Sport
La boxe anglaise : un art, un vrai
1/4 : Les légendes de la boxe anglaise
06 MAI . 2021
Ce sport magnifique et vieux comme le monde, surnommé le “noble art” par les connaisseurs, prend ses racines dans l’Angleterre du XVIIe siècle. La boxe attirait autrefois tous les publics, de toutes les classes. Elle se confondait parfois avec les vies hautes en couleurs de ses champions. Et justement, qui sont-elles, ces légendes de la boxe anglaise ? On vous entraîne dans notre liste de boxeurs mythiques.
En 1743 – Jack Broughton codifie les sept premières règles de la boxe à main nues auprès de l’académie Tottenham Court Road avec le London Prize-Ring. Le sport est pratiqué par des marginaux permettant aux bookmakers véreux de gérer des paris d’argent… Les derniers championnats de boxe à mains nues ont lieu en 1889 avec une force de la nature moustachue, John L. Sullivan – sorte d’Arthur Shelby de Peaky Blinders. Entre-temps, les règles ont été revues et remplacées en 1865 par le Marquis de Queensberry : elles sont désormais seize, dont le port de gants obligatoire, gentleman oblige.
La boxe anglaise est un sport primitif et complexe à la fois qui a toujours compté des protagonistes extraordinairement divers : artistes, bagnards, cabaretiers, génies ou aventuriers… Fous et audacieux, souvent issus de familles pauvres ayant connu la richesse pour retomber généralement dans la misère la plus totale… Avec leur gloire, ils ont fasciné les plus belles femmes et les écrivains les plus célèbres. Leur talent est allé parfois au-delà des poings, certains sont devenus peintres, chanteurs, danseurs ou acteurs… d’autres écrivains, politiciens ou industriels… Leurs histoires ne sont jamais banales et elles sont éternelles. Alors l’esprit d’un combat de boxe, c’est quoi ? Et la boxe anglaise ? Et ses champions ? On vous emmène dans les coulisses de la boxe anglaise à travers notre série d’articles. Et cette semaine, on commence par les légendes de la boxe anglaise, les boxeurs mythiques !
En France comme ailleurs, auparavant, le sport attirait irrésistiblement le grand public, en soif de spectacle, d’exploit, d’émotion, de frisson. De nos jours, il ne semble rester que le football… Il faut traverser l’Atlantique pour prendre place dans l’une des salles mythiques que sont le Madison Square Garden de New York, le Ceasars Palace ou le MGM Grand Garden Arena de Las Vegas. Au temps de l’âge d’or, poids lourd et quasi-dieu vivant, le champion était l’emblème de tout un peuple et sa vie reflète son époque. Attention, liste non-exhaustive !
1. James Corbet (1866-1933) dit Gentleman Jim
Le père de la boxe moderne. Il affronte le champion de boxe à mains nues John Lawrence Sullivan, proche du peuple, grand buveur, acteur de théâtre, encaisseur impassible que tout oppose à James Corbett qui est plutôt cultivé, employé de banque, toujours tiré à quatre épingles, proche de l’aristocratie et des hautes sphères. Un style plutôt précieux donc, à la différence de ses adversaires à l’image de boxeurs furieux et brutaux, et qui lui vaudra dans un premier temps le surnom de Pompadour Jil pour finalement demeurer Gentleman Jim.
Avec sa capacité d’anticipation inouïe combinée à son punch, il fait sortir la boxe de la bestialité en la rendant intelligente, tactique comme dans un jeu d’échecs bien qu’en boxe on ne joue pas, on boxe ! Il fait vaciller au-dessus des cordes Sullivan qui part à la charge et que Corbett esquive intelligemment en lui rendant la monnaie de sa pièce. Sullivan avec cette défaite se retire des rings, arrête la bouteille et devient prédicateur. Une page d’une époque et de la boxe se tourne.
2. Jack Johnson/John Arthur (1878-1946) dit le Chien Jaune, la montagne de Galveston
L’homme le plus haï d’Amérique ! Jack Johnson est un boxeur noir détésté par l’Amérique en pleine ségregation raciale. Il arbore un gabarit impressionnant de 1,92m pour 95kg il est connu pour avoir été le premier boxeur noir dans la catégorie des poids lourds entre 1908 et 1915.
