vin dans la baie d’Ocoa
Il se dégage une grande douceur et un grand calme de la personnalité de Maria Claudia Mallarino. Au premier abord, on a du mal à imaginer que cette femme modeste, si charmante, si calme et posée ait trouvé l’énergie phénoménal qu’il a fallu déployer pour créer de toutes pièces, sur une terre aride et en friche, l’unique vignoble des Caraïbes.
L’histoire remonte à 2005, alors qu’elle est en vacances avec son mari Guillermo, dans cette région très pauvre et isolée de la République Dominicaine. Ils sont séduits par la beauté de cette colline qui tombe dans la baie d’Ocoa, située sur la côte sud, à mi-chemin entre la capitale Santo Domingo et la frontière d’Haïti.
Tous deux sont médecins en Californie, mais se voient bien changer de vie et créer un lieu de vacances, hôtel, restaurant, résidences où tout serait produit localement. Maria Claudia adore améliorer le sort des gens et pour Guillermo, ce serait une façon de contribuer au développement de son pays natal. Alors ils achètent un terrain, puis deux puis d’autres avec un associé et aujourd’hui la propriété d’Ocoa bay s’étend sur 70 hectares. C’étaient des terres vierges, sans route, sans eau, sans électricité.
Des vignes héritières des plants espagnols du XVIe siècle
Audace et esprit d’entreprise sont donc à l’ordre du jour quand, en explorant les alentours, ils repèrent dans des fermes, des pieds de vignes sauvages. C’est le déclic. Ces vignes, héritières des plants espagnols apportés en 1506 par le conquistador Fernando Cortés pour la production de vin de messe, ont traversé les siècles. « On décide alors de se lancer dans la création d’une propriété viticole » nous explique le couple.
Ce sera le premier vignoble – toujours l’unique des Caraïbes. Tous deux sont amateurs de vin et, lorsqu’ils vivaient en Californie, ont « beaucoup visité la Nappa Valley » nous explique avec un sourire Maria Claudia. Mais cela ne suffisait pas. « Nous avons voyagé en Europe, en Afrique du sud pour comprendre, voir ce qui se faisait, prendre conseil. J’ai aussi suivi une formation à Bordeaux. »
Parallèlement il a fallu défricher et viabiliser le terrain « un peu sablonneux, pas excellent, mais tout à fait correct » admet notre viticultrice. « Bien sûr, au départ, tout le monde nous traitait de fous, mais nous on se disait que si Christophe Colomb et les conquistadores avaient réussi on pouvait le faire nous aussi… » poursuit-elle et son regard s’emplit de malice.
Ocoa bay, au-delà du vin
Le couple, soucieux de préserver cette terre vierge de toute pollution se lance dans la création d’un vignoble 100% naturel et totalement intégré dans la région. « On n’utilise aucun pesticide, on ne manipule pas nos vins. C’est de la grappe à la bouteille ! » assure notre hôtesse.
« Et surtout notre projet devait être accepté par les gens du coin. Il devait les aider à développer leur propre terre, leur donner du travail, faire que cet endroit sorte de la pauvreté. » Ocoa bay a permis la construction de routes, d’un réseau de télécommunication et favorisé la scolarisation des enfants.
Du blanc, du rouge, du rosé, un restaurant… Et bientôt un hôtel
Aujourd’hui, neuf hectares sont plantés depuis dix ans de Tempranillo pour le rouge « avec lequel on a le plus de difficultés. C’est dur de faire un vin rouge biologique sous les tropiques » admet Maria Claudia. Côté blanc, un Colombard très agréable à boire, plutôt fruité et d’une jolie couleur légèrement ambrée. Le Muscat assure une petite production de rosé.
Les ceps sont soumis à rude épreuve car, sous ces latitudes, il y a deux récoltes par an, en janvier et en juin-juillet soit au total 20000 bouteilles. Dont une grande partie est consommée ou achetée sur place.
Les Mallarino ont en effet créé un restaurant agrémenté d’une jolie piscine à débordement qui surplombe la baie d’Ocoa. Un petit spot paradisiaque… On y propose une cuisine simple faite à base de produits biologiques locaux cultivés ou élevés soit sur la propriété soit dans les villages alentours. Ainsi, il y a un petit troupeau de chèvres qui fournit fromage et viande, des arbres fruitiers -passion, mangue, figue, banane- et un potager où s’épanouissent nombre de variétés de légumes.
Mais le projet du couple ne s’arrête pas là. Certes, la pandémie a donné un coup de frein brutal au développement d’Ocoa bay, mais les cartons ne sont pas refermés : « nous allons créer un hôtel de 70 chambres et envisageons un lotissement de maisons intégrées dans la végétation à la vente » nous explique l’ancienne cancérologue reconvertie en PDG d’une propriété viticole conforme aux nouvelles aspirations de consommation.
Et quand on parcourt ces vignes bordées de haies colorées de bougainvilliers on se dit que cet étonnant vignoble adossé aux flancs sud de l’île d’Hispaniola est déjà une jolie réussite.
P-M.C