A la rencontre de Stéphane Piquart,

Aventurier et sourceur de matières premières pour la parfumerie

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19MAI. 2021

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A la rencontre de Stéphane Piquart

Aventurier et sourceur de matières premières pour la parfumerie

19 MAI . 2021

Écrit par Alvina Ledru-Johansson

Stéphane Piquart est sourceur de matières premières. Pas celles qui se mangent, mais celles qui se sentent. Son métier ? Chercher, à travers le monde entier des senteurs insolites qu'il vend ensuite à l'industrie du parfum. Sa particularité ? Il piste les plus douces effluves de façon durable, éthique et respectueuse des hommes qu'il rencontre. Portrait d'un chasseur pas comme les autres.

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En Namibie, lors d’une mission de Stépane Piquart à la recherche de la myrrhe…

Stéphane Piquart, aux sources de l’aventure

La parole de Stéphane Piquart est rapide, sûre, posée. Il n’y a aucune hésitation dans sa voix lorsqu’il parle de son parcours, plutôt atypique pour une personne travaillant dans un milieu aussi élitiste que le parfum. Il n’a pas fait de grande école de parfumerie, n’a pas de proches dans la cosmétique. Il ne s’est jamais réveillé en se disant qu’il deviendrait un jour chasseur d’odeurs. Et pourtant, quand on l’écoute parler passionnément, on se dit qu’un tel engagement et une telle passion ne viennent pas de nulle part.

D’ailleurs, le voyage, la découverte, il a ça dans le sang. Né au Bénin dans les années 60, Stéphane Piquart aura forcément été impacté par sa généalogie : parmi ses aïeuls, Antoine de Saint-Exupéry. « Je ne sais pas si c’est vrai, sourit-il, mais c’est ma mère qui me disait ça. » Légende ou réalité, ce fait ne l’a pas laissé indifférent. D’ailleurs, Le Petit Prince a toujours fait partie de ses livres de chevet. Pas étonnant, lorsqu’on lui parle, de ressentir un profond respect de l’autre, de la curiosité et beaucoup d’humilité.

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Trois piliers qui sont aujourd’hui les valeurs sur lesquelles il s’appuie pour exercer sa profession. Son métier ? « C’est de rassembler deux cultures complètement différentes, pour qu’elles se comprennent« . D’un côté, il y a les tribus qu’il rencontre partout dans le monde, chez qui il découvre des senteurs typiques. De l’autre, le monde de la parfumerie à qui il vend ces fragrances. Deux mondes, deux réalités entre lesquelles il construit des ponts. S’il a toujours su qu’il voulait faire ce métier ? Absolument pas. Et pourtant, en l’écoutant nous raconter son parcours, les indices sont là, dès l’enfance.

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Le métier de sourceur amène à bien des aventures que Stéphane Piquart nous raconte avec joie !

 

Les métiers de la parfumerie en périphérie 

Les indices ? Oui, dès ses années collège, lorsque le week-end, pour gagner un peu d’argent, il travaillait dans la Vallée de Chevreuse pour couper des arbres chez un châtelain. « Il venait me voir et quand il voyait que j’avais les mains calleuses, il me faisait faire autre chose, commence Stéphane Piquart, étiqueter une gamme d’eaux de toilette qu’il avait créée : Les Châteaux de France. Il y avait le château de Chambord, d’Azay-le-Rideau… » 

Plus tard, à la sortie de son école de commerce, Stéphane Piquart participe avec sa femme à un grand prix des dirigeants commerciaux de France. Il remporte un prix sur les techniques de marketing. Le produit développé ? Un parfum. « C’est rigolo, comme quoi, c’était prémonitoire ! » s’amuse-t-il.