Le 26 décembre 1908 il affronte, après avoir essuyé plusieurs refus de son adversaire, le boxeur blanc Tommy Burns qui accepte seulement sous prétexte que la rumeur voudrait qu’il refuse d’affronter un boxeur noir. Au fil des rounds Johnson fait la différence jusqu’à la quatorzième reprise où il encaisse avec sa victoire un chèque de 150 000 francs avec lesquels il donnera espoir à des milliers d’adolescents noirs travaillant dans les plantations de cotons tout comme lui quelques années auparavant.
Cette nouvelle fracassante fait beaucoup de bruit : une première dans l’histoire de la boxe. Eclate alors une polémique dans la presse menée par l’écrivain Jack London (qui écrit des nouvelles sur le noble art) qui déclenche les hostilités en essayant de trouver un boxeur blanc capable de “sauver l’honneur des blancs”. Johnson finit par être éloigné des rings et condamné pour concubinage avec des femmes blanches (un palmarès de septs épouses blanches).
Il s’exile en Europe à Paris où il sera adopté par les artistes d’avant garde, le groupe Dada, il boxera à l’Elysée Montmartre, au Vel d’Hiv (lors d’un matche arbitré par Georges Carpentier) et à la salle Wagram où il sera destitué de son titre qu’il récupérera plus tard contre Jeff Willard à la Havane. En 1920 il ouvre le un Night Club à Harlem qu’il revendra au gangster Owney Madden, le Cotton Club. Avec son palmarès de 109 combats, il boxera jusqu’à ses 49 ans en ouvrant la voie aux grands champions de boxe anglaise noirs.
3. Georges Carpentier (1894-1975) dit l’Homme à l’Orchidée
Premier Français à devenir champion du monde ! Élégant mais aussi et surtout héros de guerre : il est décoré croix de guerre dans l’aviation. Au début des années folles, Jack Dempsey affronte le Français Georges Carpentier, en juillet 1921 à New Jersey, dans ce qui est appelé « le combat du siècle ».
Un public immense se bouscule pour cet événement qui nécessite une certaine organisation : 210 m de diamètre, 650 m de circonférence, 750 000 m3 de bois, 60 tonnes de clous ! Le stade, qui ne servira qu’une fois, est livré quatre jours avant la date du combat. 80 183 spectateurs célèbrent le représentant du Vieux Continent.
4. Jack Dempsey (1895-1983) dit le Tigre de Manassa, le Tueur de Manassa, l’Étripeur de Manassa
Ancien mineur devenu boxeur. Il est le boxeur américain le plus glorieux et le plus riche jusqu’aux années 2000. Bref, il incarne le rêve américain.
Il est surtout l’inventeur du « Dempsey Roll », un mouvement consistant à faire déplacer la tête avec une rotation proche d’un 8 horizontal de gauche à droite et droite à gauche en avançant et en poussant sur ses jambes tout en esquivant les coups. Ce mouvement permet avec la force cinétique de placer des crochets dévastateurs au corps et au visage. Une technique adoptée par Rocky Marciano et que reprend plus tard le « Peekaboo style » enseigné par Cus D’Amato à Mike Tyson.
5. Joe Louis (1914-1981) dit le Bombardier noir.
Il inaugure la fin de l’ère des grands poids lourds européens en instaurant le 22 juin 1937 le plus long règne d’un poids lourd : onze ans et trois jours avec vingt-cinq défenses de titres. Pour beaucoup de spécialistes, Joe Louis demeure le poids lourd numéro un et, peut-être le numéro un tout court de la boxe. Ce remarquable styliste est capable des plus grandes réalisations harmonieuses mais d’une grande férocité : vitesse, punch, coordination d’exception qui l’aideront dans sa boxe à atomiser tous ses adversaires.
