Portraits d’artisans : Amandine Bravo, jeune, relieure et entrepreneure

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05MARS. 2021

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Portraits d’artisans : Amandine Bravo, jeune, relieure et entrepreneure

05 MARS . 2021

Écrit par Lisa Millet

Photographies par Amandine Bravo

Il y a quelque temps, Amandine Bravo nous a ouvert les portes de son atelier et de son univers pour nous faire découvrir son métier de relieure. On est revenus sur son parcours, celui d’un artisan d’art bien ancré dans son temps, qui a créé sa propre entreprise de reliure en 2018, à seulement vingt-deux ans, alors que rien ne l’y prédestinait. Alors, la reliure, comment ça marche ? Et le métier ? Rencontre avec la relève de l’artisanat.

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La reliure est apparue au Ier siècle pour créer l’objet-livre tel que nous le connaissons. Pour la première fois, on assemble des feuilles pliées pour former des cahiers, qui sont ensuite reliés. Auparavant, les livres étaient présentés en rouleau. Pour Amandine Bravo, relieure, son métier conserve et participe à notre patrimoine et plus largement notre culture. Ils sont le maillon d’une chaîne au service du livre et des mots. Certains livres ne devraient plus être là et pourtant, ils ont survécu grâce aux relieurs dont le quotidien est fait de livres uniques. 

 

Conte moderne : d’un CAP coiffure à la reliure

En classe de seconde, manuelle et créative, Amandine s’inscrit en CAP coiffure, s’imaginant travailler dans les milieux culturels du théâtre ou du cinéma. Mais en deuxième année, elle ne se retrouve plus dans ce choix : ses parents s’opposent à l’abandon de filière.

Qu’à cela ne tienne, elle qui n’avait jamais été une très grande lectrice passe alors la fin de son CAP à dévorer des livres. L’idée vient de sa mère : pourquoi pas quelque chose dans les livres ? La suite, comme toujours, tient de ces heureux hasards qui font des signes au destin : on découvre par hasard un article de journal relatant l’histoire du Conservatoire d’Arles (fermé depuis), dédié à la protection, restauration et conservation de livres de toutes sortes, parfois même sollicité en urgence pour préserver des bibliothèques entières.

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Amandine rencontre les relieurs du conservatoire, la magie opère. Elle est au bon endroit, au bon moment : elle sera relieur. Dès lors, elle n’a jamais plus pu s’envisager autrement. La voilà lancée, à dix-sept ans, dans deux années de CAP Art de reliure en Normandie, puis dans un BMA (Brevet des Métiers d’Art) de deux ans.

 

Entreprendre …dans la reliure

C’est un fait : de nombreux métiers d’art recrutent. Les savoir-faire tels que la reliure sont monnaie rare, de nos jours. Artisan, métier d’avenir ? On a envie d’y croire. A la sortie de l’école, Amandine est embauchée dans un atelier reliant exclusivement les états civils. Mais très vite, elle s’ennuie. Un an plus tard, un ancien professeur lui propose de partager son atelier, l’encourageant à créer son entreprise. Elle saute le pas et crée son entreprise de reliure : Amandine Bravo. Bravo, du nom de son beau-père et père adoptif, qui l’a toujours soutenue. En hommage, elle souhaite que son nom d’artisan d’art soit le sien.

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Les mors sont les angles qu’on aperçoit à l’ouverture de la couverture.

Mars 2020, en plein confinement. Ses proches manquant à Amandine, la vie est différente, les priorités changent : elle décide de revenir dans son Sud natal. Elle trouve un local dans l’Hérault et, pour financer des machines indispensables, lance sa campagne de crowdfunding en Octobre dernier. 

Pour un relieur, trois machines sont nécessaires. La presse à percussion pour serrer les ouvrages. La cisaille pour couper du papier ou du carton. L’étau à endosser pour les mors. Les mors sont les angles qu’on aperçoit lorsqu’on ouvre la couverture. Ils font l’articulation dans l’ouverture, ne sont pas obligatoires mais assurent la longévité du livre. Certaines machines combinent les trois : ce sont souvent celles-ci que l’on s’offre pour commencer dans le métier. 

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L’étau à endosser acquis par Amandine pour son atelier, grâce à sa campagne de crowdfunding.

C’est l’achat d’un étau à endosser qui fut l’objectif de la campagne de crowdfunding d’Amandine. Les machines de reliure en bon état sont bien souvent considérées comme des objets de collection par les vendeurs, qui oublient que ce sont avant tout des outils de travail, d’où des prix souvent élevés. Celle d’Amandine coûtait par exemple 1100€. Pour elle, cette campagne fut une réelle surprise : “certaines personnes que je ne connaissais que de loin m’ont donné des sommes auxquelles je ne m’attendais pas. J’ai ressenti un réel amour pour mon travail et pour moi”.  

