Bateau
Beau livre : le paquebot Normandie par Jean Moral aux éditions Louis Vuitton
31 MARS . 2021
Il était le chef-d’œuvre du savoir-faire scientifique, technique et artistique de la France. Mieux, il était le cri du coq français sur l’échiquier des puissances internationales. Champion de tous les records de l’époque, palais de luxe à la française, monstre de goût raffiné et rêve futuriste d’un Paris-New York toutes voiles dehors, le paquebot Normandie, né en 1932, revit à travers le photographe Jean Moral (1906-1999), entre les pages du bel album qui vient de lui être consacré par les éditions Louis Vuitton.
« La conception hardie de Normandie, navire délibérément moderne, sa construction et sa mise au point parfaites font de ce paquebot un chef-d’œuvre de la science, de la technique et de l’art français. »
Le Normandie, chef-d’oeuvre des industries françaises
Fermez les yeux. La première traversée a lieu du 29 mai au 19 juin 1935. « Partons pour New York… Par la porte ouverte dans son flanc, nous pénétrons dans le navire et nous nous trouvons dans un palais », annonce la brochure de l’époque. Palais, indeed. Salle à manger monumentale (8,50 mètres de hauteur !) aux verreries lumineuses signées Lalique, fumoir aux parois recouvertes de panneaux en laque de Coromandel par Dunand, night-club, bars -publics, privés- feuille d’or, larges baies ouvrant sur l’océan. Piscine -la galerie est en céramique de la manufacture de Sèvres- tennis, stand de tir, mécanothérapie. Jardin d’hiver aux mille essences, serre vitrée, volières -avec oiseaux- et fontaines.
Les cabines ? De véritables appartements de luxe, faisant appel à tous les grands noms de l’artisanat et de la décoration. Sue ou Leleu décorent chambres, salons, salles à manger particulières, selon plusieurs thèmes décoratifs différents -pour que rien ne soit ennuyeux. Rien ne manque à l’excellence française, pas même notre Babar par Jean de Brunhoff devenu national dans la salle à manger des enfants. Le Normandie est un monstre de raffinement, un mugissement nationaliste, un projet démesuré. Pour toujours, il symbolisera notre excellence.
Une excellence qui n’est pas seulement artistique ! Car le Normandie, c’est aussi, à l’époque, le record mondial de la vitesse moyenne annuelle des traversées de l’Atlantique Nord, mais aussi le record du ruban bleu, le record de la meilleure traversée est-ouest, le record du plus grand nombre de milles parcourus dans la journée, le record de la meilleure moyenne journalière… De quoi afficher plusieurs médailles, pour ce paquebot à la capacité de 1715 passagers, répartis dans trois classes différentes (cabine, touriste et 3e classe), ainsi que 1347 membres de l’équipage.
« Le plus grand navire du monde est français » : l’enjeu international pour la France
Pourtant, derrière la fanfare et la fierté nationale, que de tourments pour enfin en arriver là ! Entre temps, la Première Guerre Mondiale a mis la France à genoux. La crise de 1929, quant à elle, a ralenti les préparatifs par manque de financements. Les grèves de 1931 sur les chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire freinent la construction. Jusqu’au jour du départ inaugural, lorsqu’une avarie électrique le retarde encore ! La Compagnie générale transatlantique aura donc surmonté bien des obstacles… Pourtant, le Normandie émerge des eaux et frappe les imaginaires à tout jamais.
C’est un projet démesuré, à la hauteur toutefois des enjeux que représente à l’époque le voyage transatlantique, avant l’aviation civile : l’un des pôles majeurs de la rivalité entre grandes nations occidentales. Le Normandie porte donc tous les espoirs d’excellence de la nation. La technique est vieille comme le monde : en temps de faiblesse, impressionnez. C’est bien ce que compte faire le gouvernement français en soutenant le projet. La France, à genoux après les crises et la guerre ? Non, la France audacieuse, innovant dans tous les domaines. Y compris techniquement. Le navire est le paquebot le plus imposant de son temps : 313,75 mètres de long pour 35,90 mètres de large. « Le plus grand navire du monde est français ! » s’écrie la presse. Ses lignes élégantes servent également à limiter les remous sur son passage. Il fait l’objet des premières avancées en matière de sécurité, notamment contre l’incendie, et en combinant les mesures sans choisir l’un ou l’autre des systèmes de protection.
La presse des années 1930 est fascinée par l’arrivée dans le paysage du nouveau paquebot. Les meilleurs photographes comme les plus grandes plumes sont invités à en faire la promotion, l’enjeu étant national, industriel et esthétique. Jean Moral prend les premières photographies du Normandie pendant l’hiver 1934-35 pour le Harper’s Bazaar. Jeune reporter à la mode, il immortalise le navire par une touche libre et insouciante : celle de la France d’entre-deux-guerres, inventive, créative.
Il y embarquera à nouveau en 1939, cette fois-ci dans un contexte international de plus en plus tendu et pensant, pour un reportage financé par la Compagnie générale transatlantique à destination du nouveau Match. La légèreté de 1935 est bien loin ! Le reportage est méthodiquement réalisé dans toutes les zones du navire, l’équipage est photographié, y compris les petites mains. Toutes les activités proposées aux passagers, jusqu’au ping-pong, sont documentées. Les planches-contact du photographe racontent aussi sa fascination pour l’architecture navale…
Mais qui est Jean Moral, gamin du Nord arrivé à Paris en 1925 ? Dessinateur de publicité, photographe amateur publié dès les années 30, notamment dans VU, il devient photographe professionnel en 1933, avec ses premiers tirages pour le Harper’s Bazaar. Il sera, avec d’autres grands noms, le photographe de la mode parisienne, l’illustrateur de l’effervescence des années avant et après-guerre, de l’élégance merveilleuse et joyeuse à la française…
A Cannes, réfugié pendant la Seconde Guerre Mondiale, il rencontre Francis Picabia qui l’encourage à reprendre le dessin. Jean Moral arrête tout en 1954, décidé à vivre de ses pinceaux. Il déménage en Suisse en 1961 et se coupe du monde, parvenant à vivre de son art jusqu’à sa mort en 1999. Il nous aura légué, entre autres, ces clichés, ceux d’une France en plein renouveau à tous les niveaux, d’une France à la conquête de sa place internationale grâce, notamment, à ses alliés de toujours : les arts. Le regard du photographe sonne comme un rappel.
E.C
Louis Vuitton Fashion Eye : Normandie, 96 p. 50 €
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