Cuisine
A table ! La sélection de livres cuisine et vins de la rédaction
31 MAI . 2021
Notre rapport à la nourriture est multiple et protéiforme : utilitaire, jouissif, réconfortant, régressif, esthétique, auto-destructeur… Il dit ce que l’on est et ce rapport très intense qui nous relie à la vie. Manger pour vivre, vivre pour manger, choisissez votre camp ! Vous le savez, nous, on a choisi notre camp… La preuve par quatre avec notre sélection cuisine et vins parmi les sorties du moment. Alors, que lit-on, que mange-t-on ?
1. Notre coup de coeur : L’Art de nourrir de Bruno Verjus, éditions Flammarion, 17,90 €
Bruno Verjus, lui, a choisi son camp il y a bien longtemps. Cet ancien médecin, autodidacte de la cuisine qui, désormais, côtoie les plus grands chefs jusqu’à obtenir une première étoile au guide Michelin, esthète et délicieux conteur des saveurs, nourrit autant les estomacs que les âmes dans son restaurant Table. Une “table” d’exception où s’exprime sa conception unique d’une cuisine simple, délicate et généreuse.
Amoureux des mots comme des mets, il vient de publier chez Flammarion un premier essai, comme un concentré de son approche sensuelle et intense de la cuisine, de cet “Art de nourrir” dans lequel il est passé maître.
La cuisine est une émotion. Un don. Un don que l’on possède, un don que l’on fait à celui que l’on nourrit. Pour qui on cuisine, on invente, on dresse… C’est avant tout de générosité et de cœur qu’il est ici question. Et c’est un véritable bonheur de lecture que de suivre Bruno Verjus dans un monde fait d’humanité, de savoir, de simplicité, de souvenirs et de produits d’excellence.
C’est avec sa langue poétique et imagée (bien connue des aficionados qui l’ont suivi en vidéo sur Instagram tout au long des confinements récents), sensuelle et parfois onirique que Bruno Verjus partage avec nous sa vision de la belle cuisine et de l’esprit qu’il y insuffle. Les pages de réflexions où la sensibilité du chef affleure (la couleur, le geste, la précision, l’harmonie, l’héritage…) alternent avec la présentation – très littéraire – de ses produits de prédilection, entre betterave crapaudine et framboise, Turbot et Grand Coq de Barbezieux.
Attention, il ne s’agit pas d’un livre de recettes traditionnel et il faut atteindre la page 111 pour commencer à découvrir quelques pistes jetées ici et là par le chef pour explorer à petits pas et par les chemins buissonniers les paysages contrastés de sa cuisine, des cuissons à l’eau de mer au navet noir frotté à la paille de fer en passant par le sel végétal maison et les pommes de ris de veau rissolées au beurre chantant.
Plus que des recettes, on découvrira ici, sous la forme de pas à pas mis en perspective historique ou anecdotique, de multiples sources d’inspiration et le point de départ de nos propres expériences.
Il ne nous restera plus alors, en refermant le livre, qu’à entrer à notre tour dans la danse et nourrir de plaisir. Car comme le dit Bruno Verjus : “La façon dont on se nourrit décide du monde dans lequel on vit.”
T.R
2. L’anti-gaspi : La Cuisine des beaux restes d’Estérelle Payany, éditions Flammarion, 19,90 €
Il ne fallait pas moins que la plume enjouée et la créativité débordante d’Estérelle Payany, journaliste connue et reconnue de la planète food, pour donner ses lettres de noblesse à la cuisine des restes. Ici sus au gâchis, rien ne se perd, tout se sublime et se transforme !
Des fanes de radis en version tzatziki en passant par le pain sec (qui se la joue pâte à pizza) ou au reste de riz et la salade défraîchie, tout y passe et devient en un coup de baguette magique facile et sexy ! Ce livre gourmand et intelligent est une bible pour découvrir comment s’accommoder des restes et se responsabiliser à l’anti-gaspi dès la réalisation de sa liste de courses. Utile, ludique et inspirant, en bonus des recettes de cheffes de talent…
L.B
3. Le médicinal : Belle peau, 45 recettes gourmandes pour repulper, illuminer, défatiguer de Machiko Kibé et Chihiro Masui, éditions Flammarion 22 €
Entre Chihiro Masui, infatigable voyageuse, journaliste gastronomique trilingue et auteure de plus d’une vingtaine de livres gastronomiques, et Machiko Kibé, à la tête de l’Association japonaise des praticiens de drainage lymphatique manuel, enseignante dans plusieurs écoles de soignants notamment de la dynamisation vasculo-tissulaire manuelle et maître de shiatsu, l’entente est évidente. Elles se rejoignent sur un constat essentiel : l’approche du bien-être et de la santé doit être globale, elle tient du mode de vie, de diverses thérapies manuelles orientales et occidentales, et bien sûr, de l’alimentation.