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Et pourtant, à cette époque, il travaille pour un grand groupe d’assurances. Loin des flacons, son métier consiste à faire du porte-à-porte, à réaliser des audits et proposer des services aux futurs clients. « Ce qui me plaisait le plus dans ce métier c’était le contact humain. Le fait que les gens nous dirigeaient vers leur famille, leurs amis. On ne travaillait que sur recommandation », se rappelle-t-il. Une école de la vie dont il a continué par la suite à appliquer les techniques et les valeurs : attention, respect -peu importe la hiérarchie- et connaissance du client. Mais après plusieurs années de carrière, il est temps pour Stéphane Piquart d’accepter la proposition d’un client…

 

 

La matière première, véritable sujet crucial dans la parfumerie

On lui propose d’embarquer avec lui dans une aventure « complètement folle » : celle de développer une filière transversale de vente d’autruches pour leur viande, leurs plumes, leur cuir, pour les cosmétiques… Il accepte le pari et prend la branche cosmétique et cuir. Son premier défi consiste à développer une ligne de protection solaire à base de graisse d’émeu dont se servent les Aborigènes australiens comme onguent. « Ils se mettent le pot de graisse sur le corps pour se protéger des rayonnements solaires mais aussi contre certains insectes« , explique Stéphane Piquart.

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Il se lance alors dans des études de marché, se rend sur place, et avec l’aide d’un ami australien, commercialise une ligne de crème solaire. Côté peaux, il fait la connaissance de Didier Duvauchelle, le directeur cuir d’Hermès qui lui apprend son métier de développeur de cuir, notamment concernant le bien-être animal, l’art de la tannerie, le respect et l’embellissement de la matière première… « J’ai énormément appris au contact d’Hermès et nous avons même fini par vendre nos cuirs à cette maison« , raconte Stéphane. Puis subitement, l’aventure s’arrête.

 

A la conquête du santal australien, point de départ du métier de sourceur

Coïncidence du calendrier, son ami australien Steve Biekbeck vient de faire l’acquisition d’une unité de distillation de santal, un bois cher aux Aborigènes. Il lui propose de se lancer dans l’aventure du parfum. Stéphane Piquart ne connait absolument rien à la parfumerie… mais dit « banco » et appelle le seul contact qu’il a dans le milieu : le comte de Bryas, le châtelain chez qui il avait travaillé. Ce dernier lui fait rencontrer de grands noms de la parfumerie, ce qui lui permet de mettre un pied d’emblée dans ce monde d’ordinaire très fermé. « J’ai compris que ça n’allait pas être si simple, mais que j’avais des portes ouvertes grâce à ces gens-là » admet Stéphane. A cette époque, il n’a qu’un seul produit à vendre auprès des parfumeurs : le santal.

« Le santal est emblématique de la parfumerie, contextualise Stéphane Piquart. Il y a énormément de parfums à base de cette matière première. Elle permet de fixer les autres matières. Quand on a un parfum à base de santal, on sait que le parfum va rester sur la peau et durer longtemps. » Méticuleux, sérieux, acharné, il se met au travail. En France, pour être sûr de viser les bonnes personnes, il fait des recherches dans les archives du parfum et liste toutes les marques qui ont utilisé ou utilisent encore le bois de santal dans leur composition. Conscient de l’importance de la flatterie, avant chaque rendez-vous, il passe chez Sephora s’asperger du parfum du client qu’il s’apprête à rencontrer. « Quand on est reçu en portant la dernière création du parfumeur qui se trouve en face de soi, on est forcément bien reçu ! » dit-il, le sourire aux lèvres. 

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Sa ténacité paie le jour où le scandale du santal indien éclate. Déforestation, meurtres commandités pour récupérer le bois de santal, plusieurs grands groupes de cosmétiques se tournent vers lui afin d’avoir un approvisionnement éthique en matière première.

 

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En Australie, il décide de s’immerger dans la culture du santal pour combler les lacunes dont il a parfaitement conscience. Il rencontre les Aborigènes, découvre leur façon de traiter le bois qui leur est si cher, comprend l’essence-même de cette matière première. C’est les contours de son métier de sourceur qui se dessinent. Malgré tous ses efforts, les débuts sont difficiles. Le santal jusque-là vénéré dans l’industrie du parfum, c’est le santal indien. Pendant deux ans, il prend rejet sur rejet.

