Gastronomie
Belloya, un armagnac familial dans le Gers
Les retrouvailles de la famille Janneau
18 MARS . 2021
En inaugurant Belloya, une nouvelle gamme de cinq armagnacs en hommage à son arrière-arrière-grand-mère, Michel Janneau se fait un très grand plaisir. Celui de partager une nouvelle tranche de vie avec ses trois fils, Laurent, Pierre et Alexandre. Ou quand la fortune sourit aux audacieux. Récit.
Snob, l’armagnac ? Oui, mais dans le bon sens du terme. Tout comme l’homme affable qui me reçoit, avec une infinie délicatesse, autour d’une coupe de champagne, dans les salons du Hyatt Madeleine, son nouveau QG. « L’eau de vie la plus ancienne de France est rare, c’est ce qui la rend si exclusive et par là même si désirable », commente Michel Janneau.
Les secrets de l’armagnac
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, une « mini leçon » d’histoire s’impose. On raconte que le nom d’armagnac viendrait du chevalier Herman, un compagnon de Clovis, héritier d’un fief en 410, appelé à devenir le premier duché de Gascogne. L’eau de vie, quant à elle, date du Moyen-Âge. Appelée « aygue ardente », elle était utilisée pour ses vertus thérapeutiques. Elle conservait la jeunesse et retardait la sénilité… Ce n’est qu’en 1909 qu’elle est reconnue grâce à un décret délimitant l’aire d’appellation en trois régions que sont le Haut-Armagnac, le Ténarèze et le Bas-Armagnac. En 1936, l’Armagnac passe en Appellation d’Origine Contrôlée.
Terminons la leçon avec les secrets de fabrication de cette eau de vie de vin blanc. En quoi l’armagnac se distingue-t-il de son voisin, le cognac ? On vous le disait il y a peu de temps, mais pour les retardataires, si dix cépages sont reconnus pour l’élaboration de l’armagnac, quatre (folle blanche, ugni blanc, colombard et baco) sont plus communément utilisés alors qu’à Cognac, l’ugni blanc représente plus de 95% du vignoble cognaçais.
« Le cognac, c’est un autre terroir, un autre type de distillation, celui de la double distillation, qui fait appel à différents alambics en cuivre charentais, dits « à repasse », pour extraire le cœur du distillat. La méthode la plus répandue, pour l’armagnac, est la distillation continue. Elle se pratique au moyen d’un alambic à colonne, également appelé Armagnaçais. Aujourd’hui, la double distillation est autorisée dans la fabrication des grands armagnacs. Enfin, le bois. L’élevage de l’armagnac s’effectue essentiellement en fût de chêne pédonculé du Limousin et de Monlezun dans le Gers. À Cognac, deux types de chêne français sont utilisés, le pédonculé mais aussi le chêne rouvre, du Limousin et de la forêt de Tronçais (Allier). »
Michel Janneau, l’Armagnac et le Gers dans le sang
Michel Janneau est ici en terrain connu. L’Armagnac a largement occupé la première partie de sa vie. Et pour cause : né dans les Landes à Soustons, il passe son enfance dans le Gers à Condom. Son père est alors à la tête de l’une des plus anciennes grandes maisons d’armagnac, fondée en 1851 par Pierre-Étienne Janneau.
Pierre Janneau, représentant de la 4e génération, appelle son fils Michel, docteur en sciences économiques de la Sorbonne, à la barre en 1972 pour gérer toute la partie distribution. Entre temps, l’entreprise a été revendue aux cognacs Martell. Elle sera aspirée par le groupe Seagram dix ans plus tard(2). « Mon père avait aussi à l’époque des velléités de viticulteur. Il avait acquis un beau domaine en Bas-Armagnac, terroir d’eaux-de-vie fines, subtiles, intelligentes… Le domaine de Mouchac, dont nous finirons par nous séparer, reste mon grand regret. »
Des champagnes Roederer à l’Armagnac
Michel Janneau se lie alors d’amitié avec Philippe Michel, l’un des fondateurs de l’agence CLM BBDO. Il devient consultant. La rencontre avec le propriétaire de Louis Roederer sera décisive. Amoureux de Cristal, la cuvée emblématique des champagnes Roederer, il va alors développer la communication de la maison, fondée en 1776, dont il rejoindra la direction générale en 1991.