Son combat symbolique ? Contre l’Allemand Max Schmelling, utilisé par la propagande nazie. Le 6 juin 1936 un match sans titre s’engage. Joe Louis le déboulonne en deux minutes et quatre secondes sur le match retour du 22 juin 1938 à New York (événement immortalisé par le tableau de Robert Riggs), empochant au passage 349 288 dollars (soit 2816 dollars la seconde). Une légende vient de naître.
Son ascension sera stoppée net dix ans plus tard avec une victoire contre Jersey Joe Walcott. Il raccroche les gants définitivement à 35 ans, délaissant son titre et en menant un train de vie excessif qui le dépouillait autant que le fisc. Max Schmeling couvrira une partie de ses dettes, ainsi que Frank Sinatra.
6. Marcel Cerdan (1916-1949) dit Le Bombardier Marocain.
L’un des derniers champions de l’Empire français. Aucun sportif avant lui, ni après, n’a bénéficié d’autant de popularité dans l’Hexagone. Sa victoire du 21 septembre 1948 à New York contre l’Américain Tony Zale “l’homme d’acier” sacrera Marcel Cerdan Champion du monde des poids moyens (ce qui fera de lui le seul Français à s’être emparé du titre sur le sol américain). Il est accueilli à Paris comme un général romain dans une sorte de deuxième libération, dans une voiture décapotable escortée par la garde républicaine.
Bien sûr, on connaît son idylle avec la chanteuse Edith Piaf qui lui dédiera sa chanson l’Hymne à l’amour. Le 27 Octobre 1949, le Lockheed Constellation F-BAZN d’Air France, qui emmène Cerdan – et 36 autres passagers, 11 membres d’équipage- vers les Etats-Unis pour préparer sa revanche contre le Taureau du Bronx Jack LaMotta, s’écrase sur le flanc du Mont Redondo. Il avait 33 ans.
Le saviez-vous ? Patrick Dewaere s’est entraîné pour incarner le boxeur dans le film Edith et Marcel de Claude Lellouche. Mais ce sera le fils de Marcel Cerdan qui reprendra le rôle après la disparition tragique de l’acteur.
7. Walker Smith (1921-1989) dit Sugar Ray Robinson
174 victoires (dont 109 avant la limite), 6 nuls, 19 défaites, 2 no contest. Le plus grand boxeur de tous les temps ? Styliste subtil, longiligne, d’une grande beauté, d’une rare élégance de gestes, puncheur meurtrier, allure folle : tout y est ! Un danseur, moitié Fred Astaire, moitié Gatsby le Magnifique. Jusqu’à l’âge de 45 ans Sugar Ray Robinson aura disputé 202 combats dont il détient 175 victoires.
8. Rocco Francis Fergiani Marchegiano (1923-1969) dit Rocky Marciano, le Roc de Brockton
Un poids plume avec des bras de forgeron. Il incarne le rêve américain, lui aussi… Le seul boxeur de l’histoire du sport à être resté invaincu : 49 combats dont 43 par K.O. de 1952 à 1956 il règne sur les poids lourds dont il est le premier blanc à porter la couronne pendant quinze ans.
D’une férocité redoutable sur le ring avec sa droite dévastatrice appelée Suzie Q comme la bombe atomique lâchée au Japon et la chanson de Dale Hawkins et de Creedence… Il meurt à 46 ans d’un accident d’avion privé.
« Pourquoi êtes-vous boxeur ?
– Parce que je suis moins bon en poésie ! » – Rocky Marciano
9. Cassius Marcellus Clay (1942-2016) dit Mohamed Ali
Il apprend à donner des coups de poings pour récupérer le vélo qu’on lui vole à l’âge de 12 ans. Il n’a que 18 ans quand il signe son premier contrat de boxeur professionnel.
Il fait entrer la boxe dans une dimension d’image, de communication et de business planétaire avec le trash talk, ce spectacle consistant à provoquer, insulter, défier son adversaire pour faire monter les enchères et attirer les médias sur lui. Sa devise : « Vole comme un papillon, pique comme une abeille ». Il refuse son nom issu de l’esclavage qu’il changera en Mohammed Ali après avoir rejoint les Black Muslims. Une légende.
S.B