Sa ténacité paie le jour où le scandale du santal indien éclate. Déforestation, meurtres commandités pour récupérer le bois de santal, plusieurs grands groupes de cosmétiques se tournent vers lui afin d’avoir un approvisionnement éthique en matière première. « On avait montré la voie avec ce santal australien, explique Stéphane Piquart. A chaque fois qu’on coupait un arbre avec les Aborigènes, on en replantait douze. » C’est que cet arbre met une vingtaine d’années à pousser et afin d’être sûr de ne pas épuiser les réserves, il faut penser à l’avenir. « Ce n’est pas pour soi qu’on plante, c’est pour les générations à venir » insiste-t-il.

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L’autre point important et rare à l’époque concerne la rémunération des Aborigènes. C’est la première fois qu’ils étaient payés autant que les blancs : « ce n’était pas le cas en Australie en 1999 » se souvient-il. Pendant sept ans, Stéphane Piquart se concentre sur cette matière première, découvre plus en profondeur le métier de parfumeur, rencontre des gens, tisse des liens et comprend les différentes problématiques du secteur. Puis les demandes commencent à se multiplier. Les parfumeurs lui demandent d’élargir son catalogue de matières premières. C’est ainsi que naît Behave, son entreprise de sourcing de matières premières pour la parfumerie. 

 

Sourceur : un métier éthique et altruiste dans une industrie du parfum qui ne l’est pas toujours

En 2007 donc, Stéphane Piquart crée sa société, dont le nom fait référence aux verbes anglais  « to be » : être et « to behave » bien se comporter. Un nom qui sous-entend un comportement exemplaire dans une industrie du parfum qui ne l’est pas toujours et qui s’appuie sur les valeurs et des méthodes de travail qu’il a acquises et appliquées jusqu’à présent. « Je voulais rester dans cette même philosophie, explique le sourceur, parce que vendre une matière qui est respectueuse de l’environnement et du producteur, c’est quand même plus agréable que de vendre une matière qui déforeste ou qui ne respecte pas l’humain. »

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Le juste prix, la prise en compte de l’écologie et de l’écosystème, le traitement humain des personnes avec qui il travaille : le sourceur le fait bien sûr d’une façon altruiste, par respect pour la Terre et l’Humain, mais aussi pour que son marché soit une entreprise sur du long terme.

 

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Et surtout, vendre de la matière première à de grosses entreprises nécessite de s’assurer de la pérennité des stocks, de sa qualité. « Être respectueux, c’est pour nous qu’on le fait, ce n’est pas pour les autres. Une matière première qui va être déforestée, je ne pourrai plus en avoir demain. Si je ne paie pas le producteur au prix juste, il va arrêter sa production, ne fera pas attention à la qualité voire même plantera autre chose. » Le juste prix, la prise en compte de l’écologie et de l’écosystème, le traitement humain des personnes avec qui il travaille : le sourceur le fait bien sûr d’une façon altruiste, par respect pour la Terre et l’Humain, mais aussi pour que son marché soit une entreprise sur du long terme. « Il faut donc s’impliquer de façon durable » insiste-t-il.

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Faire intervenir les ONG avant de découvrir une matière première

Concrètement, comment ça se passe ? Stéphane Piquart aime s’entourer d’ONG avant de se lancer dans la découverte d’une nouvelle matière première. Des organismes qui viennent à lui en lui présentant une problématique, liée à un territoire géographique et à des personnes. Et là où il y a des personnes, il y a des histoires. « Mon rôle, en plus d’aller chercher les matières premières, c’était d’aller chercher les histoires » confirme-t-il. Son premier voyage à son compte ? « J’ai été mis sur l’histoire de la myrrhe en Namibie, et j’ai référencé le bushman candle« .