De là naît ce livre, concentré d’une quarantaine de recettes qui sont surtout, pour le lecteur, prétexte à découvrir des aliments japonais peu utilisés chez nous, sans oublier les trucs et astuces des Japonais pour ressusciter sa peau : être vigilant aux aliments chauds ou froids selon le moment de la journée (saviez-vous qu’une cure de jus le matin n’était en réalité pas envisageable pour un Japonais, ni les crudités le soir ?), adhérer aux légumes à foison (“mangez autant de légumes que peuvent contenir vos deux mains; mangez l’équivalent de protéines tenant dans une main et idem pour les glucides”), revoir nos bouillons et surtout connaître les propriétés des aliments qu’on avale au quotidien…
Bref, on l’a compris, l’objectif, c’est d’intégrer qu’alimentation = santé et donc, manger = médecine. Au Japon, on privilégie depuis toujours les recettes de grand-mère pour soigner un mal, plutôt que les médicaments. C’est peut-être là que se situe une partie du secret…
Cinq grandes parties vous attendent : les gestes du quotidien, quelques exercices et massages du visage fidèlement appliqués par les Japonais, puis les grands maux : taches, teint gris et cernes ; Peau sensible, acné ; Peau irritée, rides, vieillissement. A chaque problème son analyse et ses conseils ciblés (quels aliments pour quel problème, quels compléments ou vitamines privilégier, quel rythme de repas et de soin de la peau…). Pour finir, un chapitre entier consacré aux masques maison, aux jus et smoothies et aux recettes de base de bouillons divers, ainsi qu’un carnet d’adresses pour les aliments les moins connus en France.
Au milieu des recettes (simples), des encadrés consacrés à certains aliments essentiels au Japon mais peu connus en France, comme l’eryngii, sorte de pleurote goutue, le daïkon, cousin du radis noir souvent utilisé en accompagnement pour les poissons, le konjac, grande plante transformée en pâte, utilisé depuis toujours au Japon comme aliment “détox”, l’uméboshi, dit aussi prune japonaise, très conseillé pour équilibrer la flore intestinale, le gombo, un curieux légume dont le gluant aide à conserver l’élasticité et l’hydratation de la peau, ou encore le natto, ces graines de soja fermentées faisant partie de “super aliments” japonais, plein de nutriments, vitamines, minéraux, oligo-éléments… Il y a de quoi varier les plats !
C’est aussi l’occasion d’en redécouvrir d’autres comme le thé vert et ses vertus, la myrtille, antioxydante, diurétique et pleine de fibres, la patate douce et son taux élevé de béta-carotène, les coquillages et l’anguille, deux très bonnes sources de protéines. Bref, on intègre avec joie quelques tips de Belle peau à notre régime quotidien.
E.C
4. Le philosophe : La Sagesse du vin, d’Enrico Bernardo, éditions Flammarion, 17,90 €
La quarantaine bien entamée, Enrico Bernardo, le plus italien des sommeliers français, à moins que cela ne soit l’inverse, au palmarès éblouissant – Meilleur Sommelier du Monde à seulement 28 ans – se retourne avec sensibilité sur son parcours bachique.
C’est l’apprentissage de la cuisine qui le mènera au vin pour ne plus le quitter. Tel un véritable stakhanoviste, et avec l’appui de sa sœur (la famille, une religion en Italie…), Enrico a enchaîné les barres des concours comme un cavalier hors pairs, tout en faisant ses gammes dans les plus beaux établissements de France. Après l’exigence de la culture palace au George V, son restaurant Il Vino s’est vite imposé comme la table parisienne de référence des grands amateurs de vin soucieux d’accords sans faute.
Ce chapitre clos, Enrico Bernardo en aborde un nouveau avec sérénité, bercé par les vignobles qu’il continue de sillonner et habité par les mystères des flacons qu’il sera amené à déboucher. On a hâte d’en entendre le récit…
L.B