Sport
Portrait : Rachael Blackmore
Première femme jockey au palmarès
25 MAI . 2021
Quelle détermination, quel courage, quel talent sont incarnés dans la personnalité de Rachael Blackmore, cette jeune irlandaise de Killenaute (comté de Tipperary) qui a remporté, il y a quelques semaines le Grand National de Liverpool ! Cette course d’obstacles est l’épreuve hippique la plus difficile depuis 1927. Aucun jockey et très peu d’entraineurs n’osaient imaginer qu’une femme pourrait la gagner un jour. Le monde du galop d’obstacle l’attendait avec curiosité le 23 mai à Auteuil, pour le Grand steeple chase de Paris.
Rachael Blackmore avale les obstacles au galop
Enfant, elle voulait être vétérinaire, habituée, à la ferme de son père au cœur du comté irlandais de Tipperary, à s’occuper des animaux et en particulier des chevaux. Comme tous les petits Irlandais de la campagne, elle montait sur un poney alors qu’elle chancelait encore sur ses jambes… La fameuse assiette irlandaise de la future cavalière a été moulée dès la petite enfance.
Il est vrai que Rachael Blackmore avait de bonnes dispositions au point de gagner toutes les courses locales à l’adolescence. De quoi énerver ses copains de collège et de galop. De quoi forger un sacré mental et une solide confiance dans ses capacités. Pour autant, elle ne perdait pas de vue sa vocation, encouragée par sa mère institutrice, ravie à la perspective que sa fille reste dans le monde rural tout en échappant aux dures contraintes de la vie de fermier.
Compte tenu de ses excellentes aptitudes à mener les chevaux à la victoire, son entourage universitaire commence à la pousser pour qu’elle endosse la casaque de jockey professionnelle. Sans renoncer à ses études, elle tente sa chance en amateur et gagne sa première course à 20 ans. Mais convaincue que c’est plus réaliste de devenir véto que jockey, elle poursuit la seconde voie en amateur jusqu’à 25 ans. Bien tard pour faire vraiment carrière…
La première femme jockey à remporter le Grand National de Liverpool
Et pourtant ! Très vite, la jolie irlandaise aux yeux bleus lumineux fait des merveilles et impressionne le monde masculin des courses hippiques outre-Manche. Au point d’afficher à ce jour 320 victoires au compteur en six années de courses dont, dernière en date, le dimanche 10 avril, la plus prestigieuse des épreuves d’obstacles : le Grand National de Liverpool, un steeple-chase disputé à Aintree depuis 1927.
Seule jockey femme a l’avoir gagné, Rachael Blackmore s’est hissé au sommet de son art, médusant l’ensemble du monde européen de l’obstacle.
« C’est un exploit, cela relève du presqu’impossible sauf que tout ce qu’elle a fait avant est du même ordre ! » commente l’entraîneur près de Royan Guillaume Macaire, qui peut s’enorgueillir d’avoir soulevé six fois la coupe du Grand steeple chase de Paris -l’un des parcours les plus difficiles d’Europe. De fait, quelques semaines plutôt, la jeune cavalière avait remporté, sous les couleurs de son entraîneur principal, l’Irlandais Henry de Bromhead, la Champion hurdle, aka la plus prestigieuse course de haies britannique, course-phare du Festival de Cheltenham considéré par la profession comme une sorte de jeux olympiques du secteur. Là aussi, une première féminine, d’autant qu’elle a remporté dans la foulée quatre autres courses à ce rendez-vous de très haut niveau.
« Le monde anglo-saxon des courses est bien plus en avance que nous en terme d’égalité homme–femme » constate Guillaume Macaire. Et lui qui a beaucoup œuvré pour que la profession admette la nécessité de se féminiser, qui a encouragé ses pairs à regarder du coté des jeunes femmes pour porter leur casaque avait un œil sur son jeune concurrent, l’entraîneur David Cottin. Cet ancien jockey talentueux puisque trois fois cravache d’or, a eu l’idée audacieuse de confier Ajas, un de ses meilleurs chevaux, à Rachael Blackmore.
Jockey, le métier de tous les dangers
Pourtant, l’Irlandaise ne connaissait ni le cheval ni Auteuil. En 2019, elle devait s’y aligner, mais avait renoncé, victime d’une chute deux jours avant. « Elle ne connait pas Auteuil. Ce n’est pas un problème. La classe des grands jockeys c’est de comprendre tout suite et le cheval et le terrain, expliquait David Cottin. J’ai fait appel à Rachael par goût du challenge » poursuit l’ancien jockey arrivé 2è en 2013 du Steeple chase de Paris alors qu’on lui avait vissé, trois jours plutôt, une plaque sur sa clavicule cassée…
Car pour être un grand jockey, il faut être dur au mal. Selon les statistiques, un jockey tombe en moyenne une fois toutes les douze montes. Et il peut faire huit courses dans la journée…
Une profession très physique et très dangereuse quand le cheval fonce à 60 km/h sur un obstacle. Elle nécessite beaucoup de courage, d’engagement et d’abnégation et l’Irlandaise, fidèle à son sang, n’en manque pas. Ce que réalise Rachael Blackmore est hors-normes sans que cela lui fasse perdre son humilité et sa modestie naturelle. « Elle est très humble, très abordable, refuse le rôle de vedette que certains médias anglais voudraient lui imposer » constate Anne-Louise Echevin, journaliste à Jour de Galop.
« Elle a brisé un plafond de verre, mais c’est pour elle un non-sujet. Elle refuse d’être investie du rôle de porte-drapeau de la féminisation de l’obstacle. » – Anne-Louise Echevin
Pour preuve, la déclaration qu’elle effectue à l’issue de sa victoire au Grand National d’Aintree : « J’encourage toutes les filles et les garçons à faire ce que vous avez envie de faire : allez-y, foncez ».
Le rôle de coqueluche de la réunion de Paris, n’était pas de nature à l’enthousiasmer, car cette tête bien faite et solide est venue à Paris pour elle aussi relever un défi. Sans succès puisqu’elle a terminé septième -mais elle n’a pas dit son dernier mot. Rendez-vous l’année prochaine. Le chemin reste à faire… Mais Rachael Blackmore avale les obstacles au galop.
P-M.C