C’est un ami qui le met en relation avec une ONG qui souhaite développer une filière de myrrhe namibienne, une résine d’arbre -le Commiphora– qui exsude naturellement. L’ONG souhaite trouver un moyen pour les tribus Himbas, vivant dans le désert namibien du Kaokoveld, sur la côte du Nord du pays, de diversifier leurs sources de revenus. 

Si ces tribus vivent des élevages de viandes et de production de lait, à partir d’octobre jusqu’aux premières pluies il n’y a plus de nourriture, les terres sont sèches, il n’y a pas d’eau, les animaux sont maigres. « L’ONG s’est rendu compte que les femmes et les hommes s’enduisaient les cheveux et le corps de cette résine de Commiphora, mélangée avec l’ocre sacré du sol et la crème de leur lait. Un peu comme les Aborigènes, ils utilisent ça comme une protection corporelle. » L’ONG a donc l’idée de mettre en place cette filière de myrrhe, afin de permettre aux Himbas de gagner de l’argent pendant la période sèche. 

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Comment récolter ? Combien de tonnes ? A quel prix ? Tout se met petit à petit en place et rapidement, Stéphane Piquart se rend compte que l’argent récolté permet aux Himbas de faire face à des soucis et d’améliorer leur quotidien. « Je trouvais ça bien ce contact à la fois brutal avec la nature, ces gens, leur histoire assez compliquée et à l’inverse ce contact raffiné avec les parfumeurs, où on est dans la séduction. J’aime bien être entre les deux, me dire que je suis le pont entre ces deux extrêmes qui ne se connaissent pas.« 

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L’Indiana Jones des matières premières, aux accessoires à la James Bond

Quand ce ne sont pas des organismes qui font directement appel à lui, Stéphane Piquart parcourt le monde tel Indiana Jones, à la recherche de senteurs méconnues. « Sortir une nouvelle matière, c’est entre trois et cinq ans, raconte-t-il. J’ai donc appris la patience ! Trouver c’est simple. Vous sortez de Paris, vous trouvez plein de choses. Ce qui est plus compliqué, c’est la phase d’identification : les volumes, les récoltes, si la matière première est plantée ou sauvage et donc s’il y a des administrations locales ou des producteurs à contacter, est-ce qu’on doit créer la filière de zéro… C’est pour ça que je suis toujours accompagné d’ONG sur place, pour aider à mettre en place les filières pour la partie éthique et durable« , détaille-t-il.

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Ce qui ne le quitte pas non plus, ce sont ses accessoires incroyables. Une pompe à odeur à ses débuts, « avec un petit tube métallique qui encapsule l’odeur de la plante » et qui lui permettait d’analyser la composition du végétal. Un petit appareil d’extraction terrain ensuite, qu’il pouvait utiliser « n’importe où dans le monde et qui [lui permettait] de faire ses extraits directement sur place. » Et dernièrement, un tout nouvel équipement en CO2 supercritique, pour faire des essais en 10 minutes. « C’est un petit appareil à la James Bond, c’est génial, j’adore ça ! » lance-t-il enthousiaste.

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Malgré le nom qu’il a su se faire dans un milieu qui n’était pas le sien, malgré la voie qu’il a ouverte en montant une société respectueuse de la nature et des hommes, Stéphane Piquart a su rester humble. Il a su garder la passion d’un métier qu’il fait depuis maintenant près de quinze ans et surtout a toujours gardé en tête que derrière chaque matière première, il y a une communauté de personnes avec des valeurs et des liens forts rattachées à cette dernière. « Quand je vais au fin fond des déserts des forêts, je rencontre des gens qui y vivent et qui utilisent des matières pour simplement manger mais aussi pour se soigner, pour faire des invocations avec des esprits. C’est fascinant.« 

A.L-J


Bonus ! Pour écouter Stéphane Piquart parler de son métier, rendez-vous dans le podcast de la Fragrance Foundation.

Aussi disponible sur Spotify et Apple Music.

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