 

Être jeune et relieur

Dans le temps, comme beaucoup de métiers artisanaux, la reliure était un métier d’hommes. Les femmes aidaient à la couture des livres mais n’étaient pas considérées comme artisanes. Preuve en est, si le métier est celui de relieur, relieuse est le nom de la machine qui permet de presser, d’endosser et d’offrir un fût à rogner qui comme son nom l’indique rogne les livres ! Aussi, certaines femmes souhaitent être qualifiées de relieuses, d’autres de relieures. Comme dans beaucoup de métiers, la féminisation du nom fait encore débat.

Amandine confirme : “Aujourd’hui être une jeune femme en reliure peut parfois être compliqué. J’ai régulièrement droit à des remarques sexistes sur mon physique, sur le fait que je ne suis pas capable de réaliser certaines tâches nécessaires, comme de porter de lourds cartons de livres…”. Évidemment, pendant ses études, elle a appris à avoir les bons gestes, à se muscler pour utiliser les outils, le premier outil de travail d’un artisan restant son corps.

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La cisaille.

Selon elle, “on donne peu de chances à la jeunesse. Lorsque j’ai commencé mon CAP on m’a dépeint un futur assez gris : mes camarades et moi ne trouverions pas ou peu de travail.” La condition était donc de devenir son propre patron. Mais là encore, si Amandine a eu la chance de recroiser son ancien professeur et de bénéficier de son expertise, la formation sur le terrain pendant les études peut souvent être insuffisante pour donner confiance aux jeunes relieurs. Elle déplore également le manque de visibilité de la jeunesse – ce sont en effet souvent les mêmes noms qui reviennent – concluant “on s’étonne qu’il y ait de moins en moins de jeunes pour prendre la relève…

Pourtant, sa jeunesse est aussi son atout et aujourd’hui Amandine exerce son art comme elle l’entend : faire rayonner le métier de relieur en le vulgarisant, pour qu’à terme chacun puisse se dire “j’en ai envie et je peux y accéder”.

 

Les quatre métiers du relieur

Mais alors, en quoi consiste exactement le métier de relieur, ce métier d’avenir (si, si) ?  Amandine nous explique qu’en reliure il y a à son sens quatre grands types de travaux. D’abord, la restauration, qui « peut aller d’une simple lacune ou déchirure sur une feuille à un nettoyage -de moisissures, de poussière, de dégât des eaux, une greffe de cuir sur le livre, ou refaire le livre dans son intégralité, mais sans que cela ne se voie. »

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Les petits trésors de l’atelier du relieur…

Ensuite, les registres d’état civils et communaux. En effet, depuis 2010, les mairies ont pour obligation de relier les états civils, et de nombreux ateliers indépendants et petites manufactures de reliure sont aujourd’hui spécialisés dans cette activité, qui a l’avantage d’être un modèle économique viable et prospère. Puis vient la reliure traditionnelle, qui consiste à « défaire les anciennes reliures et créer un nouvel ouvrage, avec une nouvelle couture ». Enfin, la reliure d’art, considérée comme la plus prestigieuse, et dans laquelle le relieur a la plus grande latitude, peut être force de propositions, tant dans le choix des matériaux que la réalisation. 

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Un presse-reliure, autre machine indispensable au relieur.

Cela fait partie du challenge de l’artisan que de proposer une œuvre en cohérence avec le budget. Une reliure pleine ou pleine peau (comprendre tout cuir), une demi-reliure ou demi-peau, seul le dos et parfois les coins recouverts de cuir, les plats habillés de papier… Tout cela n’est pas évalué au même prix. On peut y ajouter des décors ou des tranchefiles (cette étape étant souvent synonyme de luxe). Les tranchefiles sont les deux bourrelets, le plus souvent brodés, placés au dos d’un livre (c’est l’étape préférée d’Amandine). Mais la beauté d’un livre ne se mesure pas uniquement au luxe de ses matériaux de couverture ou de ses décors. L’habileté technique du relieur joue un rôle très important. 

Pour Amandine c’est bien la technique qui offre la plus grande créativité à l’artisan, jusqu’à des créations de A à Z : du design pur. « Je co-crée en discutant avec le propriétaire du livre. Mais bien sûr, s’il me laisse carte blanche, je suis pour… Je prends énormément de plaisir à la reliure d’art. J’aime créer des décors, imaginer et concevoir grâce à différentes techniques. Chaque objet d’art ou reliure d’art peut être un défi, par une certaine complexité autant dans la demande que la réalisation. La recherche a autant d’importance que la création ». Oui, la recherche, une étape non négligeable du métier. Elle nécessite parfois qu’Amandine se (re)plonge dans l’ouvrage, dans l’histoire de l’auteur et du récit, le thème du livre (voire même de le lire). Bien entendu, Amandine ne se permet pas d’user le livre de son propriétaire. Elle investit dans le format poche !

