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Luigi Colani, l’inventeur du bio design
01 AVRIL . 2021
Le designer industriel allemand Luigi Colani était de ces inventeurs créatifs et inspirants. Au Japon, on l'a même surnommé "le Léonard de Vinci du design industriel". Petite histoire d'un génie oublié, l'inventeur du bio design.
« Mon monde est rond ». Luigi Colani n’aimait pas les coins et les arêtes. Le bio design, c’est lui qui l’a inventé : « La nature crée des formes parfaites », arguait-t-il. « La ligne droite n’existe pas dans la nature », c’est le credo du bio design qui emploie un vocabulaire inspiré des formes organiques.
Né Lutz Colani à Berlin en 1928 – il ne prend le nom de Luigi qu’en 1957 – il nous a quitté sans fanfare en septembre 2019. Cet Allemand, grand gaillard à la tignasse désordonnée, la moustache en fer à cheval et la tenue tout de blanc a vécu en France puis en Suisse. D’origine italienne par son père et polonaise par sa mère, cet idéaliste fut pour le design industriel du XXe siècle une véritable bouffée d’air frais grâce à son approche audacieuse.
« Je ne suis pas un designer »
Provocation ? Assurément. La presse allemande décrivait Luigi Colani comme un phénomène de foire, une grande gueule, un enfant terrible, tantôt charlatan ou visionnaire. Les oeuvres de Colani n’ont jamais fait dans la subtilité et il se décrivait lui-même comme un « terroriste du design« . Indépendamment de son travail, il a -au moins- eu le mérite, en Allemagne, de faire entrer le mot design dans le langage courant.
Luigi Colani apprend le métier de manière très académique : il commence par des études de peinture et de sculpture à l’Université des Arts de Berlin. Il s’installe ensuite à Paris où l’on retrouve occasionnellement ses illustrations dans le magazine L’automobile.
Remarqué par Michel Gauthier, alors responsable du département course de Simca, il réalisa en 1953 – en parallèle de la Corvette américaine – la première voiture européenne en plastique, la Simca Coupé. Colani considérait déjà ses carrosseries comme des sculptures.
L’aérodynamique, une notion centrale pour Luigi Colani
Entre 1948 et 1952, il se perfectionnait en aérodynamique à la Sorbonne : c’est là que la courbe prend une importance primordiale dans son œuvre. L’arrête vive disparaît à tout jamais pour une certaine douceur conçue pour que l’air y glisse efficacement.
En 1954, Luigi Colani retourne en Allemagne, où il travaille pour de petits carrossiers. Pendant cette période il conçoit aussi son auto de sport, la Colani GT Spyder (1960), le seul de ses modèles à avoir été produit en quantité significative : environ 150, conçus pour être montés comme des kit-car sur un châssis Volkswagen. C’est le début d’une longue et fructueuse série de modèles expérimentaux.
Le bio design de Luigi Colani, par amour du rond
Son enthousiasme pour les véhicules et les avions de toutes sortes – qui perdurera tout au long de sa carrière – allait devenir un élément central de son travail de conception. Toutes ses créations se rejoignent autour d’une certaine cohérence : des formes inspirées de la nature. Une démarche presque romantique…
Colani rendra toujours hommage au rond, à l’aérodynamique, à l’ovoïde, donnant une expression puissante à sa philosophie centrale, tout en se moquant de ses confrères designers, notamment américains « Les lignes droites n’ont pas le droit d’exister » disais-il, « Cette Terre est ronde. Tous les corps célestes sont rond, ils se déplacent tous en cercles ou en orbites elliptiques. Pourquoi devrais-je rejoindre la masse qui veut tout faire anguleux ? »
Ainsi en 1969 il créé le satellite de cuisine. Il pousse l’ergonomie de la petite cuisine en tant que pièce à l’extrême: son module se déconnecte de la maison comme un monde à part. L’idée est de tout avoir à portée de main et c’est sans doute l’un des témoignages les plus remarquables de l’amour de Luigi Colani pour les formes arrondies. « Nous sommes même excités par des formes rondes dans l’érotisme lié à la propagation des espèces. Je vais poursuivre la philosophie de Galilée Galilée: mon monde est aussi rond. » Un véritable culte, en somme.
L’automobile et le bio design
Dès 1970 Luigi Colani transforme une Lamborghini Miura, considérée comme la première supercar de l’histoire. Colani scie une Miura en deux, jette l’avant à la poubelle et conserve l’arrière avec son merveilleux V12 de 3.9 litres, la suspension et la boîte de vitesses de la voiture d’origine. Quant à l’avant ? Tout en fibre de verre, ressemblant à un planeur.
En 1974, comble de la provoc’, le designer retouche l’œuvre de Léonardo Fioraventi pour Pininfarina, la mythique Ferrari Daytona. Si la recherche aérodynamique est réelle, le travail effectué se montre plus discutable du point de vue stylistique…
On se souvient de l’étrange camion Truck 2001 de Colani, construit en 1977 sur un châssis Mercedes, dévoilé au Salon de Genève. La réduction de la prise au vent est au centre du projet. À l’époque, on en rit, mais très vite, l’industrie du poids lourd tiendra compte de cette contrainte.
Il y aura aussi le prototype Ford GT 80 de 1978. Deux ans plus tard, sur cette base, Colani crée un prototype sportif pour la fameuse course d’endurance des 24 Heures du Mans.
Mais Jean Rondeau (constructeur et vainqueur des 24 Heures du Mans 1980), à qui le projet a été proposé, estime l’idée trop audacieuse. Alors, Colani la transforme en BMW M2, remplaçante éventuelle de la supercar M1 de Giugiaro. Encore un projet resté sans suite…
La tendance du bio design dans l’automobile peut aujourd’hui sembler ringarde, avec ses excès des années 90. Elle avait pourtant été érigée en véritable dogme pendant la décennie 80. Le style automobile donnera raison au designer : la Mazda 121, la Ford Taurus américaine, la Toyota Celica ou la Jaguar XK8 seront directement issues des longues recherches de Luigi Colani.
Luigi Colani, designer au service du Japon
En 1982, Colani quitte son château et son pays. Les Japonais l’accueillent à bras ouverts. Il leur dispense la bonne parole. Colani s’intéresse au design dans sa globalité et étend ses champs de compétence au mobilier, aux objets, aux vêtements ou même à l’architecture. Il décline son approche bio design et n’hésite pas à proposer ses services aux quatre coins du monde.
Certaines de ses œuvres sont commercialisées par les plus grandes marques : Sony, Canon, Yamaha, Nec… En quelques années, il est devenu le designer européen le plus demandé au Japon. On notera le grand succès du Canon serie T, le premier appareil photo doté d’un grip ergonomique.
Luigi Colani continuera de dénoncer « l’impérialisme américain et sa démesure vulgaire, le manque d’audace de la veille Europe, et l’aberration de vouloir intégrer des objets cubiques dans un monde aux formes molles » A cette époque, il n’hésite pas à proposer ses services à la Russie, la Chine, l’Iran ou la Libye.
Par provocation et pour une cohérence jusqu’au-boutiste dans sa démarche, en 1989, Colani marque son grand retour en Occident pour louer le célèbre lac Salé de Bonneville, dans l’Utah. Chez ses ennemis de toujours, les Américains, il fait le show avec ses engins sculptés par le vent, du vélo aux autos en passant par une Ferrari Testarossa recarrossée atteignant les 350 km/h.
A.M | A la une : Le château Harkotten, de la région de Münster, en Westphalie, était pour Luigi Colani l’Atelier, lieu de résidence et de source d’inspiration.