En 2003, Jean-Claude Rouzaud, son PDG, lui confie la mission de trouver « un beau mécénat ». La riche collection (plus de 5 millions) de photos endormies dans les sous-sols de la bibliothèque nationale de la rue de Richelieu passionnera Michel Janneau et formera le premier étage d’une fondation créée en 2011 qui ne cesse d’élargir son portefeuille de mécénats et dont il conserve à ce jour le poste de secrétaire général.
« Et si l’on revenait en Armagnac ? », lui avaient soufflé il y a deux ans ses trois fils, touchant du doigt sa corde sensible. Pour ce nostalgique landais, qui est loin d’être à court d’idées, s’embarquer dans cette aventure vient à point nommé. Il faut maintenant rattraper le temps perdu. Michel s’engouffre dans cette brèche « romantique » et se rapproche d’une famille de Gascogne fort ancienne qui possède des collections remarquables de bas-armagnacs dans lesquelles il est « invité à puiser son inspiration ».
Belloya, un hommage familial pour un Armagnac gersois
Assembler, donner un style à une nouvelle gamme, Michel s’en donne à cœur joie. Le nom de son armagnac ? Ce sera Belloya, en hommage à son arrière-arrière-grand-mère, une femme amoureuse de cette eau de vie. « Il est bon d’être heureux pour réussir un armagnac comme Belloya réussissait le légendaire bouquet de fleurs de la salle de dégustation. Il faut jouir sans retenue du plaisir qui baigne notre conviction d’être nous-mêmes. À la place et au moment dont nous rêvions. » Ces mots, signés Michel, Laurent, Pierre et Alexandre, apparaissent sur le verso de l’étiquette en forme de ruban – une idée de Pierre – qui s’enroule autour des bouteilles d’armagnac Belloya. Comme un écho aux billets d’humeur(1)que l’ex-directeur général adjoint de La Maison Louis Roederer, grisé par l’écriture depuis sa plus tendre enfance, a commencé de distiller sur son compte instagram et que l’on dépapillote comme des bonbons.
Cinq armagnacs (L’éloquent, le 15 ans, le 25 ans, le 40 ans et L’érudit) constituent cette collection. « Assembler une famille d’eaux de vie est un pari magnifique ! », nous confie Michel. L’éloquent, le premier, est un jeune armagnac, pas plus de 6 ans d’âge au compteur. « Un armagnac qui fait pétiller la conversation, expressif, bavard ; le 15 ans est un adolescent surdoué qui joue une performance de charme… pour son âge. Le 25 ans, un poète de la terre – Michel Janneau ne cache pas que c’est son préféré ; quant aux 40 ans et à L’érudit, comme la plupart des Gascons âgés, ils supportent une maturité triomphante avec grand talent. L’idée, c’est l’élégance, précise-t-il encore. Il faut baisser les degrés d’alcool, rendre ces armagnacs plus chatoyants pour qu’ils viennent doucement roucouler en bouche, déposer leurs tannins et leurs arômes, dans une finale tout en longueur… » Michel Janneau est intarissable.
La commercialisation de la gamme Belloya débutera au printemps (l’occasion d’une mise à jour de cet article avec toutes les informations nécessaires, ndlr) Si Michel Janneau en est la figure de proue, Laurent en assurera le marketing, Pierre la direction artistique et Alexandre la stratégie. Qu’on se le dise, la famille Janneau est revenue sur ses terres, en Armagnac. Un pour tous, tous pour un !
C.K
(1) Un recueil de ses billets d’humeur, intitulé, à juste titre, Confettis, est prévu fin mars.
(2) Aujourd’hui, la Maison Janneau, toujours en activité, poursuit son chemin entre les mains du propriétaire de deux grandes marques de calvados.