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De véritables oeuvres d’art, vivantes

Bien que ses compétences permettent à Amandine d’œuvrer sur des chartes datant de 1500, elle a un goût prononcé pour la modernité. Elle conserve toutefois un esprit ouvert et n’est pas à l’abri de surprises : il lui a un jour été présentée une requête spéciale, rendre le livre très discret. Après avoir feuilleté l’ouvrage, Amandine a rapidement saisi le besoin de masquer le contenu d’un livre qui renfermait uniquement des gravures de pénis. 

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Le dodécaèdre se déroule et s’enroule à nouveau pour être lu.

Une œuvre l’ayant particulièrement marquée ? « Je garde un très bon souvenir de la réalisation d’un dodécaèdre. Ce dodécaèdre s’ouvre comme un serpent, rappelant des références à la boîte de Pandore, et avec, comme poème à l’intérieur, Au printemps, c’est l’aurore de Sei shōnagon… ». Elle ajoute cependant « chaque reliure a son souvenir. Un autre très important est la reliure de mon diplôme, dont l’une des techniques de décor était la broderie ».

Dans le discours d’Amandine, passion, technicité et intimité avec l’ouvrage s’entremêlent. “Je vois mon métier d’une façon très sentimentale et émotionnelle. Mon métier est de décortiquer le squelette du livre pour le rendre vivant.” Pour elle comme pour beaucoup de ses confrères, il n’y a d’ailleurs pas de bon ou de mauvais livre. “On m’a confié les discours de mariage d’une famille entière qui avaient plus de valeur pour moi qu’un livre à 10 000 €” me confie-t-elle. La valeur monétaire des livres ne l’intéresse pas. Plus encore, elle ne souhaite surtout pas la connaître ! La tradition, chez les relieurs, voudrait que connaître la valeur d’un ouvrage porterait malheur : le relieur en deviendrait trop précautionneux, retenant ses gestes, quand force et délicatesse sont souvent nécessaires.  

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Être relieur, ce n’est pas seulement travailler les livres…

Quand on échange avec Amandine Bravo, on se dit que, décidément, l’artisanat d’art a un bel avenir devant soi. C’est la jeunesse qui, impliquée dans la sensibilisation du métier, rend aux livres leur statut d’objet d’art plein d’émotions. Puisque comme Amandine l’explique si bien, l’appréciation d’un livre n’est pas dans sa valeur monétaire mais plutôt dans sa valeur sentimentale… Nous, on ne peut que vous encourager à faire confiance aux artisans pour conserver vos souvenirs.

L.M


Bonus : Revendications pour les métiers d’Art

Après son Brevet des Métiers d’Art, Amandine aurait pu continuer ses études. Une seule option s’offrait à elle, poursuivre avec un DMA (Diplôme des Métiers d’Art) à l’école Estienne à Paris. Ce diplôme est très reconnu dans la reliure. Il apporte une distinction supérieure au BMA. Néanmoins, il comprend une problématique significative pour Amandine. Le gouvernement avait réformé le cursus Reliure à Estienne pour y réduire le nombre d’heures d’apprentissage. Véritable enjeu pour la conservation des savoir-faire, l’évolution aux côtés d’un professionnel est nécessaire pour les étudiants. Pourtant, de nombreuses formations voient leur nombre d’heures de pratique réduire. Il s’agit notamment d’un débat actuel au sein de l’Ecole Boulle, emblème de l’artisanat d’art. Une pétition est actuellement en cours


Bonus : les bonnes adresses d’Amandine dans le Sud

Un restaurant ? « Le Flamant Rose, un restaurant familial qui donne envie de tout goûter ».
Le Flamant Rose,
Route Départementale 37
13123 Albaron, Arles

Un musée ? « La Fondation Van Gogh à Arles, évidemment ! »
Fondation Van Gogh,
35 Rue du Dr Fanton,

13200 Arles

Une librairie ? « Actes Sud, Arles. Un cinéma, un hammam, un libraire au même endroit. »
Librairie Actes Sud,

47 Rue du Dr Fanton,
13200 Arles

Un artisan ?
Deux, même !” Léon, écailliste
5 Rue du Palais
13200,  Arles 

Matéo Crémadès dans l’Aveyron, sculpteur sur Parchemin,
Espace Lapérouse,
12800 Sauveterre-de-Rouergue

Un lieu ?La pinède dans les Alpilles


5 place aux fruits
34600 Bedarieux
Tel. 09.77.58.30.22
Instagram @amandine.bravo
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